Journal d'une femme de chambre

Les bourgeois, c'est comme des cochons...

d'Lëtzebuerger Land du 29.11.2001

Un siècle, ou presque, avant que Sophie Calle ne suive les traces de clients d'hôtels pour se faire une idée de leur personnalité et de leur vie intime, Célestine savait déjà les vices des bourgeois qui l'employaient. Célestine est une femme de chambre créée par Octave Mirbeau en 1900 dans son roman Le Journal d'une femme de chambre - qui sera e.a. porté en 1964 à l'écran par Luis Buñuel. Célestine aime à observer les détails, caresser les soies, frôler les riches dentelles, jouer avec les chiffons, nettoyer l'argenterie, participer un tant soit peu à toute cette richesse. Mais elle aime aussi voir tomber les masques, observer les patrons qui se rasent ou brosser les cheveux de ses patronnes, les voir toutes nues durant leur bain, lorsqu'elles deviennent « autre chose que des patronnes ». 

Car ce 14 septembre-là, lorsqu'elle arrive dans la demeure de ses nouveaux patrons, en province cette fois-ci, dans un bourg normand, la Parisienne qu'elle est en est à son douzième poste en deux ans, « sans pouvoir jamais me fixer nulle part, faut-il que les maîtres soient difficiles à servir maintenant ! » Et elle sait déjà que ce qui l'attend, ce ne sera rien que des ennuis, avec un patron ou son fils vicieux, une patronne hystérique et vaniteuse, pleine de caprices et de mépris envers le personnel, des collègues méfiants ou mal intentionnés, car « les embêtements, c'est le plus clair de notre temps ».

Un siècle plus tard, la condition humaine, celle de la classe ouvrière ont-elles changé ou  pas ? Marc Olinger indécis, veut bien tracer  quelques parallèles, mais pas trop. Au Studio-Brasserie du Théâtre des Capucins, il vient de monter une mise en espace du Journal d'une femme de chambre, comme un écho ou un complément à la grande production du Capucins à Wiltz cette année (et reprise cette semaine au Capucins) : Les affaires sont les affaires d'Octave Mirbeau. Et comme une mise à distance, comme pour bien montrer au public qu'il s'agit d'une pièce historique, il opta pour des costumes et un décor historiciste. Pourtant, la langue que parle Célestine est d'une simplicité sans âge. Du texte, fortement réduit, Marc Olinger et Valérie Bodson, l'actrice, gardèrent les grandes lignes d'une histoire individuelle, une histoire d'amour aussi, une grande importance étant accordée à la description de maints détails du faste et de la mesquinerie de la bonne société.

Et on aura apprécié de voir - enfin ! - Valérie Bodson jouer. Trop souvent encore elle est étriquée dans des rôles de jeune première, genre sois-belle-et-tais-toi ! En costumes de préférence. Dans Après la pluie de Sergi Belbel la saison passée, puis, plus récemment, dans Saut à l'élastique de Jaan Tätte, elle avait quelques rares opportunités de montrer un jeu plus contemporain. Déception donc lorsqu'elle monta sur scène en Célestine en costumes d'époque, mais cette première déception s'estompa vite, puisque Valérie Bodson sait tirer toutes les ficelles de son jeu si naturel et spontané pour suivre Célestine dans ses joies et ses peines quotidiennes. 

Fatiguée, malade, lasse du travail, sa Célestine retrouvera une partie de son énergie en s'amourachant de Joseph, le chauffeur sans scrupules. En toute simplicité, Valérie Bodson mime son enthousiasme à la perspective de ce nouveau bonheur, à cette perspective tout court. Une robe de jour noire, une robe de nuit blanche, des bottines et une longue tresse blonde, un bureau, un lit aux draps rouge sang ou un bouquet de fleurs lui suffisent pour changer d'humeur, pour remplir l'espace tout entier. Laissez-la donc jouer plus souvent !

Toutefois, dans le choix du Capucins, toute la partie politique et idéologique de l'oeuvre de Mirbeau est sinon occultée, du moins réduite à la portion congrue : ni son anti-cléricalisme ou ses convictions anarchistes, ni son communisme avant l'heure , ni sa lutte - en tant que dreyfusard - contre l'antisémitisme et la xénophobie en ces années d'avant la Première guerre mondiale ne sont véritablement travaillés... Ces thèmes toutefois restent tout autant d'actualité que les vices de la bonne société. Mais la volonté du théâtre des Capucins était de permettre de « mieux cerner l'oeuvre de Mirbeau, » pas forcément de faire du théâtre politique. Dommage.

 

josée hansen
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