RTL Group

Adieu, le comptable

d'Lëtzebuerger Land du 20.02.2003

C'est à peine croyable : le patron du premier groupe de radio et télévision d'Europe, à la tête de 23 stations de télévisions et 22 programmes de radio, abandonne son poste pour diriger un humble opérateur de télécommunications semi-étatique, actif sur  un marché d'à peine dix millions d'habitants. On croit rêver. Didier Bellens, 47 ans, depuis début 2000 administrateur délégué de RTL Group, quitte Luxembourg pour Bruxelles et la direction de Belgacom.

Il semble donc y avoir un couac dans la description sommaire des deux postes. Pas de chance pour le Luxembourg : l'erreur se trouve au Kirchberg. L'arrivée de Didier Bellens au poste de commandes de RTL Group signalait la fin de la direction paritaire qui prévalait depuis la fusion de la CLT avec Ufa, la filiale de Bertelsmann. La maison retrouvait ainsi enfin un patron unique... mais un patron qui s'intéressait plus aux chiffres qu'à l'audiovisuel.

L'ère Bellens chez RTL a été marquée par une profonde réorganisation des organes de direction du groupe. L'indépendance des entités opérationnelles de la compagnie repose sur une longue tradition. Elle aboutissait cependant dans un manque d'exploitation de synergies et de partage d'idées, un boulot qui aurait dû revenir à la maison mère. Or, Didier Bellens a préféré mettre en place un operations management committee rassemblant les dirigeants des principales entités du groupe : RTL Allemagne, M6, Channel 5, Fremantle Media, etc. À eux de se casser la tête sur les programmes et les grilles. Le but poursuivi est des plus louables. Les conséquences pour le site Luxembourg des plus désastreuses.

Sous Didier Bellens, la société faîtière du premier groupe d'audiovisuel d'Europe s'est débarrassée des dernières compétences en matière de radio et de télévision qui lui restaient encore. Depuis, elle est définitivement réduite à une trop banale société de participation financière comme tant d'autres sur la place financière. Au comité exécutif de RTL Group, on ne trouve plus que trois personnes : Bellens, qui a fait sa carrière en gérant des structures financières complexes, Thomas Rabe, le directeur financier en provenance de Clearstream, et Bruno Chauvat, l'ancien directeur d'Audiofina, pour qui il fallait bien trouver un bureau chauffé quelque part après la création de RTL Group. Que les trois mousquetaires sachent que les chiffres qu'ils consolident sont liés à la télévision est probable mais pas garanti. Pour eux, c'est surtout pas très important.

Didier Bellens compilera désormais des chiffres liés au téléphone. Il savait sans doute depuis l'année dernière, après le retrait de GBL du capital de RTL Group et le limogeage de Thomas Middelhoff, le patron de Bertelsmann, que le temps était venu pour se chercher un nouveau job. Le comité exécutif du géant des médias allemand est rempli de gens qui ont encore l'un ou l'autre compte à régler avec le protégé d'Albert Frère. Bellens lui-même, bien qu'à la tête de la division la plus importante de Bertelsmann, n'avait jamais réussi à se faire nommer au comité de direction de la maison mère.

Trois noms du sérail de Gütersloh reviennent quand on évoque la succession de Bellens : Ewald Walgenbach, l'ancien directeur général de RTL Group, Gerhard Zeiler, le patron de RTL Allemagne, et Rolf Schmidt-Holz, qui partageait jusqu'en 2000 la direction de CLT-Ufa avec Rémy Sautter. Que le pouvoir dans RTL Group revienne avec un des trois au Kirchberg est peu probable. Mais, tous les trois étant des hommes de télévision, la société faîtière pourrait au moins jouer à nouveau un rôle stratégique autre que financier. 

Les actionnaires minoritaires luxembourgeois de RTL Group perdent en Didier Bellens un allié -- même s'il avait les mains liées. Bertelsmann est entre-temps monté à 90,2 pour cent du capital de la société. Au moins le résultat financier du groupe s'est amélioré au cours du dernier exercice sous la responsabilité de Didier Bellens. Après les pertes astronomiques de 2001 -- 2,5 milliards d'euro liés à des corrections de valeurs sur participations -- le bénéfice 2002 de RTL Group dépasserait les attentes des analystes.

 

Jean-Lou Siweck
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