Formation des apprentis

Faible tension sur l’ampèremètre

d'Lëtzebuerger Land du 23.09.2010

Le tableau est sombre et les perspectives ne sont pas meilleures. « Ce que nous avons reçu ces sept dernières années comme curriculum vitae est désastreux, » regrette Frank Reckinger, le patron de la société d’électricité Reckinger-Bock et Cie, réputé pour son franc-parler. « Dès que nous avons une place de libre, nous voyons arriver une série de jeunes de 17 ou 18 ans dont on peut dire qu’ils ont gâché leur avenir. » Sept demandes sur dix sont exclues d’office, dès le premier coup d’œil sur les bulletins d’école. Ce ne sont même plus tellement les résultats qui comptent, mais bien plus le comportement de l’élève, sa conduite, son application en classe et surtout le nombre d’absences non excusées. Ces notes sont le reflet des compétences sociales du jeune, qui seront à la base de tout contact avec le patron de stage et le client, la possibilité de s’intégrer dans une équipe, la discipline reviennent donc au premier plan. L’attitude, le comportement en classe du candidat sont pour ainsi dire la clé de la porte d’entrée. La théorie et la pratique professionnelles peuvent s’apprendre ensuite. Une bonne note en électrotechnique ne vaut rien si le patron ne peut pas avoir l’assurance que son apprenti se pointe à l’heure sur le chantier et soit poli avec les clients.

Pourquoi ce nivellement vers le bas ? Le manque d’intérêt et de soutien de la part des parents, le manque de motivation, la paresse de certains candidats et l’encadrement scolaire insuffisant composent sans doute les ingrédients d’un cocktail explosif dont les perdants sont non seulement les individus eux-mêmes, mais aussi l’économie nationale tout entière. Les réformes de la formation professionnelle et de l’administration de l’emploi en sont les réponses du monde politique. Or, tout dépendra, là encore, de leur application sur le terrain.

Un échec récent : « Nous nous sommes occupés d’un apprenti pendant longtemps, le garçon était un dur à cuire, mais il a réussi à faire des progrès, raconte Frank Reckinger. À la fin de l’année scolaire, la direction de l’établissement scolaire nous a informés par courrier qu’il était renvoyé de l’école parce qu’il avait séché les cours pendant un mois et demi. Cela m’a rendu furieux que personne ne m’ait averti plus tôt qu’il ne venait plus en classe ! »

Ses expériences avec les professeurs encadrant des stagiaires d’Arlon sont différentes. « Ils se rendent sur place, viennent visiter les chantiers, les élèves doivent rédiger des rapports, explique Frank Reckinger, leur engagement est tout autre de ce à quoi nous sommes habitués au Luxembourg. » Ses relations avec le tuteur de la Chambre des métiers sont par contre excellentes, souligne-t-il. Il est très accessible et disposé à se rendre sur les lieux dès qu’il est sollicité.

Pourtant, l’entreprise Reckinger-Bock est connue pour son ouverture aux jeunes demandeurs d’emploi depuis sa création en 1989. Aujourd’hui, elle compte une trentaine de salariés, beaucoup d’entre eux y ont commencé leur carrière en tant qu’apprentis. Il y a eu des années où il formait pas moins de quatre apprentis. Son approche est pragmatique : « Nous tentons de maintenir un niveau élevé dans la formation du personnel, le but est de compter le plus de détenteurs de CATP possible dans notre équipe. » Il essaie donc d’encourager son personnel de passer du niveau CITM (contrat d’initiation technique et professionnel) au CATP (certificat d’aptitude technique et professionnelle) via l’apprentissage adulte. Deux l’ont déjà passé, un troisième a toutes ses chances de réussir. « Je ne suis pas du même avis que certains de mes collègues qui préfèrent que leur personnel reste moins qualifié et donc moins cher, précise Frank Reckinger. Même s’il est vrai que c’est plus compliqué de gérer une équipe qui n’est pas complète pendant les mois de formation. Il y a un manque à gagner certain, pendant ces périodes où une camionnette reste garée sur le parking. » Le jeu doit quand même en valoir la chandelle, ne serait-ce que parce que le personnel reste motivé, s’engage pour le succès de l’entreprise, n’hésite pas à venir travailler le samedi – une façon aussi de montrer qu’il a apprécié le geste du patron. « De tous les jeunes que nous avons formés jusqu’à présent, aucun n’est allé travailler auprès d’un patron concurrent, se réjouit Frank Reckinger. Les seuls qui sont partis ont été embauchés par le secteur public, les CFL ou l’ancienne Cegedel. » Des secteurs hors concurrence, donc.

L’engagement et la formation du personnel sont importants dans le métier d’électricien, en pleine mouvance. L’entreprise s’est elle-même diversifiée au fil des années pour couvrir aussi les secteurs de l’énergie solaire et les installations de paratonnerres. Or, l’enseignement théorique et pratique ne suit pas toujours l’évolution. Certes, le lycée de Rédange, par exemple, s’est lancé dans les énergies renouvelables, mais somme toutes, les formations ne collent pas toujours aux besoins du terrain. « Selon mes expériences personnelles, les jeunes issus du lycée technique privé Emile Metz sont les mieux outillés de notre secteur, » note Frank Reckinger. Peut-être que les professeurs y ont eux-mêmes plus d’expériences du terrain que leurs collègues de l’enseignement public. « Les enseignants ne sont pas toujours au courant des besoins du terrain, » ajoute encore son associé Oliver Faber.

Un autre point encore : le patron dit n’avoir aucun problème à embaucher des électriciens plus âgés, qui ont peut-être perdu leur emploi à cause de la crise, estimant que rien ne vaut une solide expérience du métier, quitte à devoir leur payer un salaire plus élevé. Mais là encore, la perle rare est difficile à trouver et les expériences antérieures avec l’administration de l’emploi sont loin d’avoir été concluantes. Il faudra attendre les effets des réformes annoncées en grande pompe par les autorités pour voir dans quelques années si la mayonnaise a pris.

anne heniqui
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