La partie de fléchettes autour des dessous du projet d’outlet mall et d’un stade national à Livange continue. L’image du gouvernement est sérieusement égratignée

Le deal

d'Lëtzebuerger Land du 07.10.2011

Le député CSV Robert Weber ne sort plus des situations désagréables. Un autre quart d’heure pénible s’annonce pour lui la semaine prochaine, lorsque les députés vont reparler du projet tordu de Livange en séance plénière. Car une des conclusions de la réunion jointe de trois commissions parlementaires mercredi a été d’élaborer une motion qui demandera au gouvernement de laisser tomber ce projet pour construire un stade de moindre envergure à Hollerich, dans le midfield. Robert Weber, qui sera peut-être à ce moment-là élu au conseil communal de Roeser à cause de son opposition à l’énorme shopping mall flanqué d’un stade de foot à Livange, serait donc forcé à rejoindre les rangs de l’opposition parlementaire. À moins de se faire porter pâle.

Car le tour est joué à la commune de Roeser, où les socialistes se sont quasiment fait hara-kiri en décidant, le 21 septembre, de lancer la procédure de reclassement des terrains de la zone verte en terrains constructibles pour un stade. Contacté par le Land, le bourgmestre Tom Jungen (LSAP) dit qu’il n’avait pas le choix. Après des concertations avec les autres membres de son équipe, il aurait décidé d’aller de l’avant en fixant ce point à l’ordre du jour, car s’il ne l’avait pas fait, l’opposition lui aurait reproché de ne pas avoir eu le courage de jouer franc jeu avant les élections, préférant repousser le vote après le 9 octobre (voir d’Land du 22 septembre 2011). Il dément avoir été mis sous pression de la part de ses collègues de parti, des ministres socialistes notamment, fervents défenseurs du projet de Livange. « Toute cette élection se joue sur ce projet-là, admet-il, et si j’avais tout annulé au moment des révélations sur l’appartenance de certains terrains à la famille de l’échevine, les trois partis de l’opposition auraient triomphé. J’ai donc dû peser le pour et le contre dans un laps de temps extrêmement court, après confirmation de la part de juristes et du commissaire de district que l’intérêt particulier n’entrait pas en compte dans cette affaire. » Un référendum ne ferait de sens qu’au moment de la décision sur le plan d’aménagement particulier, car ce ne serait qu’à ce moment-là que toutes les informations détaillées sur le projet seraient connues et que le public pourrait se faire une opinion en connaissance de cause. Si c’était à refaire, il agirait exactement de la même manière. Il soutient le projet, avec la promesse de 1 200 d’emplois créés et les revenus supplémentaires pour la commune à la clé.

Aussi bien le président du parti, Alex Bodry, que le chef du groupe parlementaire Lucien Lux, affirment qu’aucune pression n’a été exercée sur le bourgmestre. « Au contraire, je lui ai vivement recommandé de ne pas se brûler les doigts avant les élections, maintient Lucien Lux dans un entretien accordé au Land. C’est au nouveau conseil communal, qui en aura la légitimité démocratique, de traiter ce dossier à tête reposée. » Et de maintenir qu’un référendum local sera nécessaire, et que si le gouvernement estimait que le projet revêtait une importance nationale, il devait se servir de l’instrument du plan d’occupation du sol (d’Land du 9 décembre 2010) au lieu de demander à la commune de modifier son plan d’aménagement général. Lucien Lux déclare qu’en tant que « puriste », il avait toujours été le défenseur d’un stade national sur le territoire de la Ville de Luxembourg, mais que le bourgmestre Paul Helminger n’avait jamais été très chaud à cette idée. Encore une signature qui soutiendra la motion la semaine prochaine.

Retour à la case départ pour le stade de foot ? « Les vainqueurs des élections à Roeser vont tout tenter pour éviter l’implantation de ce projet sur leur territoire, » a scandé le candidat libéral Eugène Berger mercredi à la Chambre. Ce qui est certain, c’est que la population ne se laissera pas faire et intentera des procès pour faire annuler les autorisations potentielles délivrées par les autorités publiques. D’ailleurs, les débats étaient très civilisés, sauf quelques sautes d’humeur de la part du ministre de l’Économie Jeannot Krecké (LSAP). Il avait été en charge de trouver un emplacement pour un nouveau stade de foot, en tant que ministre des Sports pendant la législature précédente. C’est la raison pour laquelle il a aussi été un des signataires de la fameuse lettre confidentielle qui assurait aux promoteurs un soutien quasi inconditionnel du gouvernement à la réalisation de leurs projets. Cette lettre, publiée la semaine dernière par le Mouvement écologique, a provoqué l’indignation des partis de l’opposition qui ont ensuite invité les représentants du gouvernement à venir s’expliquer en commission.

