Pour comprendre ce qu’est la performance art, il faut plonger un peu dans sa théorie, dans ses définitions. Elle est multiforme, ses acceptions sont nombreuses, souvent selon ses origines ou contextes socio-politiques

Sexy, la performance art ?

d'Lëtzebuerger Land du 01.09.2023

Plusieurs termes dans l’art contemporain occidental décrivent les différentes formes de performances. La « performance concrète » est une action artistique face à un public ; la « manœuvre » désigne une tentative d’infiltration de l’artiste dans son environnement ; le « happening », introduit par Allan Kaprow et inspiré par John Cage ; la « poésie-action », suggérée par Julien Blaine et Bernard Heidsieck, combine le texte et la présence physique ; le « body art » des années 60 et 70 cherche à explorer les limites physiques. Par ailleurs, d’autres traditions, comme l’art javanais contemporain, introduisent des concepts tels que le Jeprut, une action comportementale non prédéfinie.

La représentation en performance pose des défis, comme le débat sur la nature ou le terme « spectacle », soulevé par des artistes comme Allan Kaprow et des théoriciens comme Guy Debord. Le concept de performance s’est élargi depuis les années 70, notamment avec l’émergence des « performances studies » de Richard Schechner et Barbara Kirshenblatt-Gimblett. La notion de « performativité » évoque l’idée que toute action peut être une performance. Les travaux de John Langshaw Austin et Jacques Derrida ont évoqué le rôle du langage dans ce potentiel de performance.

Dans le monde de la performance, le langage peut jouer un rôle, mais le corps en joue un primordial : notamment la violence des gestes à l’égard du corps. Par exemple, en Indonésie, les premières actions performatives ont émergé dans les années 1960 déjà, dans un contexte de révoltes étudiantes qui revendiquaient leur opposition face aux décisions politiques. Le but était d’interroger la conscience sociale. Ces révoltes ont fait apparaître des nouvelles formes d’expression. À cette époque, le terme performance art ou art performance n’était évoqué que par « art expérimental », il s’agissait de toutes les formes d’expressions artistiques possibles, mais non traditionnelles. Toutefois, la langue indonésienne a répertorié le terme sous trois appellations : Jeprut, Perengkel Janequi et Blah Blah War. Jeprut est l’exécution d’un geste inhabituel qui va à l’encontre des pensées courantes. Un geste où le protagoniste crée une rupture par rapport à la continuité. Perengkel Janequi est un mouvement contorsionné ou tordu en relation directe avec le corps. Blah Blah War est une action de poésie qui contrecarre la guerre ou tout combat armé. Depuis le début des années 2000, suite au Jakarta International Performance Art Festival, le terme performance art a également été adopté en Indonésie.

Aujourd’hui, de manière générale et au Luxembourg en particulier, la performance art devient sexy. Tous les musées semblent en demander. Tous les musées ou centres d’art souhaitent dépasser ou bousculer les limites de l’art contemporain conventionnel. Joel Valabrega, qui a une formation en architecture, sait que la performance se place dans un espace donné, joue avec celui-ci, interagit avec le public, le bouscule au mieux, le dégoûte au pire et reste un acte éphémère. « Mais une performance art se doit de créer un conflit interne, presque un choc immédiat ou à contre-coup. Je suis intéressée dans la performance art, sous l’angle de la catastrophe, du bouleversement, je ne suis moi-même directement ni engagée politiquement, ni activiste, mais je m’interroge sur ce qui se passe dans le monde, comment on zappe les catastrophes, les unes après les autres, comment moi-même je le fais », confie-t-elle.

En tant que chargée de création de programme spécifique de performances au Mudam, elle a une vision : « Je veux laisser aux artistes performers, dans le programme que j’organise, une place pour une forme d’étreinte et d’acception de cette catastrophe annoncée, la nôtre. » Et elle avertit : « La performance art est sexy, mais les musées ne se rendent pas parfois compte des contraintes de production, du contexte de l’accueil des artistes performers, de leurs accessoires à considérer, tels des œuvres d’art, des besoins techniques, mais aussi humains. Cela demande un budget et une préparation. » Un an après son arrivée au Mudam en 2020, elle réalise un projet intitulé Illusion of an End, dédié à la performance art, pendant deux semaines. Elle se souvient que c’était dur et que l’équipe n’était pas encore très bien préparée. Cette expérience leur aurait permis d’apprendre ce qu’il faut pour ce genre d’événement et cette forme d’art éphémère. « Cette année, le programme s’étalera sur trois mois, cela sera une exposition autour et incluant la performance art After Laughter Come Tears – a performative exhibition in four acts. Le public y sera appelé à la participation active. La performance art prend de la place », conclut Joel Valabrega.

C’est une bonne perspective. Les performances art suscitent une réaction auprès du public luxembourgeois et elles offrent une possibilité de discussion autour de sujets liés à la société et à son devenir, plutôt catastrophique ; une discussion souvent manquante.

Dans le prochain et dernier volet de cette série sur la performance art, les propositions contemporaines, principalement dans le contexte luxembourgeois, seront considérées et analysées. Il y en a eu, il y en a et il y en aura, notamment inscrites dans les programmes des différentes institutions culturelles : Mudam, Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, Konschthal à Esch-sur-Alzette, Spektrum de Rumelange. Et aussi dans celui du Cercle Cité dont la directrice et curatrice Anastasia Chaguidouline invitera, entre autres, l’artiste Trixi Weis dans le cadre de l’exposition collective, intitulée Hors d’Œuvre, à performer son Economy Class.

On posera le regard sur les différentes propositions professionnelles en performance art, des coups de communication, qui existent en tant qu’électrons plus libres. Qui sont les artistes performers ? Y en a-t-il qui ne font que des performances art ou font-elles partie de leur travail plastique et visuel ? Qui sont ceux qui mettent en place des performances art, c’est-à-dire les curatrices et les curateurs locaux ? Les moyens techniques, logistiques et financiers sont-ils adéquats dans ce contexte, pour cette forme d’art qu’on considère comme périphérique parce qu’éphémère ?

Karolina Markiewicz
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