Chroniques de l’urgence

Assureurs désarçonnés

d'Lëtzebuerger Land du 15.09.2023

La discussion sur les points de bascule, induits par la consommation immodérée de combustibles fossiles, a tendance à se focaliser un tant soit trop sur ceux de nature physique, dégel du permafrost ou arrêt de la circulation océanique, pour ne citer que ceux-là. Et si les points de bascule de nature socio-économique, résultant des premiers, mais dotés de leur dynamique propre, étaient beaucoup plus proches et plus menaçants ? La crise financière de 2008 nous a enseigné qu’un problème sectoriel peut rapidement mettre à genoux l’économie mondiale. Celle-ci était alors en pleine croissance – et parfaitement saine, s’accordaient alors à dire la grande majorité des économistes. Un secteur susceptible de saper les fondements de l’économie est celui de la mutualisation des risques, dont le modèle est mis à rude épreuve par les coups de boutoir des phénomènes météorologiques extrêmes.

Si elle n’est pas la seule affectée, l’assurance habitation est celle qui vient à l’esprit en premier dans ce contexte. Montée du niveau de la mer, tempêtes, pluies torrentielles, incendies, glissements de terrain, les risques ne manquent pas qui, dans certaines régions, commencent à contraindre les assureurs et les réassureurs à des choix cornéliens. Augmenter les primes pour équilibrer les comptes a pour conséquence d’exclure les preneurs les plus pauvres et aussi d’ébranler la confiance, ingrédient essentiel de l’activité. Dans un texte qu’il vient de publier sur le blog The Climate Brink, le climatologue Andrew Dessler pointe la situation critique que rencontrent déjà une partie au moins des assureurs en Californie, en Louisiane et en Floride. Dans ce dernier État, vulnérable s’il en est, le coût moyen d’une assurance habitation atteint déjà 6 000 dollars, contre 1 700 dollars sur l’ensemble des États-Unis. Lorsque les assureurs privés se retirent, l’obligation d’assurance contraint l’État à devenir assureur par défaut, alors qu’il n’est pas outillé pour ce rôle.

Andrew Dessler rappelle que l’assurance est une pierre angulaire de l’économie et que si elle vient à faire défaut, des processus périlleux risquent de s’enclencher : une couverture lacunaire a pour effet de réduire la valeur des propriétés, ce qui diminue les revenus que les institutions territoriales tirent de la taxe foncière, limitant les investissements qu’elles peuvent engager et affectant négativement l’attractivité des régions concernées : « À la fin, les banques, stations-services et épiceries s’en vont et les seuls résidents à rester seront ceux trop pauvres pour partir ». Il conclut : « Les compagnies d’assurance sonnent l’alarme – il est grand temps de tenir compte de leur avertissement ».

Il y a quatre ans, ces Chroniques abordaient cette problématique émergente sous le titre « Un monde inassurable ». En juillet dernier, Les Échos publiaient une tribune de l’économiste Jean-Marc Vittori portant précisément ce titre. Il y soulignait « les effets potentiels gigantesques » que l’élément climatique constitue pour le secteur.

Jean Lasar
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