Retour en arrière : Suite à une réunion dans les bureaux du Premier ministre Jean-Claude Juncker le 30 mars 2009, la missive confidentielle a été envoyée aux promoteurs Guy Rollinger et Flavio Becca pour sceller un accord concernant le gigantesque projet de Livange. Elle a été cosignée par Jean-Claude Juncker, le ministre de l’Économie et des Sports, Jeannot Krecké, et le ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, Jean-Marie Halsdorf (CSV). À ce moment-là, Guy Rollinger avait été d’accord pour laisser tomber son Shopping Center Wickrange, un grand projet de surfaces commerciales auquel le Jean-Marie Halsdorf était opposé, mais il n’avait pas réussi à en faire annuler les autorisations, dont celle du bourgmestre, par le tribunal administratif (d’Land du 19 décembre 2008). Donc, plutôt que de se hasarder à lancer une nouvelle tentative d’annulation et de risquer de se faire condamner à des dommages et intérêts par l’entreprise Rollinger, le gouvernement a choisi la médiation en favorisant l’élaboration d’un marché entre les deux entrepreneurs Rollinger et Becca. Le gouvernement soutiendrait le projet de tout son poids si Flavio Becca était d’accord de s’associer à Guy Rollinger et que celui-ci laisse tomber le Shopping Center Wickrange.

C’était juste avant les élections législatives de 2009, Jean-Marie Halsdorf pouvait se vanter d’avoir sauvé les principes de l’Aménagement du territoire et Jeannot Krecké se prévaloir d’avoir mis sur les rails le projet de construction d’un stade national. C’était aussi l’époque où la crise touchait le Luxembourg de plein fouet, où les crédits aux promoteurs, accordés par les banques, avaient atteint un niveau plancher (voir aussi en pages 14-15). Une telle lettre de caution devait donc être la bienvenue de part et d’autre.

La lettre leur a finalement éclaté à la figure et les signataires ont passé un moment embarrassant mercredi au parlement. Choqués par le fait que le gouvernement passe de tels accords confidentiels et fasse fi du parlement et des procédures légales, les libéraux et les Verts ont organisé une conférence de presse urgente, condamnant de tels agissements. La Gauche et l’ADR ont aussi exprimé leur ferme désaccord. La lettre était dès lors agitée par l’opposition comme le symbole de l’arrogance du pouvoir.

Le Premier ministre Jean-Claude Juncker avait visiblement compris que les bornes avaient été dépassées. Il avait choisi la diplomatie en réagissant de manière calme et patiente aux critiques et aux questions posées notamment par le député libéral Claude Meisch, très à l’aise dans le dossier. Le ministre Jeannot Krecké l’était beaucoup moins en se montrant outragé face aux insinuations de certains députés, en sortant de ses gonds quand les ministres ont été invités à dire s’ils avaient profité d’avantages en nature de la part de promoteurs. Or, au lieu de laisser les intervenants crever l’abcès, le président de la commission, Ben Fayot (LSAP) a choisi de s’interposer en qualifiant cette discussion digne du « café du commerce ».

Cependant, les rumeurs continuent à empoisonner le débat. Même le camarade socialiste René Kollwelter ne s’était pas retenu dans une lettre ouverte en faisant allusion aux médisances selon lesquelles Jeannot Krecké avait accosté son bateau de plaisance dans un port sarde, dont l’emplacement aurait été financé par Flavio Becca.

Les membres du gouvernement ont fait des pieds et des mains pour expliquer que cette lettre ne signifiait nullement un mépris des procédures, ni le moyen pour les promoteurs de réclamer des dommages et intérêts si le projet n’était pas réalisé. Or, là n’était pas la question. Il est clair qu’avec cet engagement, les ministres ne pouvaient mettre hors jeu les obligations légales des promoteurs. La question centrale est de savoir si dans ce contexte, les procédures ne sont pas dégradées à un simple exercice de style, des formalités à remplir dont on connaît déjà la réponse de la part des autorités.

Les discussions se poursuivront donc la semaine prochaine. Lundi, le ministre des Finances, Luc Frieden (CSV) devra expliquer à la commission du Contrôle de l’exécution budgétaire le rôle de la Banque et caisse d’épargne de l’État dans le dossier Becca et le rôle joué par son directeur général Jean-Claude Finck. Jusqu’à jeudi, le gouvernement devra aussi avoir répondu à toutes les questions posées par les députés, sinon ils pourraient envisager de mettre sur pied une commission d’enquête.

La réunion de mercredi laisse un arrière-goût amer, et Jean-Claude Juncker a sans doute eu idée de l’ampleur des dégâts lorsqu’il termina son intervention par la remarque qu’un code de déontologie était une question qui l’intéressait sérieusement. Les politiques n’ont visiblement rien retenu de l’affaire concernant le terrain de golf de Meysembourg au début des années 2000, où Michel Wolter (CSV), ministre à l’époque, avait été soupçonné d’immixtion et de trafic d’influence parce qu’il avait participé à une chasse organisée par le promoteur du projet.

anne heniqui
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