Lutte contre les flux illicites de capitaux

Quinze pays en couleurs

d'Lëtzebuerger Land du 21.11.2014

Un ancien président français, réputé pour la verdeur de son langage, aimait à dire que les « les embêtements (il utilisait un autre mot), ça vole en escadrille ».

C’est ce qu’ont dû se dire certains dirigeants luxembourgeois, actuels ou anciens (suivez notre regard), en apprenant la publication le 12 novembre, soit à peine une semaine après les révélations LuxLeaks, d’un rapport intitulé « Profits cachés : le rôle de l’UE dans le soutien à un système fiscal injuste » où le Grand-Duché est scruté en compagnie de quatorze autres pays. De plus le document est dû à Eurodad (European Network on Debt and Development) un réseau de 49 ONG comme la CAFOD, Oxfam ou CCFD-Terre Solidaire qui n’ont jamais affiché, dans le passé, une sympathie excessive pour les pratiques en vigueur au Luxembourg.

Heureuse surprise, si l’on peut dire. Le Luxembourg, bien qu’épinglé, n’est pas le seul, et occupe même une place convenable en milieu de tableau, derrière les « mauvais élèves » qui ne sont pas ceux que l’on attendait. Le rapport compare les politiques mises en place dans quinze États de l’Union Européenne en matière de lutte contre l’évasion fiscale et l’opacité financière. Ils ont fait l’objet d’une appréciation sur quatre « points critiques ».

Le premier est celui de la dimension « juste et équitable » des conventions fiscales conclues avec les pays en voie de développement (la France en a signé 72 et le Royaume-Uni 66) qui se traduisent souvent par une forte réduction des taux d’imposition locaux alors que le produit de l’impôt sur les sociétés y est pourtant « désespérément nécessaire », « créant ainsi des circuits qui permettent aux entreprises multinationales de contourner l’impôt ».

Le deuxième touche la volonté d’assurer une meilleure connaissance des bénéficiaires, c’est-à-dire des propriétaires réels des entreprises, en mettant par exemple fin aux sociétés-écrans et aux trusts, car l’opacité « aide à échapper à l’impôt et à transférer les bénéfices ».

Troisième critère : la recherche d’une transparence accrue des activités économiques et des contributions fiscales des entreprises transnationales, le quatrième étant le soutien apporté à des solutions à l’échelle mondiale.

Le résultat est présenté sous la forme de trois couleurs (vert, jaune ou rouge) suivant que les pays étudiés satisfont de manière plus ou moins satisfaisante à ces critères. Globalement, la couleur jaune est largement dominante. Elle colore douze pays sur quinze en matière de conventions fiscales, neuf pour la transparence des bénéficiaires, onze pour le reporting sur les firmes transnationales et huit pour le soutien à la participation des pays les plus pauvres à des négociations sur les normes fiscales internationales. Au total quarante mentions sur soixante possibles, ce qui fait dire à une responsable d’ONG que « le résultat est très décevant. Les progrès sont extrêmement lents ». Selon elle, les pays étudiés « ne sont toujours pas parvenus à trouver des solutions à des problèmes qui coûtent deux milliards d’euros chaque année aux pays développés ainsi qu’aux pays en développement ».

Le rouge est mis à 18 reprises, principalement pour le critère « recherche de solutions » (sept pays). On le rencontre aussi cinq fois pour la connaissance des bénéficiaires effectifs et trois fois sur les deux autres critères. Avec à peine deux mentions, le vert est rare et ne concerne que la France, seule à satisfaire au critère des bénéficiaires et à celui du reporting. Mais par ailleurs elle écope de deux « cartons rouges » ! Parmi les pays que l’on peut qualifier de « relativement vertueux » avec quatre jaunes, on trouve la Belgique et trois pays de l’est (Slovénie, Hongrie, Pologne).

On lira par ailleurs (voir encadré) les appréciations détaillées portées sur le Luxembourg, dont le « profil chromatique » est identique à celui des Pays-Bas. Ces derniers ont eux aussi trois jaunes et un seul rouge, pour le même critère que le Grand-Duché, celui des bénéficiaires. Le Luxembourg reçoit une mention favorable pour avoir récemment « décidé de supprimer les actions au porteur anonymes, un instrument source de nombreuses critiques internationales », mais se trouve en même temps stigmatisé pour avoir introduit les trusts dans sa législation nationale, « ce qui ouvre la voie à de potentielles nouvelles formes de propriété anonyme pouvant remplacer celles en cours de disparition ».

Quatre autres pays (Danemark, République tchèque, Italie et Irlande) n’ont qu’un rouge, à chaque fois pour le quatrième critère, celui de l’appui à des solutions internationales. Les « bonnets d’âne » doivent être sortis pour cinq pays. La France, la Suède et le Royaume-Uni comptent deux rouges, quant à l’Allemagne et l’Espagne elles en affichent trois. Le CCFD-Terre solidaire, ONG française, se montre sévère avec son pays d’origine, déplorant que « la France, qui a longtemps été leader sur ces questions, semble faire machine arrière, désormais plus préoccupée par la compétitivité de ses entreprises multinationales ». La Suède et le Royaume-Uni sont tous deux en rouge pour la transparence de l’activité des multinationales, les Scandinaves en récoltant un de plus pour la mauvaise connaissance des bénéficiaires et les Britanniques pour leurs abus dans les conventions fiscales. L’Espagne ne trouve grâce aux yeux du rapport (avec un jaune) que pour le reporting, et l’Allemagne (même couleur) que pour les conventions fiscales : une position inconfortable pour un pays grand donneur de leçons par ailleurs.

Georges Canto
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