« L’expression n’est pas vraiment correcte, parce que nous mangions de bien meilleures choses que des pizzas… », s’amusait Abbes Jacoby dimanche dernier, 21 octobre, dans l’émission Riicht eraus de radio 100,7. L’ancien secrétaire du groupe parlementaire venait d’être interpellé par le rédacteur en chef Jean-Claude Franck sur l’existence d’une « Pizza-Connection » entre le DP et Les Verts de 2011 à 2013, des rencontres informelles entre des élus et employés des deux partis qui étaient alors dans l’opposition, plus quelques hommes d’affaires proches du DP (Norbert Becker, Lucien Emringer), afin de discuter l’idée d’une collaboration pour enfin se débarrasser du dominant CSV au gouvernement et ouvrir grandes les fenêtres de l’État CSV. Il est significatif que ce « cercle d’amis » comme l’appela Jacoby, se retrouva autour d’un bon repas, « meilleur que des pizzas », parce que cela va si bien au pays : la révolution, c’est bien – mais avec un bon verre de vin (bio) à la main s’il-vous-plaît.
Voilà peut-être une des raisons pour lesquelles beaucoup plus d’électeurs qu’estimé ont finalement soutenu les trois partis de la majorité sortante – et surtout les Verts, plus cinq points de pour cent à 15,12 et plus trois sièges à neuf : parce qu’ils promettaient qu’on pouvait continuer dans l’abondance économique actuelle, alors même que le CSV et son candidat tête de liste Claude Wiseler ne prêchaient que l’austérité et la privation. Là où le LSAP fit miroiter des Tournedos Rossini pour tout le monde (augmentation du salaire social minimum, réduction du temps de travail, sixième semaine de congés payés) et le DP une formule unique entrée-plat-dessert–boissons comprises (le tram jusqu’à Esch et jusqu’à Echternach, plus l’élargissement des routes, plus investissement dans les transports publics), Les Verts proposent une salade de quinoa aux queues d’écrevisses bio – sur des assiettes recyclables.
Que Les Verts sont désormais solidement ancrés au centre de la société, cela se voit aussi à la posture de leurs candidats et élus : les images que RTL Télé Lëtzebuerg a montrées au lendemain des élections étaient significatives de cette nouvelle assurance. Ce n’étaient plus de jeunes hommes en jean qui sortaient en pleine nuit d’une réunion de concertation avec Xavier Bettel (DP) du ministère d’État, mais des messieurs aux tempes grisonnantes en costumes sombres qui se faisaient conduire chez eux par des chauffeurs en grosse berline allemande. Le pouvoir a ses charmes que l’opposition n’a pas. Les anciens révolutionnaires ne font plus peur aux bourgeois autochtones, qui constituent le cœur de l’électorat au Luxembourg. Ainsi, l’ancien trotzkiste François Bausch est le quatrième élu au Centre traditionnellement libéral, et ce tous partis confondus, derrière Xavier Bettel, Claude Wiseler et Serge Wilmes, mais plus de 3 000 voix devant Etienne Schneider. Dans le Sud, Félix Braz se classe derrière les hérauts du LSAP (Asselborn, Di Bartolomeo) et du CSV (Spautz, Eischen, Mischo), mais plus de 6 700 voix devant Pierre Gramegna ; dans le Nord, Claude Turmes a amélioré le score du premier élu écolo de 2013, Camille Gira, de 3 700 voix et à l’Est, Carole Dieschbourg a presque doublé son score de 2013. Leur triomphalisme fêté lors de la soirée électorale se refléta dans la revendication claire et nette qu’ils devront faire partie du prochain gouvernement, quelle que soit sa composition (voir aussi pages 2-3 et 5).
Les Verts modèle 2018 sont les meilleurs libéraux, parce qu’ils ne prêchent plus la décroissance, mais une meilleure croissance. Ils ne demandent plus à leurs électeurs de ne plus consommer, mais de consommer autrement : rouler en Tesla plutôt qu’en Porsche Cayenne, manger responsable au lieu de manger moins, habiter dans des maisons passives plutôt que dans des appartements. Le mode de vie écologique est devenu main-stream, surtout auprès des jeunes adultes et des adolescents – qui, alarmés par les reportages sur la pollution en microparticules, la cruauté dans l’élevage d’animaux ou les catastrophes naturelles, sont particulièrement sensibles à ces questions-là. Les réunions électorales le montraient, les grands partis populaires n’ont pas su y apporter de réponses. Les Luxembourgeois restent attachés à leur cornucopianisme, la croyance en la corne d’abondance. Mais ils demandent à ce qu’elle soit désormais responsable et durable.