L’École de la deuxième chance s’installera à Hollerich dès la rentrée prochaine, pour pouvoir repêcher jusqu’à 150 élèves en décrochage scolaire

Petits bouts de chemin

d'Lëtzebuerger Land du 23.09.2011

À peine six mois après le démarrage de l’École de la deuxième chance, son directeur Carlo Welfring voit grand. En ce moment, il doit encore se contenter des locaux tristes et vétustes du vieux lycée de Pétange pour ses 33 élèves et une poignée d’enseignants et éducateurs, mais dès que le Neie Lycée aura terminé sa mue et se sera métamorphosé en Lycée Ermesinde de Mersch, il pourra lui aussi déployer tout son potentiel et s’installer provisoirement à Hollerich.

Car, à côté du Neie Lycée et Eis Schoul, son école est un des trois projets pilotes lancés par la ministre de l’Éducation nationale, Mady Delvaux-Stehres (LSAP). Il ne lui reste donc que quelques années avant un éventuel changement de tête au ministère pour faire ses preuves et rendre son école indispensable dans le paysage scolaire luxembourgeois.

Le parallélisme avec le Neie Lycée ne s’arrête pas là, car le concept pédagogique de l’école de la deuxième chance s’en est aussi inspiré, avec les journées continues de 33 heures par semaine. Les locaux de Hollerich et leurs alentours permettront le développement du concept « formation et production » en alliant la théorie et la pratique dans les secteurs de l’horticulture et de la restauration. À Pétange, l’enseignement pratique est orienté vers les formations de peintre-décorateur ou électricien, aide cuisinier, aide aux personnes – avec des débouchés dans les garderies d’enfants ou dans les maisons de retraites –, dans la vente ou des salons de coiffure. S’y ajoutent des stages en entreprise de huit semaines, dont quatre pendant les vacances scolaires.

Pour être admis à l’école de la deuxième chance, les candidats doivent passer une phase d’observation : un entretien personnel avec une évaluation des compétences pour voir à quel niveau scolaire se trouve le jeune – en mathématique, en communication orale et écrite, en formation pratique. Car certains n’ont plus fréquenté l’école depuis longtemps après la fin de la scolarité obligatoire et ont beaucoup perdu en cours de route. Aujourd’hui, ils ont entre 17 et 24 ans. Pour trois d’entre eux, c’était la première fois qu’ils ont remis les pieds dans un établissement scolaire depuis trois ou quatre ans.

Les compétences sociales et la motivation des candidats jouent donc aussi un rôle. C’est la raison pour laquelle leurs comportements en groupe jouent un rôle aussi important que leurs antécédents scolaires pour être admis à la nouvelle école. « Il faut aussi connaître les raisons de leur décrochage scolaire, ajoute le directeur Carlo Welfring, souvent, ils ont dû faire face à des problèmes sociaux, des difficultés en famille, à l’école, ou bien ils ont eu des problèmes de santé, d’addiction etc. » Un lourd bagage social qui a rendu insupportable la vie de l’adolescent à un moment donné de son cursus. Pour les enseignants, travailler avec ces jeunes exige aussi des compétences sociales et personnelles hors du commun, des capacités d’écoute et de patience par exemple, qui ne sont pas enseignées dans les manuels pédagogiques. Carlo Welfring considère les relations humaines entre élèves et enseignants comme prioritaires. L’erreur serait de faire de l’école de la deuxième chance une copie conforme du système auquel ces jeunes ont tenté d’échapper une fois déjà.

Des 43 candidats évalués au départ, 36 ont finalement été admis à l’école de la deuxième chance en mars 2011. Avant la rentrée cette semaine, ils étaient trois en classe préparatoire à l’admission en troisième G, onze avaient atteint le niveau de neuvième polyvalente, onze de neuvième pratique. Huit sont dans des formations à l’insertion professionnelle en collaboration avec l’Adem et trois ont abandonné.

Le problème majeur auxquels les enseignants sont confrontés dans leur travail quotidien, c’est le taux élevé d’absentéistes. « Beaucoup ont été laissés pour compte par leurs parents, explique Carlo Welfring, ils n’ont jamais appris les normes élémentaires pour pouvoir fonctionner dans la société qui exige un minimum de rigueur et de connaissances des règles du jeu. » Selon lui, l’absentéisme est bien plus qu’une simple forme de paresse ou de je-m’en-foutisme, c’est le point de départ du phénomène de décrochage scolaire. Un sujet qu’il faudrait davantage thématiser en matière de politique de l’Éducation.

