wort.lu

La logique du flux

d'Lëtzebuerger Land du 19.12.2002

Une demi-heure après l'accident d'avion du 6 novembre dernier déjà, vers 10h45 du matin, les deux principaux sites d'information au Luxembourg, www.wort.lu et www.rtl.lu se sont effondrés. Trop de demande en même temps. Les deux rédactions ont alors rapidement remplacé leurs pages d'accueil ordinaires, très complexes, avec de nombreux éléments et animations, par de simples pages html, contenant uniquement l'information brute, actualisée au fil du jour, sur l'accident. C'était un peu leur 9/11 à eux - toutes les pages web des grands médias américains avaient crashés suite à de trop nombreux recours d'internautes du monde entier. Et cela a confirmé, si besoin en restait, qu'il y a une réelle demande d'information dans le web, aussi au ou sur le Luxembourg.

«Ce que nous savons, c'est que les gens ne sont pas prêts à payer pour l'information dans le web,» explique Roland Arens (39), chef de rubrique à wort.lu. Avec six rédacteurs, ils constituent la seule vraie rédaction en-ligne du paysage médiatique national. Et Roland Arens d'insister: «nous produisons un véritable journal Internet, pas simplement une version Internet du journal papier. En fait, notre bouclage, c'est toute la journée.» La première mise à jour du site a lieu à sept heures du matin, avec les principaux papiers des journaux Luxemburger Wort et Voix du Luxembourg, plus les éventuels scoops de la radio DNR, puis suivent des actualisations en continu avec des articles rédigés par les journalistes de wort.lu, au fur et à mesure des événements. Vers 16 heures, la rédaction envoie une newsletter à quelques centaines d'abonnés reprenant les points forts de l'actualité de la journée, la dernière actualisation a alors lieu vers 20 heures, avant que le dernier rédacteur ne parte. 

Dans un certain sens, le journalisme Internet combine les caractéristiques des médias chauds, rapides, que sont la télévision et la radio avec celles du média froid, plus complet et analytique, qu'est la presse écrite. «C'est exactement ce qui me fascine dans ce métier, estime Roland Arens, nous sommes rapides et pouvons réagir immédiatement à l'actualité, mais en même temps, nous produisons quand même un texte, nous pouvons véritablement travailler avec la langue.» La rédaction est composée de jeunes journalistes qui doivent maîtriser toutes les techniques, texte, audio, film et photo: le site offre des extraits de bandes sonores, par exemple du DNR, que le rédacteur doit pouvoir couper lui-même, les photos sont prises et traitées par le journaliste, tout comme quelques minutes de film peuvent être offertes en streaming. La moyenne d'âge de la rédaction explique peut-être pourquoi wort.lu peut parfois défendre des positions plus libérales que le grand frère, le Luxemburger Wort, phénomène qui se constate surtout sur les questions de société.

En ligne depuis 1995, d'abord timidement, pour marquer sa présence, puis, depuis avril de cette année, avec un redesign complet, le Groupe Saint-Paul (GSP) doit néanmoins constater, comme tous les autres médias en-ligne, qu'il est encore impossible d'atteindre un seuil de rentabilité avec un site Internet. «Nous sommes d'avis qu'un grand journal comme le Luxemburger Wort doit tout simplement avoir une présence sur le web qui soit digne de sa tradition,» affirme le responsable de la rédaction. Si les internautes ne sont pas encore prêts à payer l'information, ils délient par contre leur bourse beaucoup plus facilement pour des produits annexes: wort.lu offre des alertes SMS, en collaboration avec l'opérateur Tango, pour lesquelles les gens sont prêts à dépenser 35 cents par message d'information nationale ou internationale, voire pour la météo du lendemain et 20 cents pour un message avec une recommandation pour le programme de télévision du soir. La version téléchargeable pour son PDA est gratuite pour l'utilisateur mais sponsorisée par Mobilux. 

