Jazz

De l’Amérique plein les valises

d'Lëtzebuerger Land du 05.01.2018

Mercredi 13 décembre 2017, la salle Robert Krieps est, à quelques sièges près, pleine. Le centre Neimënster programme le Duo Rosa. Stephany Ortega, artiste lyrique soprano et Léna Kollmeier, pianiste, forment ce duo. Elles se sont rencontrées durant leurs études au Conservatoire de Bruxelles, et après un premier album intitulé Return, elles présentent en cette fin d’année leur nouveau projet American soul. Projet qu’elles comptent enregistrer au cours des prochains mois. Alors que leur premier opus, en partie produit à l’aide d’un financement participatif, ré-interprétait des œuvres européennes et d’Amérique latine, ce nouveau projet est un virage, un nouveau voyage, à travers l’Amérique du nord cette fois. Sous-titré Art songs, Broadway & Cabaret songs, la couleur est annoncée. Après une tournée internationale, où les deux musiciennes se sont notamment produites au légendaire Carnegie Hall à New York, les voici de retour au pays, de l’Amérique plein leurs valises.

Lever de rideau, à gauche de la scène Léna Kollmeier au piano. Assise à ses côtés, sa sœur Louise Kollmeier, elle aussi pianiste, qui sera le temps du spectacle sa tourneuse de page. De l’autre côté de la scène, Stephany Ortega, tenue pailletée, boa au cou, est assise au centre d’un petit décor représentant un salon. Des notes au piano retentissent et la chanteuse entonne Something’s coming, titre issu du West side story de Leonard Bernstein. Le spectacle commence et l’auditoire est d’emblée ravi. C’est qu’on n’avait plus tellement l’habitude d’entendre raisonner dans les salles du Grand-Duché ces standards du Broadway des belles années avec Bernstein et Gershwin en tête. En plus d’une vingtaine de chansons issues de ce répertoire et de deux interludes au piano, sans chant, pendant lesquelles la chanteuse en profite pour changer de tenue, les deux musiciennes s’en donnent à cœur joie. Après quelques titres, la soprano remercie le public de s’être déplacé si nombreux malgré le froid, la neige et le verglas. S’enchaînent des œuvres signées Kurt Weill, Richard Hageman ou John C. Sacco.

Arrive l’entêtante chanson de cabaret Amor de William Bolcom, avec laquelle on se rend compte que Stephany Ortega, plus qu’être une simple chanteuse, s’avère être une véritable interprète. En adoptant tous les codes du genre, elle met le public dans sa poche. Pour I can cook too, elle entre en scène avec un tablier et présente au public divers plats. Elle excelle encore à travers I hate music !, cycle de cinq courtes chansons de Bernstein, où, un ruban dans les cheveux, elle imite une petite fille en évitant les travers possibles, ceux du niais ou du ridicule. Aucune fausse note non plus de la part de Léna Kollmeier qui n’est pas en reste. Elle enchaîne les morceaux avec une facilité déconcertante et offre au public, comme évoqué précédemment, deux délicates interludes plus contemporaines, Before sleep and dreams de Aaron Jay Kernis et The garden of Eden : the serpent’s kiss, de Bolcom encore.

Moment un peu en marge, et seul raté, l’inévitable hommage à Bob Dylan. Les deux musiciennes interprètent un extrait de Mr. Tambourine man, mise en musique par John Corigliano de sept poèmes signés Dylan. D’ailleurs lorsque Stephany Ortega présente le morceau et vante les qualités littéraires de son auteur, quelques rires moqueurs se font entendre, preuve que le Nobel n’a pas encore été digéré par certains. Mais ça c’est encore une autre histoire. Le spectacle se termine par le toujours aussi jouissif I got rhythm de Gershwin, magnifié par Gene Kelly dans Un Américain à Paris en 1951. Après une sincère ovation suivent deux rappels. Personne n’a vu l’heure et demie passer. L’avantage avec ce genre de spectacle éventail, avec peu de redondance, c’est que l’auditoire n’a pas le temps de s’ennuyer. L’alchimie de deux musiciennes talentueuses qui offrent un plaisir sincère suffit parfois. Un voyage simple et efficace. La soirée se termine, comme toujours, par une rencontre entre les artistes et leur public.

Plus d’informations : stephanyortega.com, lenakollmeier.com

Kévin Kroczek
© 2024 d’Lëtzebuerger Land