Expulsion des Roms

La France se justifie à Bruxelles

d'Lëtzebuerger Land du 02.09.2010

Alors que les critiques fusent de toutes parts tant à l’étranger qu’en France et à l’intérieur même de la majorité présidentielle, Paris renforce sa politique sécuritaire initiée cet été, tout en essayant de se justifier vis-à-vis des instances européennes. Ces dernières, le Parlement européen et la Commission, sont particulièrement soucieuses des risques de violation des droits fondamentaux comme celui de la libre circulation au sein de l’UE dont font partie les Roms visés par ces mesures d’expulsions.

Virage idéologique Cette levée de bouclier trouve son origine dans un véritable virage idéologique amorcé le 30 juillet par le Président de la République française dans son discours de Grenoble, qui a fait un lien entre l’insécurité et l’immigration : une première pour un dirigeant d’un parti politique traditionnel. Les mesures prises, les rapatriements collectifs des membres de la plus importante minorité en Europe – dix à douze millions de personnes –, l’établissement de quotas de camps d’hébergement à démanteler, ont ému bon nombre d’instances internationales, d’organisations humanitaires, de dignitaires religieux et de politiques de tous bords. Vendredi dernier, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’Onu a critiqué le fait que la France « n’a toujours pas mis à disposition (des Roms) le nombre nécessaire d’aires d’accueil » et a demandé « l’abolition des titres de circulation » qu’ils doivent renouveler périodiquement, y décelant une violation leur liberté de circulation. Il a aussi recommandé à la France d’« éviter les rapatriements collectifs et d’œuvrer à travers des solutions pérennes au règlement des questions relatives aux Roms sur la base du respect plein et entier de leurs droits de l’Homme ». Bernard Kouchner qui n’a pas caché son malaise sur cette question, évoquant même lundi sa tentation de démissionner, a néanmoins défendu la position française, soulignant que les reconduites de Roms vers leur pays d’origine, la Roumanie pour la plupart, ou vers la Bulgarie, relevaient majoritairement de départs consentis assortis d’une aide financière. Les « retours forcés », minoritaires, sont pris sur bases de décisions judiciaires.

Clergé et Justice mobilisés Après la condamnation du Pape, le clergé français a aussi donné de la voix : l’archevêque de Toulouse, Robert Le Gall, a, devant 4 000 personnes, vendredi à Lourdes, lu la lettre rédigée en août 1942 par Monseigneur Saliège, pour exhorter les catholiques à être solidaires des Roms comme ils l’ont été des Juifs durant le génocide nazi. La justice française s’est elle aussi rebiffée en rejetant certains arrêtés de reconduite à la frontière au motif que l’occupation illégale d’un terrain communal ou privé « ne suffit pas à caractériser l’existence d’une menace à l’ordre public ». En effet, le tribunal administratif de Lille a annulé mardi sept arrêtés de reconduite à la frontière, pris par la préfecture du Nord à l’égard de Roms qui avaient été évacués jeudi dernier d’un terrain près de Villeneuve d’Ascq, confirmant ainsi la décision prise vendredi par un autre magistrat de la même juridiction.

Justification à Bruxelles La Com­mission européenne a elle aussi manifesté quelques inquiétudes quant cette politique menée par l’Hexagone et elle a diligenté une enquête pour déterminer si les pratiques sont conformes au droit communautaire. C’est à la vice-présidente Viviane Reding, chargée de la Justice et des droits fondamentaux et de la Citoyenneté, qu’est revenue, 25 août, la tâche de traduire les craintes de l’exécutif européen quant au respect « des règles partagées de l’UE sur la libre circulation, la non-discrimination et les valeurs communes de l’UE (…) des droits des personnes appartenant à des minorités » tout en reconnaissant toutefois « que c’est de la seule responsabilité des États membres de l’UE de veiller à l’ordre public et à la sécurité de leurs citoyens sur leur territoire national ».

Son porte-parole a souligné à maintes reprises que les Roms ressortissants de Bulgarie et de Roumanie ont « les mêmes droits sous les lois européennes que les autres Européens », c’est-à-dire de circuler et de s’établir librement dans l’UE, « et pas seulement dans leur pays d’origine ». Néanmoins des accords de transition au niveau de l’UE restreignent, depuis l’entrée de leur pays dans l’UE en janvier 2007 et encore jusqu’au 3 décembre 2013, la libre circulation des travailleurs roumains et bulgares. Concrètement, en cas de séjour de moins de trois mois, la seule condition est de posséder un passeport ou une carte d’identité valide. Les autorités nationales ne peuvent réclamer un visa, un emploi ou des ressources. En revanche, au-delà de trois mois, le ressortissant européen doit « être économiquement actif » ou doit avoir les « ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale » du pays d’accueil.

Les expulsions que peuvent entreprendre les États membres s’il y a « menaces à l’ordre public ou à la santé publique » doivent être « proportionnées ». C’est pour vérifier que toutes ces conditions ont été respectées par la France que la commissaire luxembourgeoise a lancé une enquête juridique dont les conclusions ont été présentées devant la commission le 1er septembre. Viviane Reding a participé avec sa collègue Cecilia Malmström, en charge des Affaires intérieures, à la réunion de travail avec le ministres français de l’Immigration Eric Besson et du secrétaire d’État aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, mais n’a pas fait de commentaires. Elle réserve la primeur de son opinion aux députés ­européens réunis en plénière à Strasbourg mardi prochain, qui ont, sur demande du parti populaire européen, des socialistes et des démocrates, réclamé le tenue d’un débat qui pourrait être assorti d’un vote de résolution.

À l’inverse, Eric Besson s’est présenté devant la presse en se félicitant d’un dialogue « franc, ap­profondi et constructif » avec la Commission. Déplorant les « caricatures et (…) les amalgames inacceptables » dont a fait l’objet l’action menée par le gouvernement français, il a précisé que le droit de libre circulation « n’est pas inconditionnel » et que « cette liberté ne peut servir de prétexte à des activités illicites, en particulier le trafic d’êtres humains ». Il a en outre souligné la « responsabilité propre de chaque État de l’UE pour l’intégration sociale et économique de ses ressortissants », laissant à penser qu’il appartient avant tout à la Roumanie de gérer l’intégration des Roms. De quoi relancer le débat, si besoin était… La suite la semaine prochaine, lors de la plénière du Parlement.

Sophie Mosca
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