La Baleine blanche des mers mortes plonge le lecteur dans un monde séché de ses océans, ses mers, ses fleuves et où les fantômes des animaux marins cherchent à se venger de ses bourreaux, les humains. Fort !

Le dernier chant de la baleine

d'Lëtzebuerger Land du 14.01.2022

Sorti en septembre, La Baleine blanche des mers mortes a bien failli être, en ce qui nous concerne, un des grands loupés de l’année 2021. Resté sous une pile d’autres BD, avec sa couverture blanche d’où ne se dégagent que quelques traces grises et le contour d’un œil étrange, l’album a bien failli passer à la trappe sans qu’on lui ait donné une chance. Toute aussi fantomale, la quatrième de couverture, n’attire pas non plus le regard. Il faut vraiment lire ce récit de la romancière Aurélie Wellenstein (Le Roi des fauves, Les Loups chantants), mis en image par Olivier Boiscommun (Joe, Troll, Danthrakon…) pour enfin comprendre l’aspect évanescent de ces couvertures.

Le récit d’anticipation propose une anti-utopie fort peu réjouissante. Elle commence avec ces mots en introduction : « On aurait pu sauver ce monde. Mais non. On était trop paresseux, trop égoïstes. / La mer était morte. Les océans avaient disparu, dévorés, avalés, acidifiés, pollués, étouffés par les plastiques, hydrocarbures et métaux lourds. / La plupart des gens n’avaient pas mesuré la relation intime qui liait la santé des océans à la leur. » Le tout écrit autour d’images d’un Paris post-apocalyptique, totalement en ruine et sec de toute eau. Un Paris aux tonalités d’un jaune sableux, désertique. Un Paris désert, sans vie, mais avec des cadavres qui jonchent l’ancien lit de la Seine.

C’est justement dans cet ancien lit de la Seine, entre deux ponts dont les arcs ne cessent de perdre des morceaux, que marche Bengale. Il est seul, il porte un gros couteau accroché à la cuisse droite et une dent de requin autour du cou. « Les survivants s’accrochaient de toutes leurs forces. Mais pour combien de temps encore, avant que la planète tombe en poussière ? » demande un autre récitatif. Le suivant enfonce le clou : « Et encore, c’était sans compter… ça ! ». Les couleurs jaunâtres laissent tout à coup la place à des teintes bleutées. On pourrait croire que c’est un vent qui souffle, mais de drôles d’animaux semblent accompagner ce flot. Point d’oiseaux à l’horizon, mais des poissons, des tortues et des hippocampes. Pas tout à fait des animaux marins, plutôt leurs fantômes. « Massacrés avec violence, le fantôme des mers mortes revient hanter les hommes. / On avait baptisé ce phénomène les marées hautes. Aléatoires, parfois courtes, parfois longues… toujours mortelles » nous apprend encore la voix off.

C’est lors d’une de cette nouvelle marée haute que Bengale rencontre Chrysaora, une jeune femme étonnante qui au lieu de se cacher danse avec les méduses. Malgré les risques et la perte de leur proches, les deux pourraient bien être les deux seuls humains à ne pas vouloir faire la guerre aux fantômes. Ils semblent, au contraire, chercher un moyen de communiquer avec eux. Ils pourraient ainsi être des mediums, des passeurs entre les deux espèces ; mais pour l’heure, ils doivent survivre à cette marée et à tous ses dangers. Un groupe d’humains installés dans ce qui reste de l’opéra Garnier leur viendra en aide. Ils ont à boire et à manger et assez de musiciens pour adoucir les mœurs des fantômes et tout particulièrement celui d’une baleine blanche géante qui a, par le passé, semé la mort parmi les populations parisiennes survivantes. Une baleine dont Bengale parviendra à revivre le passé, à ressentir la douleur et comprendre la haine des hommes. Un premier pas, pour un possible monde d’après !

Adapté du roman d’Aurélie Wellenstein, Mers mortes, lauréat du Prix Imaginales des Bibliothécaires, l’album aborde la question écologique, non pas par le prisme humain, comme c’est souvent le cas en littérature, mais du point de vue des animaux. Alors que l’Homme a causé leur disparition, et malgré de nombreuses alertes envoyées par Mère Nature, on peut comprendre, même en tant qu’humains, qu’ils aient envie de se venger.

Dans ce récit, l’autrice poursuit son exploration de l’animalité et tout particulièrement de l’animalité humaine ainsi que les angoisses existentielles sur l’avenir du monde. Wellenstein propose là une intrigue pertinente à l’évolution intéressante, elle prouve qu’elle maîtrise l’utilisation des flashbacks ainsi que de différentes sortes de récit – si l’album suit avant tout le personnage de Bengale, il se termine par un court journal intime de Chrysaora qui apporte de nouveaux éléments au récit mais aussi de la matière pour bien comprendre la psychologie du personnage. Des personnages intrigants aux personnalités complexes.

Une réussite narrative à laquelle fait magnifiquement écho la mise en image d’Olivier Boiscommun, son découpage, son rythme, l’attention qu’il porte au moindre détail et puis ses couleurs à la fois évanescentes et flamboyantes qui rendent merveilleusement l’aspect spectral de ces décors et de ces marées hautes.

Cette Baleine blanche des mers mortes se mérite. Elle prouve qu’on ne juge pas un livre à sa couverture. Car une fois la couverture tournée, on ne regrette pas de ne pas avoir laissé l’album prendre la poussière. S’il y a un regret, au contraire, c’est que le récit ne dure que 56 pages. Un tel univers avec de tels personnages aurait fait un magnifique roman graphique au long cours.

La Baleine blanche des mers mortes, d’Aurélie Wellenstein et Olivier Boiscommun. Drakoo

Pablo Chimienti
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