Uber

Seattle veut que les chauffeurs Uber puissent se syndiquer

d'Lëtzebuerger Land du 18.12.2015

La plateforme de transport de passagers à la demande Uber a envoyé à ses 400 000 chauffeurs aux États-Unis une lettre révisant son accord de coopération avec eux, qui les contraint, s’ils veulent continuer à offrir leurs services via la plateforme, à renoncer à engager des poursuites contre lui en justice ou à participer à des class actions. En cas de conflit, les chauffeurs sont invités à recourir à des arbitrages privés. Envoyé par mail, cet accord s’étendant sur 21 pages les invite à marquer leur accord par retour de mail. Cependant, enfoui au fond du texte, figure une phrase qui prévoit un dispositif d’opt-out : endéans les trente jours, les chauffeurs peuvent choisir de ne pas se soumettre à ce mécanisme d’arbitrage, Uber s’engageant à ne pas pénaliser ceux de ses chauffeurs qui choisiraient cette voie. Uber a cependant tenu à préciser que ceux de ses chauffeurs déjà engagés dans une class action reconnue n’étaient pas concernés par le nouvel accord – sans doute pour ne pas s’exposer au reproche de vouloir l’emporter à l’aide d’une modification a posteriori du contrat.

Deux jours plus tôt, une décision de justice portant sur une version précédente d’un accord semblable avait précisé que les chauffeurs pouvaient participer à des class actions même s’ils décidaient de ne exercer la possibilité de l’opt-out. Cette décision concernait l’ensemble de la Californie et ses 160 000 chauffeurs Uber, ouvrant la voie à une class action portant sur la classification des chauffeurs comme contractuels, comme le soutient Uber, ou comme employés, comme le voient les plaignants. L’accord diffusé vendredi semble avoir été réécrit pour être plus contraignant – c’est-à-dire pour couper plus efficacement l’herbe sous le pied à toute tentative de class action future.

Comme l’a montré une récente enquête du New York Times, qui citait l’exemple du contrat relatif à la carte American Express, il existe aujourd’hui une tendance lourde parmi les grands groupes américains pour privilégier l’arbitrage privé par rapport à la justice classique. American Express peut « choisir de résoudre toute réclamation par voie d’arbitrage individuel », précise le contrat qui lie la société aux utilisateurs de ses cartes de crédit. Ce n’est donc pas l’apanage exclusif d’Uber, ou de l’économie « à la demande », de vouloir se mettre à l’abri des tribunaux et des class actions redoutées en recourant à des arbitrages.

Comme on le voit, en tant qu’employeur – terme qu’il récuse vigoureusement à l’égard des chauffeurs, estimant qu’il se contente de mettre ceux-ci directement en contact avec les personnes désireuses de se faire transporter – Uber se montre sous un jour passablement agressif, y compris aux États-Unis qui sont peut-être son marché natif mais où ses méthodes peu orthodoxes ne sont pas pour autant nécessairement acceptées sans coup férir.

Il n’y a pas que les tribunaux auxquels se frotte Uber, il y a aussi des collectivités locales américaines qui prennent des initiatives le visant, lui et ses concurrents comme Lyft, étendards de cette économie « à la demande » qui utilise les smartphones pour mettre en contact dans les domaines les plus divers ceux qui offrent un service et ceux qui le consomment. Ainsi le conseil municipal de Seattle a-t il adopté il y a quelques jours un règlement garantissant aux chauffeurs Uber le droit de se syndiquer.

Il peut paraître surprenant qu’une ville américaine choisisse d’intervenir dans ce domaine, surtout une ville comme Seattle fière d’accueillir de nombreux géants d’Internet et une scène foisonnante de startups. En tout cas, le règlement, appelé par certains « Voice for Drivers », a été adopté à l’unanimité : il s’agit d’un dispositif astucieux pour contourner la législation fédérale qui a jusqu’à présent empêché les chauffeurs d’Uber, de Lyft et des services semblables de s’organiser. Uber a promptement qualifié ce règlement de « tout simplement illégal ».

Jean Lasar
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