Faut pas payer

Grand Guignol meets Marx

d'Lëtzebuerger Land du 10.02.2000

Un petit appart' miteux. Ça sent l'oignon qu'on fait revenir. Un jeune couple fauché - elle : dynamique et débordant d'imagination ; lui : ouvrier  et bon communiste, droit et beaucoup trop sérieux. Les fins de mois sont durs, cela fait plusieurs mois qu'elle n'a plus payé le loyer, ni l'électricité d'ailleurs, parce qu'ils n'arrivent pas à joindre les deux bouts, même avec deux salaires. Et si on ne payait pas ! ? L'appel de quelques révoltées est suivi par toutes les femmes du quartier et c'est la pagaille, l'anarchie, le chaos le plus total au supermarché.
Nous sommes en 1974, l'année de la création de Faut pas payer ! (Non si paga, non si paga !) de Dario Fo, lorsque « PCI » voulait encore dire quelque chose. Fo, le clown militant qui « dans la traditions des bateleurs médiévaux, fustige le pouvoir et restaure la dignité des humiliés » comme le décrivait le jury du Prix Nobel (qu'il reçut en 1997) jouait et faisait jouer ses pièces dans la rue, proches de ceux auxquels il voulait offrir le gros rire salvateur.
Eric Domenicone, jeune premier dans la mise en scène, était visiblement conscient des difficultés majeures du projet de monter Faut pas payer ! : la pièce et son engagement politique ont pris la poussière, ça commence à dater et à sembler bien lointain. L'institutionnalisation n'est pas vraiment dans l'idée du théâtre populaire proche de la commedia dell'arte de Fo. Et en plus, la scène minuscule du Centaure est vraiment trop petite pour les scènes animées de courses-poursuites et autres quiproquos. C'est là qu'il a eu, avec son compagnon de compagnie Franck Sasonoff, une idée de génie : les marionnettes. Yseult Welchinger a ainsi conçu un policier grandeur nature et deux copies miniatures des protagonistes masculins qui interviennent dans le spectacle. Au début, cela étonne, surtout que les manipulateurs des marionnettes ne cachent à aucun moment leur présence physique. Mais il s'avère que le burlesque, gagne au change, que cette distanciation supplémentaire attribue une nouvelle grille de lecture à la farce burlesque. Et soudain, des termes comme « aliénation par le travail » ou « lutte ouvrière » ne sonnent plus comme s'ils sortaient tout droit d'une autre galaxie.
Dans tout ce brouhaha, on sent réellement que les acteurs s'éclatent : après Phèdre, Sophie Langevin se laisse aller aux délires de son personnage et Franck Sasonoff n'en fait pas moins dans le genre naïf exaspéré ; Delphine Bardot - un nouveau visage - incarne une sorte de Hélène et les garçons en permanence au bord de l'hystérie que son paumé de mari (Laurent Bloch) a du mal à maîtriser. Bref, on se tord de rire, ça fait du bien. Ah oui : les têtes de lapin ne sont qu'à 12 francs les trois, profitez-en…
Faut pas payer de Dario Fo, mise en scène par Eric Domenicone, avec Sophie Langevin, Delphine Bardot, Franck Sasonoff, Laurent Bloch et Yseult Welchinger ; décor : Jean-Paul Jeuniaux, scénographie, conception et réalisation des marionnettes : Mélanie Mazoyer et Yseult Welchinger ; Musique : Richard Harmelle ; jusqu'au 27 février au théâtre du Centaure, les mercredis, vendredis et samedis à 20 heures et le jeudis et dimanches à 18h30 ; téléphone pour réservations : 22 28 28.

josée hansen
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