La DAC se fait recadrer

Leçon d’une déconvenue

d'Lëtzebuerger Land du 19.10.2012

Nouveau tour de piste devant les tribunaux luxembourgeois, probablement l’avant-dernier, pour la compagnie de services aéronautiques CAE Aviation, qui se bagarre depuis plus de deux ans avec la Direction de l’aviation civile (DAC) pour que son petit centre de maintenance ne soit pas définitivement fermé et sa présence rayée de la carte du Findel – la société va investir quatre millions d’euros pour construire un centre de maintenance au centre de la France, qui lui fait les yeux doux –, en dépit des défaillances que le très zélé « gendarme » du ciel au grand-duché avait  alors épinglé. C’était au printemps 2010. Après avoir pointé du côté de la DAC, la balance penche désormais dans la direction de CAE. C’est l’issue provisoire d’une seconde manche qui vient de se jouer devant le tribunal administratif. Le 8 octobre dernier, la juridiction a annulé une décision du 15 mars 2010 du directeur de la DAC, Claude Waltzing (d’Land des 28.10.11 et 25.11.11) suspendant avec effet immédiat son agrément d’organisme de maintenance. L’affaire mérite plus qu’une mention parce que les juges ont mis des limites au pouvoir d’appréciation du directeur de la DAC, son pouvoir ne relevant pas, à leurs yeux, « d’un pouvoir discrétionnaire ». Ils ont aussi tracé une ligne jaune sur
son rôle (aider les opérateurs et pas seulement les sanctionner). Ce recadrage du régulateur luxembourgeois arrive à point nommé.
Les déboires de CAE, qui travaille, entre autres, pour le compte de Frontex, l’agence européenne chargée de coordonner la lutte contre l’immigration clandestine et assure (avec ses drones) une mission de surveillance maritime pour la Navfor, l’opération navale de l’UE pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie, remontent à un premier audit de la DAC mené les 16 et 17 février 2010. La procédure administrative a permis de connaître dans les grandes lignes le contenu de ce rapport (rédigé le 8 mars 2010) ayant épinglé une série de non-conformités jugées « graves » (niveau 1). La société a d’ailleurs eu tant d’ennuis au Luxembourg, à cette époque, qu’elle a commencé à s’interroger sur l’opportunité de sa présence dans le pays. « Les non-conformités de niveau 1 m’amènent à remettre en cause les certificats de remise en service qui ont été émis par votre organisme », souligne la DAC, en pointant du doigt l’absence d’habilitation d’une partie du personnel de CAE à émettre ces certificats. La direction de l’aviation civile l’avait enjoint à faire réévaluer par un autre organisme de maintenance que le sien ses avions immatriculés sur le registre  luxembourgeois, au risque, sinon, de se voir retirer les certificats de navigabilité. Le régulateur annonçait encore avoir averti « de la situation » les autorités étrangères où d’autres aéronefs de CAE étaient immatriculés (sur le registre français notamment). Claude Waltzing mettait par ailleurs en doute les interventions de maintenance effectuées sur des avions non stationnés au Findel : « Des doutes sérieux, écrivait-il, existent pour la DAC quant au fait de savoir comment sont garantis les travaux de maintenance des avions à l’étranger ». Un délai de mise en conformité sur ces points avait été accordé jusqu’au 15 avril 2010, mais la sentence de la suspension était déjà tombée. Ce qui n’aurait pas dû arriver.
En réponse, les dirigeants de CAE opposèrent une contrexpertise réalisée par un cabinet suisse et des auditeurs français, lesquels relativisaient la sévérité du constat de la Direction de l’aviation civile, laquelle fit effectuer un nouvel audit de certification de l’organisme de maintenance de CAE, mais n’y donna aucune suite. La raison de cet attentisme s’explique, du point de vue du régulateur, dans le recours que CAE introduisit le 11 novembre contre les sanctions de l’administration, la DAC ayant gelé toute action jusqu’à la « clarification » du contentieux. Pour des raisons procédurales, la suspension de l’agrément fut, dans un premier temps, annulée par le Tribunal administratif avant d’être revalidée par la Cour, puis à nouveau renvoyée devant le Tribunal pour un examen sur le fond. Les juges ont donc pu, à ce stade, se pencher sur « la réalité et la