Organisé par Luxembourg Streetphoto Collective, le Light Leaks Festival s’est tenu le week-end dernier. Impressions

De la gare à la gare

d'Lëtzebuerger Land du 23.05.2025

2 500 personnes s’y étaient ruées l’an passé, le voilà revenu, le Light Leaks Festival, événement important de la photographie contemporaine. Cette neuvième édition incarnant la fin d’un cycle et le commencement d’un autre est bien trempée dans la symbolique de renaissance. Cette année, tout, ou presque, a été redéfinit.

Les Rotondes en travaux, pour une durée qu’on entend comme incertaine, le Light Leaks Festival 2025 et ses rêveurs du déclencheur se sont vus forcés de penser leur rendez-vous différemment. Les voilà donc investir les jardins bitumés du centre culturel de Bonnevoie ainsi que son bar, mais aussi son voisinage avec pour sujet la gare. Sa passerelle, ses couloirs, son parvis sont aussi des espaces d’exposition. Dans cette jungle urbaine, monde des départs et des arrivés, lieu de délivrance, de mélancolie, ou d’errance, le Festival de la photo citadine fait se percuter les regards face au tumultueux quartier de la Gare et sa mosaïque humaine. Sans se démonter par les contraintes, et quitte à ne pas disposer de « withe cube », l’équipe du Light Leaks Festival n’a pas abandonné sa folie des grandeurs et dans sa programmation conférencière. Ils ont invité un panel international de photographes composé du Canadien Greg Girard, de la Russo-Américaine d’origine arménienne Diana Markosian, de la Française Éléonore Simon et du Finlandais Markus Jokela. Un véritable G4 de la photographie documentaire, autour de quatre visions photographiques de notre monde très différentes.

Au-delà du prestige international, les organisateurs ont conservé un ancrage local en confiant l’exposition centrale à leurs membres Nathalie Bernard, Éric Engel, Giulia Thinnes, Tom Herz, Patrick Hoffmann, Marc Erpelding, Gilles Kayser, Paulo Lobo et Viktor Wittal. Ceux et celles-ci font vivre des cimaises faites de bâches et d’échafaudages par des photos racontant le quartier de la gare. Au-delà des histoires « éditées », ce qui frappe c’est ce vécu qui grouille partout dans les images. À l’exemple de deux photos de Viktor Wittal plaçées face au bâtiment administratif des Rotondes, se répondant comme si l’une était la suite temporelle de l’autre. On y voit le dur et le magnifique d’un quartier à l’histoire parsemée de péripéties. En témoignent également les photographies sélectionnées par la Photothèque de la Ville et Christian Aschman, photographe et commissaire de l’exposition Around the central station qui se loge sur la passerelle de la CFL. Des images d’un autre temps, agencées par une ville qui s’expose elle-même, faisant récit documentaire, sans filtre.

L’œil d’une jeunesse est aussi mis à l’honneur, avec le travail de d’élèves des Lycées des Arts et Métiers et Aline Mayrisch. Sur les murs de taules des Rotondes, les adolescents ont pu montrer leur vision du quartier. La photo de Lou Chaussy nous a particulièrement marqué : spontanée et sur le vif, elle capte un contre sens chromatique et narratif, fidèle à l’attraction que provoque la photographie de rue, tentant de capter la présence humaine dans une situation inhabituelle.

C’est aussi l’objet de la collaboration artistique de Liz Lambert et Dirk Mevis qui signent ensemble The Rock in the River, une installation vidéo et photo qui occupe le Cube et le Loop de la Buvette des Rotondes. Un trip dans le quartier Gare, rendu possible par l’association de leurs pratiques artistique totalement opposées. Lui, travaillant en analogique sur le grand format, quand elle au smartphone s’attache à des détails. Et la sauce prend franchement, on voit dans leur double installation un discours vibrant autour d’un quartier où les histoires individuelles se croisent sans se rencontrer, à l’image du concept anthropologique du « non-lieu » : « Un espace de passage interchangeable où l’être humain reste anonyme ».

Le paradoxe de cette année, se figure dans sa mise en abime. En occupant le quartier de la gare en y exposant des photos de celui-ci, les photographes du Light Leaks Festival 2025 font se heurter leurs sujets avec leur propre représentation photographique sur le territoire même des prises de vue. C’est à la fois génial et alambiqué, car dans un sens, cette exposition archi urbaine semble presque anodine aux yeux des passants, passe légèrement inaperçue. Elle est si ancrée dans le décor qu’elle se fige dedans. Les images exposées en pleine place publique façonnent une nouvelle architecture de ce bout de ville que les badauds adoptent aisément. Peut-être que cela fonctionne en un tout, comme si l’image photographique, coutume désormais quotidienne pour chacun de nous, se normalise dans sa monstration. Mais évidemment, comme une exception confirme toujours la règle, il advient de noter l’histoire de la photo d’ouverture de l’exposition, censurée par son sujet, lui-même, pour une histoire de cigarette au bec (la photo a été retournée et masquée pour les organisateurs, par respect pour le droit à l’image de la personne). Comme quoi, la photographie se prend à volo, mais ne s’assume pas toujours à être montrée.

Nous n’avons pas évoqué le projet « Mäi Quartier », sur base d’appareil jetable donné aux résidents du quartier ; du traditionnel Open Wall, cette fois logé à côté du bar comme un symbole ; et du Bazaar, marché des initiés… Alors, si le Light Leaks Festival fait en une semaine, tout au plus, ce que certaines structures publiques peines à réaliser en trois mois, on peut se demander si un tel programme est bien raisonnable en si peu de temps. S’il n’y pas trop. Et en même temps, ce trop témoigne d’une certaine essentialité à montrer et à voir. Les zigzags que prennent chaque photographe – pro ou amateur – face à un même sujet le montre bien, tous et toutes ont autre chose à en dire, chaque photo est un témoignage unique et le Light Leaks Festival formule d’année en année son manifeste photographique.

Godefroy Gordet
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