Le réchauffement climatique au secours du surtourisme dans les pays de la Méditerranée

Vacances au nord

d'Lëtzebuerger Land du 18.08.2023

La sur-fréquentation de certaines villes et sites touristiques alimente la chronique estivale depuis quelques années, mais cette préoccupation n’a rien de récent. Ainsi en 1843, dans ses « Carnets de voyage », Victor Hugo se plaignait déjà qu’il y eût trop de monde à Biarritz, pourtant simple hameau de pêcheurs à l’époque ! Mais le problème est devenu tellement aigu que dans plusieurs pays les autorités nationales ou locales rivalisent d’initiatives, parfois assez farfelues, pour tenter d’y faire face.

Paradoxalement, une autre calamité va peut-être leur permettre d’atténuer ses effets. Il s’agit du réchauffement climatique qui, selon plusieurs études récentes, va détourner les visiteurs des pays du sud, les plus atteints par le surtourisme. À moins qu’il ne fasse que déplacer le problème…

Bien que certains experts pensent que la sur-fréquentation est un phénomène subjectif, elle est parfaitement mesurable, dans le cas des villes par exemple, en rapportant le nombre de visiteurs à la population permanente. Mais cet indicateur est insuffisant, car le surtourisme se caractérise surtout par la forte concentration spatiale et temporelle des visites. Les touristes s’agglutinent tous au même endroit en même temps. En France par exemple, principale destination touristique mondiale, 80 pour cent de l’activité concerne vingt pour cent du territoire. Et la moitié des visiteurs internationaux viennent au troisième trimestre.

Les mesures destinées à faire face à la sur-fréquentation ne visent pas à décourager l’arrivée des touristes, ce qui serait contre-productif, mais plutôt à étaler leur venue dans le temps, typiquement entre avril et juin ou en septembre et octobre au lieu du cœur de l’été. Pas toujours possible à réaliser pour de nombreux voyageurs pour des raisons professionnelles ou scolaires.

En pratique, les touristes se sentant indésirables dans un lieu donné ont toutes les raisons d’aller voir ailleurs, et le changement climatique ne peut qu’accentuer cette tendance.

Les statistiques officielles montrent que les grandes villes les plus fréquentées par les touristes en été se situent majoritairement dans le bassin méditerranéen, Venise battant tous les records avec 115 touristes par habitant, en comptant la population de l’agglomération, un chiffre qui monte à 580 si on ne considère que le centre de la ville ! Or c’est précisément cette région qui a le plus souffert de la canicule en juillet 2023, même si des températures extrêmes ont aussi été observées aux États-Unis et en Chine.

Sur terre, les températures ont frôlé ou dépassé les 45 degrés en Espagne, en Italie et en Grèce notamment. En Espagne, pays déjà considéré comme chaud en été, les températures de juillet ont été supérieures de cinq à dix degrés à la moyenne de ce mois. Au niveau mondial juillet 2023 a été le mois le plus chaud enregistré depuis 1940 avec une température moyenne proche de 17 degrés, soit un degré de plus qu’en 1983. La mer a aussi été concernée : en juillet la température moyenne relevée sur la surface de la Méditerranée a atteint le niveau record de 28,4°C.

Cette situation qui devient très récurrente dans les pays du sud de l’Europe peut-elle modifier les flux touristiques ? Une étude parue le 28 juillet, due au Joint Research Center (JRC), laboratoire de recherche scientifique et technique de l’UE, et intitulée « Impact régional du changement climatique sur la demande touristique européenne », évalue les changements à venir de la demande touristique selon quatre scénarios de réchauffement, deux correspondant aux objectifs de l’Accord de Paris de 2015 (1,5°C et 2°C) et deux à des niveaux de réchauffement plus élevés (3°C et 4°C).

Dans les deux premiers cas la grande majorité (80 pour cent) des régions européennes ne devraient être affectées par le changement climatique que dans une proportion modeste, le flux de touristes fluctuant entre -1 pour cent et +1 pour cent.

Dans les cas de figure les plus pessimistes, la hausse de la température réduira le nombre de touristes estivaux de près de dix pour cent, en moyenne, dans les régions côtières du sud de l’Europe tandis que la demande pour les pays du nord augmentera de cinq pour cent, selon les projections.

Les gains les plus élevés – supérieurs à 5 pour cent – seront enregistrés en Allemagne, au Danemark, en Finlande, en Suède, aux Pays-Bas, en Irlande et au Royaume-Uni (avec par exemple une hausse de seize pour cent dans l’ouest du Pays de Galles).

Mais dans le sud la baisse de la demande estivale, notamment en juillet, sera partiellement compensée par une augmentation des visites touristiques au printemps, en automne et en hiver. Le grand gagnant serait le mois d’avril (avec des flux en hausse de neuf pour cent). Ce déplacement saisonnier de la demande permettra donc au tourisme de continuer à croître.

Le problème de cette étude, par ailleurs très vaste (elle est basée sur les données de 269 régions européennes sur une période de vingt ans), est qu’elle est construite à l’horizon 2100 ! Une autre étude, parue le 8 juillet, fournit des données plus rapprochées. Elle est due à l’European Travel Commission (ETC) qui regroupe 35 organismes nationaux de tourisme en Europe.

