Crée en 1955 par Jean-Jacques Sempé et René Goscinny, Le Petit Nicolas aura pris près de sept décennies pour réussir son passage du papier à l’écran dans une version animée. Amandine Fredon et Benjamin Massoubre proposent un film complexe dans le récit mais d’une grande beauté graphique.
C’est au rythme d’un jazz manouche – grande passion de Sempé – que débute ce Petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? La coproduction franco-luxembourgeoise (Bidibul Productions) vient d’arriver en salle préalablement auréolé du Cristal du long-métrage du prestigieux Festival international du film d’animation d’Annecy. Avec Anne Goscinny, la fille de René, en charge de l’adaptation, du scénario, des dialogues et même dans un petit rôle, ce long métrage d’animation – le premier après plusieurs adaptations en prise de vue réelles –, parvient à recréer parfaitement l’ambiance, aussi bien dans le récit que dans le graphisme, des récits originels.
Amandine Fredon et Benjamin Massoubre ont aussi tenu à prendre quelques distances. Ici, pas de Bêtises du Petit Nicolas et ses copains, de Récrés du Petit Nicolas ou de Vacances du Petit Nicolas. Les réalisateurs n’ont voulu ni animer une histoire originale du personnage, ni en inventer une de toute pièce. Le duo a fait le choix de raconter la naissance et la vie du Petit Nicolas à travers l’existence de ses deux créateurs, Jean-Jacques Sempé et René Goscinny.
Le film débute donc en 1955, à Paris. Les deux compères ont rendez-vous dans leur troquet habituel, chez Michel. Comme toujours, Sempé est en retard, pressé. Il dévale les pentes de Montmartre à toute vitesse sur son vélo, avec ses planches à dessin sous le bras. À l’opposé, Goscinny, toujours tiré à quatre épingles, prend son temps, déambule tranquillement dans ce Paris qu’il aime tant. Il observe les gens, la vie autour de lui. C’est là qu’il trouve son inspiration, dira-t-il plus tard dans le film.
Préalablement Sempé a croqué un petit garçon. Il n’a pas encore de nom, pas encore de famille, de copains ou d’histoire. Il doit le développer pour le journal, « Mais bon, moi l’écriture… c’est pas trop mon truc », lance-t-il à son copain autour d’un ballon de rouge. « Toi, t’es le magicien des mots. Ça ne te dirait pas qu’on en fasse quelque chose tous les deux ? » Ensemble, entre copains, ils donneront vie au Petit Nicolas. Ils développeront son univers : des parents très classe moyenne, une mémé super gentille avec lui mais détestable avec son père, une bande de copains espiègles et bagarreurs, une maîtresse à la fois gentille et sévère, en un mot, lui donneront une âme.
Amandine Fredon et Benjamin Massoubre rendent ici hommage à tout le processus créatif des deux compères, aux doutes, aux changements, aux ratés, aux moments de feuille blanche... Ils montrent ensuite le résultat de ce va-et-vient fertile, comme autant de court métrages ou d’épisodes de ce qui auraient pu s’appeler Les formidables aventures de Nicolas. Le film ne cesse de faire l’aller-retour entre les deux niveaux du récit, celui du Petit Nicolas et celui de Sempé et Goscinny. Le second influençant, bien évidemment le premier ; le premier finissant également à jouer un rôle sur le second.
Car ce Petit Nicolas, finalement, a la vie rêvée que les deux créateurs auraient souhaité avoir. Goscinny a grandi en Argentine et ne voyait le reste de sa famille que tous les deux ou trois ans ; une famille juive par ailleurs très touchée par la montée des totalitarismes en Europe, par l’occupation nazi en France et par la Shoah. Sempé a grandi à Bordeaux avec un père alcoolique et une famille on ne peut plus triste. Au point qu’il a trouvé l’armée sympa et les Parisiens joyeux, une fois monté à la capitale. Comment ne pas rêver alors de la vie simple et heureuse du Petit Nicolas, de ses rapports apaisés avec ses parents aimants, de son petit pavillon de banlieue, de ses projets pleins de naïveté, de la camaraderie malgré leurs bagarres de cour de récré, de ses premières amourettes ? Ah Luisette ! Ah Marie-Edwige ! C’est chouette finalement les filles !
Le film joue sur la nostalgie, celle de l’enfance, mais aussi celle d’un Paris des années cinquante où tout semblait plus facile. Une nostalgie également présente par le choix du sous-titre du film, tiré de la chanson de Ray Ventura, Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? Un sous-titre qui n’est pas un simple clin d’œil. Ce Petit Nicolas, malgré les quelques souvenirs, brillamment racontés et illustrés, sombres de Goscinny et de Sempé, est un catalyseur de bonne humeur. Slapstick, bons mots, tendresse… Le film est plein d’ondes positives, et ça fait du bien. D’autant plus que le plaisir visuel est de tous les instants. Avec son graphisme particulier, proche de celui de Sempé, inspiré de l’illustration de presse, avec ses bords d’image qui perdent leur couleur avant de disparaître, ces décors fabuleux, ces panoramiques magnifiques et ce souci omniprésent du détail, le film est aussi beau qu’il est intéressant. Une vraie réussite – possible également grâce au savoir-faire grand-ducal : outre Bidibul productions, Studio 352 (décors), Onyx Luxembourg (compositing et VFX), Philophon (montage son, bruitage et mixage) et l’Orchestre Philharmonique de Luxembourg (musique) ont également pris part à ce beau projet. Reste qu’il vaut mieux avoir une certaine connaissance préalable du Petit Nicolas, des œuvres de ses deux papas et de l’histoire du vingtième siècle pour en saisir vraiment toutes les subtilités.
Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre