Film made in Luxembourg

Le jeune singe et le vieux prince

d'Lëtzebuerger Land du 05.02.2021

Tom est un jeune singe proche de la nature. Il aime quitter la cité, se promener dans la dense forêt qui l’entoure et passer du temps avec les animaux. Et des animaux dans le coin, il y en a pléthore. Des oiseaux principalement. Lors d’une de ses escapades en solitaire, il découvre, échoué sur une plage, un vieux singe aux longs cheveux blancs. C’est une sacrée surprise, car un étranger, dans les parages, c’est la toute première fois qu’on en voit un. Au point que la très prestigieuse Académie a établi, il y a une quinzaine d’années déjà, que les « Simius Sapiens » de la cité étaient les seuls singes existants.

Pas étonnant dès lors que le vieux singe se réveille enchaîné à un lit dans un lieu aseptisé. On pense à un hôpital, on découvrira rapidement qu’on est dans le Museum d’histoire naturelle. Enfin, l’ancien Museum, puisque celui-ci a été officiellement fermé à cause de l’avancée incontrôlée de la forêt qui met toute une partie de la ville en péril. Mais n’allons pas trop vite en besogne. D’abord, le vieux singe doit se remettre. Il ne parvient à bouger que la tête, « à grande peine » ; et comme il ne comprend pas un traître mot de ce que disent les rares ombres qui viennent régulièrement l’ausculter, il préfère faire le mort.

Si l’échange est impossible avec les autres personnages du récit, le spectateur, lui, ne rate pas une miette de ses pensées, grâce à une voix off très présente. De ses souvenirs, on revoit ainsi le vieux singe, à cheval et armes à la main, à la tête d’une grande armée sur l’eau gelée. Une chevauchée au ralenti qui finira par faire craquer la fine couche de glace. Nous voilà au courant d’une réalité que les singes qui le nourrissent et l’examinent ignorent. Doit-on craindre pour leur sécurité ? Pour leur vie ? Pour l’heure, celui qui se présente, avec sa « langue archaïque », comme le prince Laurent se remet peu à peu. Il veut voir le roi de la cité. On ne sait pas trop pourquoi. Dans le Museum, le professeur Abervrach, sa campagne scientifique Elizabeth et leur assistante Nelly, le traitent bien, mais continuent à ne pas du tout le comprendre. Seul Tom, qui aime traîner dans les couloirs de la vieille bâtisse, commence, petit à petit à déchiffrer les paroles de l’étranger.

Du coup, le jeune singe et le vieux prince vont devenir amis. « Plus que je ne l’aurais souhaité », avouera même Laurent. Abervrach par contre, voit surtout en cet étranger, une manière de prendre sa revanche sur l’Académie dont il a été exclu il y a quinze ans, à cause de ses théories sur l’existence d’autres singes au-delà de la mer. Grâce au jeune Tom, le prince Laurent apprend non seulement la langue du lieu, mais découvre aussi la magnifique cité – la plus belle de toutes, selon lui – ainsi que le fonctionnement de la société de ce côté-ci de la mer ; un lieu où tout le monde travaille à la chaîne, où l’obsolescence programmée régit une économie volontairement ultra-consommatrice et où les habitants ne s’adressent jamais la parole.

Entre la fable, récit initiatique et anti-utopie, ce Voyage du Prince est un film qui laisse perplexe. Les images sont splendides et les personnages attachants. Mais tout en ouvrant les portes à de nombreuses réflexions – l’acceptation de l’étranger, de l’inconnu, le respect de l’individu, des animaux et de la nature, l’envie de savoir et de découvrir – le récit ne fait qu’effleurer de nombreux sujets sans en approfondir aucun, ce qui donne à l’ensemble un côté fourre-tout. Une sensation renforcée par de trop nombreuses références, la présence de scènes entières qui ne font pas progresser le récit, des questions qui restent sans réponse, voire quelques incohérences.

Mais le plus déstabilisant reste que le film paraît bien naïf pour un public adulte et bien complexe pour des enfants – il est proposé à partir de huit ans. D’autant plus qu’avec son style rétro, son rythme lent et son langage très soutenu, il risque de laisser plus d’une tête blonde sur le carreau.

Le Voyage du Prince, de Jean-François Laguionie et Xavier Picard, en salles actuellement

Pablo Chimienti
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