Elle montre en premier lieu qu’en comparant le premier semestre 2023 à la même période de 2019 plusieurs pays d’Europe du sud (Slovénie, Croatie, Grèce, Espagne, Italie) ont connu une baisse de la fréquentation étrangère. C’est en Italie qu’elle était la plus marquée avec onze pour cent d’arrivées internationales et douze pour cent de nuitées étrangères en moins. L’étude n’établit pas de lien direct avec le réchauffement climatique, mais c’est un facteur à prendre en compte, qui n’a pu que s’aggraver au début du second semestre avec la vague de chaleur.

Les prévisions jusqu’en 2025 vont dans le même sens. Dans un contexte de croissance globale des flux touristiques, les destinations méditerranéennes connaîtront une hausse moins marquée que celles d’Europe du nord et du centre. Sur 2024 et 2025, la croissance attendue dans les pays du sud serait de 9,6 pour cent par an, contre 11,5 à seize pour cent selon le périmètre choisi, en Europe centrale et nordique. Il s’agirait donc d’une confirmation de la tendance 2019-2023 telle qu’elle a été observée auprès des touristes allemands, français, britanniques et néerlandais, qui constituent « le gros des troupes ». Sur cette période ils se sont moins rendus ans dans des pays comme l’Espagne, le Portugal, Malte, la Grèce et la Croatie. En revanche ils ont davantage visité l’Islande, le Danemark, la Norvège et la Finlande.

Au sein même de certains grands pays la clientèle locale a également modifié ses comportements. En Espagne, avant même le début de l’été, et donc avant la canicule de juillet, les réservations avaient fortement baissé sur les côtes est et sud, de la Catalogne à l’Andalousie, au profit des Asturies et surtout de la Galice, toutes deux situées sur la côte atlantique au nord du pays.

Même phénomène en France, avec une désaffection pour la façade méditerranéenne et un engouement inattendu pour la Bretagne, la Normandie et même la région Hauts-de-France dont les plages vont jusqu’à la frontière belge. Cela dit, compte tenu de la météo défavorable que ces régions ont connue cet été, contrairement aux précédents, les professionnels du tourisme se demandent si la tendance se reproduira en 2024.

Ce déplacement, même limité, du tourisme vers l’Europe du nord ne fait pas forcément l’affaire de certaines villes comme Bruges ou Amsterdam qui connaissent de longue date des problèmes de sur-fréquentation, même en dehors de la saison estivale. Copenhague, Prague, Salzbourg et même Tallinn sont aussi concernées, à moindre titre. En Allemagne des sites naturels comme l’île de Sylt, au nord, et ou culturels comme les châteaux de Bavière, au sud, sont bondés chaque été, et ceci depuis des décennies.

Les pays du nord de l’Europe sont de plus en plus prisés (en Norvège le nombre de nuitées a augmenté de 27 pour cent entre 2014 et 2019) et le voyagiste TUI a annoncé vouloir élargir son offre dans ces pays. Mais de façon générale ils ne sont pas encore suffisamment équipés et organisés pour faire face à des flux touristiques plus importants et qui resteraient concentrés sur la période estivale. C’est aussi le cas, en Espagne ou en France, des régions de la façade atlantique.

Un exemple intéressant est donné par l’Islande. Ce pays très peu peuplé – 380 000 habitants, nettement moins que le Luxembourg – accueille chaque année un nombre croissant de touristes, dont les arrivées sont concentrées sur les mois d’été. Leur nombre a été multiplié par 4,4 entre 2008 et 2018, alors qu’il était plutôt stable jusque-là. Les visiteurs sont moins nombreux depuis pour des raisons variées (Covid, coût élevé de l’hébergement et de la nourriture) mais avec quelque 1,7 million de touristes en 2022 et un ratio de 4,47 touristes par habitant l’Islande se situe encore au premier rang en Europe pour la densité touristique à égalité avec la Croatie, loin devant l’Autriche (3,5) et la Grèce (3). Le tourisme a permis au pays de sortir de la grave crise économique et financière apparue en 2008, mais sa progression très rapide commence à poser des problèmes économiques (infrastructures d’accueil) et surtout écologiques, avec un risque de dégradation des sites naturels alors même que sa nature sauvage et préservée constitue son principal atout.

En montagne aussi

En montagne la sur-fréquentation hivernale dans les Alpes est un phénomène très ancien, lié au fait que l’importante clientèle étrangère (66 pour cent en Autriche, 35 pour cent en Italie et en Suisse, 28 pour cent en France) se concentre sur un petit nombre de stations (Chamonix, Courchevel ou Val d’Isère en France ; Zermatt, St Moritz ou Gstaad en Suisse ; Cortina d’Ampezzo en
Italie ; Kitzbühel en Autriche) alors que la clientèle locale est plus dispersée.

Le réchauffement climatique ne va pas arranger les choses car on prévoit que d’ici à quelques années seules les stations situées à plus de 2 000 mètres d’altitude auront un enneigement suffisant en hiver. Or ce sont en grande partie celles qui sont déjà en état de sur-fréquentation touristique.

Problème : les amateurs de montagne et de ski n’ont guère d’autres alternatives en Europe, sauf si la Norvège et la Suède développaient leurs infrastructures.

Georges Canto
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