La publicité sur les pages web d'information générale est encore très rare. Actuellement aussi bien wort.lu que rtl.lu (plus orienté entertainment) vous font sauter une publicité pop-up agaçante d'une marque de voiture dans la figure, une autre campagne marquante était celle de l'armée, avec une cible mobile glissant sur le texte, mais en règle générale, cela se réduit à des bannières soit horizontales, soit verticales, ou à des boutons dans la page. La régie publicitaire de wort.lu est assurée par la société eleven, filiale à cent pour cent de GSP. IPwebnet, régie publicitaire des sites de RTLGroup, estime que 0,6 pour cent seulement des investissements publicitaires luxembourgeois allaient sur le web en 2001. Ce qui équivaudrait à 500 000 euros entre janvier et décembre 2001 (source: International Key Facts - Internet 2002 édité par IP). 

«Le marché publicitaire du web se développe lentement, mais il se développe!» fait remarquer Roland Arens. Le plus difficile étant encore actuellement de «vendre» un public impalpable aux annonceurs: wort.lu affirme avoir entre 3 500 et 4 000 visiteurs par jour, mais il n'y a encore aucune instance de contrôle indépendante. Dans ses prévisions pour 2003, Steve Outing de editorandpublisher.com parle d'un «slow but steady recovery of the online ad sector, and gradual optimism on the part of web publishers». Frappés par la crise de la publicité qui a marqué l'année 2002 dans le monde, les médias américains ont eux aussi cherché des sources de revenu alternatives. Le grand débat dans le milieu des éditeurs en ligne étant actuellement de choisir quelle information doit rester gratuite et laquelle peut véritablement se vendre sur la toile. Selon l'Online Publishers Association américaine, les consommateurs auraient dépensé au total 975 millions de dollars en contenu en ligne durant les premiers mois de 2002, mais seulement quinze pour cent proviendraient de la vente d'information. 

En mai de cette année, lemonde.fr a lancé une version «abonnés» sur son site, complétant, pour cinq euros par mois, l'offre en information des pages gratuites. Le journal le plus visité sur le web francophone parmi les sites d'information (6,2 millions de sessions en mars 2002) a également ouvert ses archives au grand public, avec quelque 800 000 articles remontant jusqu'à 1987. Mais l'accès y est quasi prohibitif: 2,5 euros pour un article alors que le journal papier ne coûte que 1,2 euro; même en optant pour des packages aux prix dégressifs (25 articles pour 20 euros), c'est encore très cher.

Bruno Patino, directeur général du Monde interactif, espère que «dans un horizon de deux à trois ans, le paiement soit à l'acte, soit par abonnement, représentera un tiers du chiffre d'affaires» de la société (cité dans Le Monde du 16 avril 2002). En 2001, l'achat d'archives et de journaux téléchargés au format PDF a représenté cinq pour cent du chiffre d'affaires. Après une période de générosité et de gratuité, presque tous les médias en ligne en sont venus à restreindre l'accès à leurs archives en les rendant payantes. Si les éléments de flux restent gratuits, ce sont les éléments de stock qui se payent. 

«Nous n'avons pas encore de 'dépôt numérique' au Luxembourg, regrette Jean-Marie Reding, bibliothécaire responsable des périodiques à la Bibliothèque nationale, notre directrice s'engage pour que le règlement grand-ducal du 10 août 1992 sur le dépôt légal soit modifié et étendu aux publications électroniques, mais ce n'est pas encore acquis.» L'archivage des produits online n'est pas encore évident, surtout techniquement: comment garder ou répertorier des pages web? 

Actuellement, les informations passent sur les sites Internet - que ce soit wort.lu, rtl.lu ou tageblatt.lu (les autres sites Internet de journaux reprennent surtout les articles de leurs version imprimées; la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek et Le Quotidien étant les deux seuls journaux luxembourgeois à ne pas avoir de présence Internet du tout -, et on n'en garde guère de traces.  Seules les rédactions elles-mêmes archivent leurs articles. La rédaction de wort.lu est en train d'essayer de développer un accès à ses archives électroniques. Dans une première phase, ce projet concerne uniquement les articles publiés sur le site. 

«Mais beaucoup de gens nous contactent pour savoir comment accéder aux archives de tout le Luxemburger Wort, dit Roland Arens. Il n'est pas exclu que nous les ouvrions, mais c'est extrêmement difficile à élaborer. Nous ne le ferons certainement pas gratuitement, donc il faut encore trouver un système pour facturer de très petits montants, par exemple l'article à l'unité.»

 

 

 

 

 

 

josée hansen
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