Selon le Statec, il y avait, au troisième trimestre 2017, 184 058 travailleurs frontaliers faisant tous les jours le trajet de leur Allemagne, Belgique ou France résidentielle vers leur lieu de travail au Luxembourg. La moitié d’entre eux, 94 891, sont Français. Et parmi les frontaliers, quel que soit leur pays d’origine, la voiture demeure, et de loin, le moyen de transport favori, presque 90 pour cent d’entre eux la choisissant, tendance à la baisse. Ainsi, l’étude du Ceps Instead, La mobilité des frontaliers au Luxembourg : dynamiques et perspectives montrait, en 2012, que le train gagnait en popularité en 2010, 11,5 pour cent des frontaliers français l’empruntant alors tous les jours pour rejoindre le Luxembourg (contre 9,5 pour cent trois ans plus tôt). Le train, note une autre étude de la société d’Euro Car Parts publiée en novembre 2017 en France, serait légèrement moins cher que la voiture, avec un budget moyen de 1 078 euros par an (contre 1 270 pour la voiture). Les Français, affirme la même étude, passeraient en moyenne une semaine par an à se rendre au travail ; selon le Ceps Instead, les frontaliers mettent en moyenne une heure et dix minutes pour se rendre au travail en transports en commun, cinquante minutes en voiture. En principe, les frontaliers qui travaillent à Luxembourg-Ville utilisent beaucoup plus souvent les transports en commun (33 pour cent) que ceux qui travaillent à la périphérie, et pour cause : impossible de se garer au centre-ville. Toujours selon la même étude, les utilisateurs des transports en commun profitent en outre d’un moindre encombrement des trains en partant plus tôt : ils sont 41 pour cent à partir entre six et sept heures du matin déjà.
Ces statistiques si abstraites deviennent beaucoup plus palpables lorsqu’on observe leur réalité sur le terrain. Nous avons donc demandé à deux travailleurs frontaliers français utilisateurs du train (qui travaillent au Land) de nous décrire de quoi est fait leur quotidien en tenant un carnet de bord quotidien de leurs trajets durant dix jours, du 15 au 22 janvier. Pierre Greiveldinger vient de Metz, où il prend le train de 6h33, qui devrait le déposer à la gare de Luxembourg à 7h21. Zoubida Belgacem, elle, vient d’Uckange, où elle prend en principe le train de 7 heures et quelques – il y en a un toutes les dix ou quinze minutes, en principe – et devrait être à Luxembourg quarante minutes plus tard. Première observation : ce fut une semaine relativement calme et « normale », avec des retards minimes seulement – Pierre a calculé un total de 37 minutes sur les allers et retours de la semaine. Deuxième constat : les retards et arrêts subreptices ont pour la plupart été expliqués aux passagers, ce qui, constatent-ils, n’est pas toujours le cas.
Le voyage en train est loin d’être idyllique, les rames étant souvent aussi encombrées que le sont les autoroutes. Zoubida, elle, a méticuleusement noté les conditions de voyage dans les trains, que ce soit au matin, à l’arrivée, ou le soir, en rentrant : si elle a pu s’asseoir la moitié du temps, d’autres fois, les wagons étaient bondés, « plein comme un œuf », des gens debout dans les couloirs, le passage difficile.
Le pire, sur cela tout le monde est d’accord, voyageurs frontaliers ou nationaux, c’est de ne pas savoir ce qui se passe. Les sociétés de transport communiquent peu et mal, avec un petit compliment pour les CFL, qui seraient plus réactives que la SNCF. Il arrive assez régulièrement, comme encore ce mardi soir en gare de Nancy, qu’une personne suicidaire se jette devant un train, ce qui cause, outre le traumatisme des témoins (notamment du conducteur) des retards considérables. Or, chaque usager doit avertir son employeur, éventuellement chercher un mode de transport alternatif pour rejoindre son travail etcetera. Sans information sur ce qui se passe et les mesures à prendre, impossible de gérer la situation. Plusieurs groupes d’entraide se sont formés sur les réseaux sociaux, comme les comptes Twitter « Usagers TER Metz-Luxembourg » (TER comme train express régional ; 3 400 abonnés et presque 35 000 tweets) ou « Les râleurs du TER » (un millier d’abonnés et 3 000 tweets), dont le slogan est « Deux ans ininterrompus à alerter les autorités sur la dégradation du TER, entre #nancy, #metz, #thionville, #luxembourg ». Leur stratégie : faire passer toute bribe d’information sur un changement d’horaire à leurs followers, concernant un chantier (comme ce sera le cas en février), un incident sur un trajet ou dans un train. Et mettre la pression sur les sociétés de transport, la SNCF notamment, pour qu’elles améliorent leur communication en direction de leurs usagers.