Les retardataires chroniques, les absences répétées sans se décommander, les oublis d’affaires de classe, les manques de préparation etc. ne sont donc pas tolérés. À 8:15 heures, l’élève doit s’attendre à un coup de fil de la part de l’école, qu’il le ressente comme du harcèlement ou pas, tout dépend de lui, car il n’est pas forcé à fréquenter l’école. Arriver à l’heure ou informer les enseignants de son absence font partie des engagements de l’élève vis-à-vis de l’institution, chargée de lui donner un coup de pouce pour reprendre pied dans la société. « D’un autre côté, il faut faire attention à ne pas trop moraliser, insiste le directeur, c’est la raison pour laquelle le contrat général d’école est un instrument précieux. Il sert entre autres à prévenir l’absentéisme. » C’est d’ailleurs aussi l’avantage du volontariat, l’inscription est individuelle, lettre de motivation à l’appui, chacun doit venir se présenter personnellement.

Faut-il pour autant que le candidat ait galéré pendant un certain temps pour qu’il prenne conscience de l’importance d’une formation solide ? « Nous n’avons pas de règles fixes en la matière. Tout dépend de la motivation individuelle de chaque personne, répond Carlo Welfring, nous nous attendons par exemple à recevoir des nouvelles candidatures à la fin du trimestre, car certains élèves se trouvent en ce moment sous admission conditionnelle dans leur lycée. S’ils ne réussissent pas à atteindre un certain niveau de notes, ils doivent le quitter et il se peut qu’ils s’adressent alors à nous. » Une aubaine pour certains dirigeants de lycée qui flairent l’occasion de se défaire de certains élèves particulièrement pénibles, ce qui ferait de l’école de la deuxième chance une sorte de dépotoir pour les cancres ? « Nous faisons les admissions sur dossier, insiste le directeur, nous ne sommes donc pas obligés de prendre automatiquement tous les candidats. Et d’un autre côté, je suis d’avis qu’il vaut parfois mieux de ne pas les laisser sur la pente glissante pendant des mois. »

Ils ont tous une chose en commun : le manque de confiance en eux. Ils ont 19,3 ans en moyenne et n’ont strictement rien en poche qui vaille sur le marché du travail. Zéro perspective. Leur environnement n’est pas meilleur, les parents souvent divorcés et les ménages mal recomposés. Déracinés, ils ne retrouvent plus leur place et perdent leurs repères. Ils n’ont ni la force psychologique, ni les diplômes nécessaires pour faire leur petit bout de chemin en se débrouillant seuls.

Or, jusqu’à 24 ans, ils n’ont pas droit au revenu minimum garanti (RMG). Mais ils peuvent recevoir une aide financière comme l’indemnité à la formation : un subside de 130 euros par mois pour les moins de 18 ans, 900 euros pour les adultes jusqu’à 24 ans, sous condition qu’ils soient éligibles au RMG.

L’offre scolaire de l’école de la deuxième chance se compose de trois volets. D’abord, la certification des compétences du cycle inférieur de l’EST. Ensuite, le développement de passerelles vers la formation des adultes : l’apprentissage adultes et la classe préparatoire à l’admission en troisième G (cours du soir ou e-bac). Il n’est donc plus question de tenter de faire réintégrer l’élève dans le système scolaire traditionnel, comme l’avait pourtant annoncé la ministre lors de la présentation de son projet initial. « Nous ne voyons pas l’intérêt de mettre des personnes adultes dans des classes de quatorze, quinze ans en moyenne, » répond Carlo Welfring. C’est la raison pour laquelle il préfère développer une deuxième voie de formation, pour permettre aux candidats d’obtenir un certificat, un diplôme, la clé indispensable pour accéder au marché de l’emploi, « mais ce n’est pas juste une simple mesure anti-chômage », insiste-t-il.

La troisième composante de l’offre scolaire est la formation professionnelle. Pour l’année prochaine, l’école compte se donner un modèle pédagogique ayant comme objectif « d’intégrer les apprenants dans le système de la formation professionnelle des adultes à partir du projet intégré intermédiaire ». Concrètement, le défi principal est de trouver suffisamment de patrons d’entreprises qui veuillent s’associer au projet et former les élèves de l’école de la deuxième chance. « Nous sommes en train de créer une base de données avec les entreprises partenaires, explique le directeur. Actuellement, nous en avons 45, mais lorsque nous serons à Hollerich avec une capacité de 150 élèves, il nous en faudra dix fois plus. »

Les stages sont évalués, une heure de tutorat est prévue par semaine pour chaque candidat, avec trois missions : le suivi de l’apprentissage avec un portfolio à l’appui, le tutorat avec les parents – qui ont un rôle important à jouer dans la motivation du candidat, même adulte – et le suivi des stages, « non seulement par téléphone, mais par une présence physique du tuteur sur le terrain, dans l’entreprise, » insiste le directeur, mettant le doigt sur une des faiblesses du système « classique » de l’apprentissage en entreprise.

Il est trop tôt pour faire un bilan aujourd’hui. Rendez-vous en juillet pour faire le point et préparer le « vrai » départ dans les locaux de l’ancien Neie Lycée avec un contingent cinq fois plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui.

anne heniqui
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