pertinence des manquements » opposés à CAE dans l’audit du printemps 2010, au nom de la procédure de navigabilité DAC-AIR310, prévues par un règlement communautaire du 20 novembre 2003. Le jugement est tombé début octobre avec un arbitrage défavorable au régulateur, qui aurait exagéré le niveau de gravité des défaillances et la classification des dangers pour la sécurité aérienne. D’autant plus que des contrexpertises en ont relativisé la gravité. Au cours de la procédure contentieuse, les autorités n’ont d’ailleurs pas été en mesure de démontrer de façon « crédible » pourquoi les manquements identifiés chez CAE étaient significatifs au point qu’il fallait lui retirer son agrément.
La question centrale qui fut débattue devant les juges fut donc celle de la gravité de ces findings et la proportionnalité de la sanction qui fut alors infligée par la DAC à l’opérateur privé : suspension avec effet immédiat de l’agrément « au vu de la gravité des constatations faites ». L’affaire est loin d’ailleurs d’être ésotérique quand on sait que le régulateur, lui-même défaillant sur certains standards internationaux définis par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), a fait procéder, début octobre, à un audit de l’Administration de la navigation aérienne afin de pouvoir renouveler les certifications du contrôle aérien. Et à ce propos, les bonnes (le renouvellement de la certification, ce qui est du domaine du plus que probable) ou les mauvaises nouvelles pourraient tomber dès la semaine prochaine.
La procédure de navigabilité prévoit deux niveaux de défaillances, avec d’ailleurs plusieurs nuances entre ces niveaux : le niveau 1 (atteinte grave à la sécurité des vols) peut faire l’objet d’une suspension ou d’une limitation immédiate d’agrément, assortie d’une notification de la part de l’auditeur (c’est-à-dire le spécialiste qui aurait pu identifier les défaillances sur place et qui a ensuite transmis son rapport à la DAC). Le niveau 2 (risque potentiel pour la sécurité aérienne) ou les constatations de niveau 1 de moindre importance non corrigées après notification, valent seulement au contrevenant une lettre de rappel et un petit délai pour prendre des mesures correctives. Ce n’est que si les correctifs n’ont pas été pris qu’une suspension  devient possible. Or, le directeur de la DAC n’a accordé à CAE un délai pour présenter ses observations qu’après avoir suspendu son agrément. De plus, l’auditeur n’aurait pas fait correctement son travail, conformément à la procédure qui l’obligeait à proposer personnellement des correctifs. Celui-ci en aurait abandonné l’appréciation à la DAC. Comme le signalent les juges administratifs, « les mesures de retrait, de suspension ou de limitation d’agrément ne constituent pas des sanctions, mais des mesures préventives reposant sur une atteinte avérée ou potentielle à la sécurité ».
Sans être experts en sécurité aérienne, les juges administratifs ont tout de même infligé un sacré camouflet à la DAC, s’interrogeant de savoir pourquoi une non-conformité des locaux pouvait par exemple constituer « un risque non négligeable » pour la sécurité aérienne. Pour rester dans l’objectivité, on peut évidemment comprendre les préoccupations du régulateur luxembourgeois qui fit état, dans le cadre de la procédure administrative, des « antécédents » de CAE et notamment d’un incident aérien impliquant sa flotte, le 20 février 2010 aux Seychelles (d’où partent les opérations navales de l’UE pour lutter contre la piraterie). Le juges ont toutefois estimé (et la Cour administrative avant eux) que ces événements ne devaient pas interférer sur la procédure.
En annulant la sanction, le tribunal a surtout retenu que la DAC a agi en violation de son « obligation de collaboration s’imposant également comme administration », en refusant de reconsidérer la suspension, malgré les signaux favorables que donnaient les contrexpertises. Même si les autorités font appel de la décision, il ne pourra y avoir d’effet suspensif du recours, au risque de compromettre « gravement » l’avenir de CAE sur le territoire luxembourgeois. En tout cas, ce qu’il en reste, l’essentiel de sa flotte ayant migré vers d’autres cieux.

Véronique Poujol
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