Aline Bouvy et John Gillis à la galerie Nosbaum & Reding

Clair-obscur

d'Lëtzebuerger Land du 30.09.2011

Les deux artistes (ou plutôt le couple d’artistes) Aline Bouvy et John Gillis ne cessent d’étonner. Après quatre années passée depuis leur dernière exposition chez Nosbaum [&] Reding, voici le duo de retour avec un exercice virtuose. Pour leur troisième exposition en ce lieu, ils rejoignent en effet et exclusivement, la « marotte » du galeriste : la peinture.

L’évolution de Bouvy / Gillis est étonnante au vu de leurs expressions antérieures (ou absentes ici), plutôt tous azimuts, samplées à la manière d’un DJ : dessins, collages, photographie, vidéos, modelage et sculpture. Le tout mixé à la limite de l’univers trash et à forte charge sociale : dénonciation du monde de la consommation et des vanités modernes. Cette fois donc, dans les dix peintures seulement, reste la limite – ténue – entre le bon et le mauvais goût, le rire (grinçant) et la peur, le réel et la science-fiction, car la manière est absolument parfaite, la maîtrise de la technique (huile sur toile) impeccable.

On commencera la description de l’exposition Sharp Dull (traduction littérale en anglais du mot grec oxymoron) par l’illustration de son sens en français. Une rencontre improbable a en effet lieu à l’espace Corniche de la galerie, au Schéieschlach, à savoir celle de la peinture monochrome et de la représentation de visages. Noires (donc sans blanc pour créer l’illusion de la lumière), on reconnaît néanmoins sur ces toiles sans relief, les traits de la figure humaine via le travail sur les yeux, le nez et la bouche obtenues par le seul travail de la matière. Cela fait écho à la statuaire africaine et on pense en particulier aux grigris destinées à protéger du mal ou à jeter un mauvais sort.

Personnalisées (les toiles s’appellent Boris, Yves et Tania), ce sont néanmoins les plus anonymes et neutres de l’exposition. Renvoyant moins directement à des « figures », les peintures accrochées dans l’espace principal de la galerie sont a contrario plus figuratives. Tels des fétiches, des formes (à référence humaine ou animale, avec visage et enveloppe corporelle) flottent dans l’espace sur fond noir. Le relief est créé par un tube de néon peint dans le bas de la toile. Non seulement cet éclairage par en-dessous donne le côté fantastique et accentue le relief des figures représentées, mais il renvoie directement à l’éclairage de l’atelier et donc symboliquement, à la peinture sur chevalet.

Car un masque métallique, une sorte de sculpture en pâte à modeler et une poupée de chiffon, son peints de manière très exacte, on aimerait presque dire à la manière de la peinture ancienne. Est-ce un hommage de Bouvy / Gillis aux « maîtres » flamands anciens ? Aux surréalistes belges (rappelons que le couple belgo-luxembourgeois travaille à Bruxelles) ? Les accessoires, des pièces d’un euro comme fichées à la surface d’une tirelire, des roulettes en guise de pieds pour la poupée à tête de chouette et le froissement du métal pour un portait-hommage au peintre belge Constant Permeke influencé par l’art nègre et le cubisme, en font des objets improbables. En y ajoutant la bouche, le nez et les yeux de la figure humaine ou leur suggestion, ceci rend à ces associations grotesques l’aspect de masque cher aux deux artistes.

Sharp Dull s’achève par des représentations abstraites de formes géométriques, sortes de cercles distendus et grilles métalliques qui s’interpénètrent de manière impossible. Enfin, la dernière toile montre une sorte de figure où l’on retrouve des invariants de Bouvy / Gillis comme le mégot de cigarette et l’orbite (vide). Une boule aussi. Impénétrable, c’est le symbole par excellence de l’aspect énigmatique de ce travail.

Aline Bouvy et John Gillis, Sharp Dull à la galerie Nosbaum & Reding, 4, rue Wiltheim à Luxembourg-ville dure encore jusqu’au 5 novembre ; ouvert du mardi au samedi de 11 à 18 heures ; plus d’informations sous www.nosbaumreding.lu.
Marianne Brausch
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