Résurrection

d'Lëtzebuerger Land du 14.06.2024

« Je préférerais me noyer en m’étouffant dans un bain rempli de porridge plutôt que de l’écouter à nouveau ». Voici ce qu’avait écrit le critique musical Dave Simpson dans le magazine Melody Maker à propos de Souvlaki, deuxième album de Slowdive, lors de sa sortie en 1993. Trente ans plus tard, c’est la pochette de ce même album, une photo des cinq rockeurs de Reading, qui figure sur les t-shirts vendus au stand merchandising du groupe, dorénavant considéré comme culte et l’un des pionniers d’un sous-genre du rock, le shoegaze, au même titre que Ride ou My Bloody Valentine. Une véritable résurrection à laquelle personne ne s’attendait, surtout pas les intéressés.

Slowdive est un cas à part, un exemple fascinant d’une vie imprévisible, d’un destin hors du commun. Apparu à la fin des années 1980, disparu dans un quasi-anonymat au milieu des années 1990, le groupe s’est réveillé superstar, vingt ans plus tard. L’histoire fait penser au Velvet Underground, à CAN ou encore Joy Division, autres formations ayant marqué les esprits après leur dissolution, chacun dans leur style.

Il a fallu la convergence de nombreux facteurs pour que ce miracle s’accomplisse, mais rien ne serait arrivé si leur héritage n’avait pas servi d’inspiration à une ribambelle de groupes actuels, avec en tête Beach House, Cigarettes After Sex ou encore The XX. Puis Spotify et Tik Tok sont passés par là, imposant à coups d’algorithmes, playlists et home videos tournées par des ados prépubères ces mélodies mélancoliques, à la jonction du rêve et de la distorsion. Un retour de flamme inespéré pour un style de musique considéré comme ennuyeux à l’époque, aujourd’hui au paroxysme de la coolitude version génération Z.

Cela semble difficile à croire quand on pense aux salles à moitié vides ayant accueilli le groupe à l’apogée de ses débuts, mais l’Atelier était bondé mardi dernier pour la venue de ces outsiders magnifiques, dorénavant quinquagénaires, de retour sur scène depuis une invitation venue de nulle part pour participer à l’édition 2014 du Primavera Sound festival de Barcelone, et auteurs d’un récent disque essentiel, Everything Is Alive, introspectif, brumeux et pop à la fois, osant ici et là quelques touches synthétiques, un disque qui pourrait bien être leur meilleur.

Comme un pied de nez à leur propre histoire basée sur la six cordes, ce concert luxembourgeois débuta tous synthés dehors avec Shanty, tiré du dernier album, puis piochera dans l’entièreté de la discographie du groupe, n’oubliant aucune période. Progressivement, le mur du son se dresse, les guitares rugissent, chaque recoin de l’Atelier semble envahi par ces ambiances vaporeuses, quasi psychédéliques. Les voix de Rachel Goswell, éthérée, et Neil Halstead, plus sereine, s’entrecroisent et se répondent dans un spleen onirique nous faisant perdre la notion du temps. Après un peu plus d’une heure, la première partie du concert se termine sur la triplette Alison / When The Sun Hits / 40 Days, trois morceaux envoûtants tirés du susnommé Souvlaki, trois hymnes plébiscités par le public. En rappel, ce même album aura droit à deux titres (Machine Gun et Dagger), et la prestation du soir se clôturera sur l’éponyme Slowdive, tout premier single du groupe, sorti sur le label Creation Records d’Alan McGee en 1990.

Une génération plus tard, une éternité à l’échelle de la musique amplifiée, un groupe bâti sur les cendres du post-punk, fan de The Cure et Siouxsie and the Banshees (dont un morceau a donné le nom au groupe), a atteint de nouveaux sommets, concoctant une alchimie entre le shoegaze des débuts et des incursions synth-pop aventureuses, arpentant des paysages sonores en mutation continue, renouvelant son public tout en conservant les nostalgiques de la première heure, et se positionnant ainsi non seulement comme une icône dreampop post-moderne, mais comme un pilier du rock alternatif, si ce terme a encore du sens à l’heure de Tik Tok. On espère qu’il résistera encore longtemps à la série Netflix et la collaboration avec Taylor Swift.

Sébastien Cuvelier
© 2024 d’Lëtzebuerger Land