Carré Blanc

Une image n’est pas un mot

d'Lëtzebuerger Land du 16.09.2011

Que ce soit l’architecture froide et glaciale des banques Dexia à Belval ou à Luxembourg-Ville, les tours d’appartements aux cellules identiques à Dommeldange, voire la facture du tunnel en béton qui relie le Plateau Saint-Esprit à la côte d’Eich, le Luxembourg se prête très bien comme décor glauque et morbide au film d’anticipation Carré Blanc, premier long-métrage du français Jean-Baptiste Leonetti, coproduit par Donato Rotunno chez Tarantula.

Soulignons la maitrise formelle de cet artisan de la publicité : Leonetti sculpte avec la lumière, cadre comme un photographe et choisit ses couleurs comme un peintre. Enfin un cinéaste français qui utilise de nouveau les ressorts plastiques du cinéma pour poser une atmosphère et raconter par les images et le montage une histoire qui n’avance pas uniquement grâce aux dialogues, le tout sans disposer d’un budget pharamineux. Le montage est bouleversant par sa lenteur à laquelle un spectateur contemporain n’est plus habitué aujourd’hui, surtout s’il est forcé d’additionner deux images pour qu’émerge dans l’interstice une troisième, un plaisir actif au lieu de n’être que du divertissement à l’état pur. Loin des sentiers battus des codes narratifs d’un film de genre classique, la vision d’un homme particulier résonne dans les images et leur assemblage.

Si Stanley Kubrick est pour Leonetti un cinéaste modèle qu’il admire pour ses capacités de metteur en scène, il semble avoir oublié que ce dernier avait aussi un goût prononcé pour la littérature. A Clockwork Orange est un chef d’œuvre du septième art mais avant tout l’adaptation du roman éponyme d’Anthony Burgess, qui, de par son invention d’un nouveau langage pour les besoins de son récit intriqué, avait une histoire passionnante à raconter, ce qui n’est pas vraiment le cas chez Leonetti. Si son postulat « l’atmosphère génère l’histoire et l’histoire génère l’atmosphère » est valable et juste, l’histoire de Leonetti demeure trop balbutiante.

L’univers concentrationnaire qui rappelle 1984 de Georgees Orwell, et dans lequel son histoire d’amour baigne se résume en une ligne : dans un monde où les faibles sont tués pour finir par devenir de la viande hachée, il faut faire semblant et se ranger du côté des plus forts afin de survivre. À l’intérieur de cet univers, un couple dysfonctionnel essaie tant bien que mal de retrouver le lien qui les a unis dans leur enfance. Philippe (Sami Bouajila) est devenu un monstre normal, ceux que Marie (Julie Gayet) arrive à dévisager du premier coup d’œil.

Avec ses jeux psychologiques et ses épreuves physiques inhumaines, qui sont supposés faire allusion par le biais d’une exagération caricaturale aux techniques de recrutement d’un département des relations [-]humaines d’aujourd’hui, Philippe s’est parfaitement intégré dans le système et fait un peu trop bien semblant selon Marie. Un brin d’humanité survit en lui, et c’est à celui-ci qu’elle s’accroche pour retrouver l’homme dont elle est tombée amoureuse.

La sous-intrigue qui esquisse l’histoire de l’agent de sécurité au sourire implacable, résume la faiblesse scénaristique de Leonetti. Quand il doit creuser et aller chercher derrière ce gros plan du sourire parfait de l’agent de sécurité, il n’arrive pas à nous conter son histoire. La même chose vaut pour Marie, qui n’est que suggérée, alors que la clé de l’histoire de Carré Blanc se situe chez elle. Leonetti semble éprouver plus de fascination à montrer la déchéance d’un monde qui a mal tourné en s’enfermant dans son monde esthétisé que de nous plonger dans la complexité émotionnelle de ses protagonistes.

Thierry Besseling
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