Pour bien achever notre drôle d'année 2002 de manière scénique, une coproduction entre le Théâtre d'Esch-sur-Alzette et le Théâtre des Capucins a été présentée pour la première fois le 20 décembre dernier à Esch. Hugoethe, un titre a été donné à ce projet, un titre peut-être un peu trop facile. A priori, on sait dès le départ où on va, où mène cette noble commande du ministère de la Culture qui a été initiée par Claude Frisoni. En bref, à l'annonce dans le programme et pour ceux et celles qui ignorent Hervé Dubourjal et Jean-Claude Drouot, deux représentants du théâtre français, on a tendance à hésiter, mais si on aime le théâtre classique, amené par une idée originale, il est intéressant de voir cette pièce.
Il est question ici de Victor Hugo et de Johann Wolfgang Goethe, un drôle d'amalgame entre les belles lettres françaises et les belles lettres allemandes. Mais ce n'est rien d'innovant que de parler du couple franco-allemand et la réconciliation entre les deux grands européens s'est faite, et semble être un acquis.
Alors que peut nous proposer le texte de Jean-François Prévand de nouveau, que réinvente-il? Le genre est propre à l'auteur, il a déjà rapproché ou opposé Voltaire et Rousseau ou Camus et Sartre. Par ce biais, le public est placé au milieu d'une rencontre inédite entre les deux hommes-écrivains, deux grands fantômes de la littérature européenne, et c'est au Luxembourg, à Vianden exactement que s'affrontent et débattent Hugo, encore vivant et Goethe, devenu spectre depuis quelques décennies déjà.
Sur un fond sobre (une petite scène en triangle insérée sur le grand plateau), on assiste à une introduction de l'histoire de l'époque, la fin du XIXe siècle en France et à l'engagement littéraire et personnel de Victor Hugo. On passe par toutes les images sociétales, la famille (l'excellente Véronique Fauconnet incarnant la belle-fille Alice et Joël Delsaut jouant le rôle de François Victor Hugo, le fils cadet), les amis tel M. Pauly (Marc Olinger), la maîtresse (Julie Michaelis) et le curé (Roger Francel). Victor Hugo, quant à lui n'est pas joué, il est bel et bien Jean-Claude Drouot ou inversement.
La deuxième partie de la pièce replace les spectateurs dans un univers moins concret, un peu plus virtuel, celui d'une froide nuit de spiritisme, durant laquelle le vieillissant Hugo rencontre le fantôme brillant de Goethe (Philippe Noesen). Et ce n'est pas seulement «Faire parler les grands auteurs» que Hugoethe, il s'agit d'une belle pièce mise en scène par Hervé Dubourjal, bien jouée, sans trop de fioritures, qui reprend étonnamment les grands moments de la fondation de l'Union européenne, carrément.
Avec le bicentenaire de Hugo, Prévand a réécrit les relations déchirantes que sont celles qui appartiennent à l'histoire européenne. Et sincèrement, où mieux qu'au Luxembourg, dans ce drôle de petit microcosme européanisant (en 1871 exactement) pouvait-on placer les déboires entre les deux cultures, les plus antagonistes et en même temps les plus caractérielles, représentées par les deux grands symboles des courants romantiques allemand et français?
Hugoethe de Jean-François Prévand, mis en scène par Hervé Dubourjal sera encore joué les 9, 10, 11 et 17 janvier 2003 à 20 heures au Théâtre des Capucins. Réservations au téléphone 22 06 45.