Portrait d’artiste : C’est Karma

Esprit punk et origamis

Portrait de Karma Catena alias C’est Karma
Photo: Kévin Kroczek
d'Lëtzebuerger Land du 19.07.2019

En décembre dernier avait lieu la première édition des Luxembourg Music Awards, sorte de Grammys autochtones. Parmi les quelques lauréates, Karma Catena alias C’est Karma, a tiré son épingle du jeu. D’abord dubitatif, l’auteur de ces lignes, peu convaincu, s’est laissé prendre au jeu avec le temps passant. Karma, jeune chanteuse, auteure et compositrice fait partie intégrante de cette nouvelle scène pop folk indie luxembourgeoise qu’on retrouve à tous les festivals et évènements d’ampleur du pays depuis deux ou trois ans. Pur produit de la génération Internet, C’est Karma est paradoxalement plus qu’ancrée dans le réel. Arpentant le pays en train avec sa guitare comme seul bagage, la future tête d’affiche est pour l’instant une première partie demandée et acclamée. Une rencontre était donc nécessaire.

Rendez-vous a été donné aux Rotondes, territoire conquis où Karma a déjà joué une dizaine de fois en moins de deux ans. Elle arrive à l’heure, guitare sur le dos et sac rempli à ras bord, notamment par un carton contenant des exemplaires de son premier EP Yellow, paru en mai dernier. Elle offre une copie de bon cœur avec en bonus, un origami parfaitement maitrisé. Après avoir commandé un café à la buvette, elle entre directement au cœur du sujet : cette fameuse nouvelle scène autochtone de musique amplifiée, pour simplifier. Proche de Georges Goerens, alias Bartleby Delicate qui a été déterminant, fan de la première heure de Edsun « gentil, sincère et doux », elle suit aussi de près la nouvelle scène rap du pays. Elle a d’ailleurs publiquement soutenu Turnup Tun à l’occasion de ses récents démêlés judiciaires. Pour elle, le grand public n’a cependant droit qu’à la partie émergée de l’iceberg. « Je pense que la scène est un peu en déclin en fait. Des groupes que j’ai connus, quand j’ai intégré la scène, commencent à disparaitre… » Ce paradoxe qu’elle met en avant fait en effet réfléchir. Tandis que l’on se tourne de bon gré vers les quelques têtes d’affiche propulsées par le Rocklab ou par music:LX, on oublie presque les dizaines de groupes, prometteurs, mais qui n’ont pas su confirmer leurs essais.

Après avoir fait ses armes au sein d’un groupe de punk amateur, « qui n’a duré que deux mois », sa carrière a vraiment commencé lorsqu’elle a publié une chanson sur Youtube, en forme de cadeau d’anniversaire pour son frère cadet. « Trois mois après, j’ai réalisé un set de vingt minutes au Screaming Fields Song Contest. J’étais toute seule sur scène, j’ai fait plein de fautes, mais j’ai remporté le prix de la meilleure performance live alors qu’en face, il y avait un chanteur avec des musiciens et une chorégraphie… » C’est que suite à cette petite balade gentillette et à ce festival pour nouveaux talents, C’est karma a été emportée dans une sorte de tornade qui ne s’est jamais vraiment arrêtée. Une scène en amenant une autre, de rencontres en rencontres, C’est karma a su développer sa patte et imposer sa personnalité, sympathique au plus haut degré.

Sa récompense aux Luxembourg Music Awards de révélation lui a permis non seulement de rejoindre le label allemand Radicalis, mais aussi de voir son titre Nicole intégrer la heavy rotation de RTL Radio. « C’est un peu compliqué pour s’enregistrer à la Sacem en tant que mineure » admet-elle. Son courrier devrait toutefois arriver prochainement. Son jeune âge justement ne la freine en rien. Sans voiture, elle se déplace essentiellement en train, ce qui renforce la partie punk de sa personnalité s’amuse-t-elle. « J’aime l’aspect punk de la musique, sa spontanéité qui vient balancer le côté rationnel des cours », et celui des origamis pourrait-on dire.

Toujours au lycée, Karma passe ses pauses à organiser des meetings professionnels avec sa manageuse Ada, elle aussi élève dans le même établissement. Une double vie qui amène à des situations cocasses, comme des professeurs faisant partie de son public. « On me reconnait souvent dans la rue, des gens veulent faire des photos avec moi, je trouve ça ridicule », dit-elle en s’esclaffant. Justement elle doit interrompre un instant la discussion pour publier une annonce sur ses réseaux sociaux à 14 heures pétantes. Elle partira en tournée en octobre prochain à travers l’Allemagne pour suivre Carnival Youth, autre signature de Radicalis. Karma a déjà pu prendre la température de sa musique à l’étranger, à Arlon ou à Trêves, mais cette suite de six dates de l’autre côté de Rhin promet d’être particulière. Elle convient que la promotion est la partie la plus difficile de son métier. D’ailleurs, le format de sa photo est incompatible avec Instagram, elle doit la changer en catastrophe.

Le 10 mai dernier avait lieu la présentation tant attendue de son premier EP Yellow, donc de son premier projet concret, toujours aux Rotondes. Pour l’occasion, unique dans une vie d’artiste, du merchandising était évidemment prévu. Outre l’objet principal, le disque physique, plutôt joli avec son packaging jaune, des tote bags reprenant l’esthétique de la pochette devaient aussi être de la fête. Mais voilà, les imprévus étant légion, d’autant plus dans ce métier, les produits n’ont pas été livrés ce jour-là, au grand dam de Karma et de son équipe. La confection des CDs avait pris du retard et les sacs en toile, bloqués à Stuttgart. Panique sous la coupole, Karma n’avait pas envisagé cette possibilité, cruelle mais assurément comique, celle d’une présentation de disque marquée par l’absence physique dudit objet.

Malgré les larmes et les doutes, le spectacle a bien eu lieu, avec un certain panache et succès. Les plus de deux-cents spectateurs qui ont fait le déplacement n’y ont vu que du feu. Un cahier de commande placé à l’entrée a comblé le manque, cinquante exemplaires ont été commandés ce soir-là. Karma raconte l’histoire, encore récente, avec autant de malice que d’embarras.

C’est karma, outre sa musique, qui porte une signature discrète mais bien présente, c’est aussi une esthétique qu’elle développe photo après photo mais surtout clip après clip. Le tout premier en date, celui de Gravity, est reconnait-elle déjà assez daté. Datant justement du 4 avril 2018, une éternité dans la chronologie de sa carrière, on y voit la chanteuse danser en plein milieu d’une forêt enneigée. Cheveux courts, t-shirt jaune extra large qui arrive à ses genoux, elle évolue de bon matin, sous moins sept degrés. Des plans de drone et un montage kaléidoscopique complètent cette réalisation signée Ana Funck. De son propre aveu, elles n’avaient pas prévu la neige, il a donc fallu improviser, encore et toujours.

Les deux autres clips qui illustrent Nicole et Ufo sont de plus en plus épurés. Nicole est une sorte d’assemblage de vidéos de vacance et autres images d’illustrations, du genre une route filmée à travers la vitre d’une voiture en mouvement. Ufo est au contraire un plan séquence, format carré et patine à la Xavier Dolan, où on suit Karma assise sur un canapé bouquinant, rêvassant et buvant a priori un café ou un thé. Là encore, elle avoue hilare que la tasse était remplie d’eau du robinet et que le livre, choisi pour sa belle couverture. Elle démystifie un peu les coulisses de toute son entreprise, notamment de ses clips, tous les trois réalisés à la bonne franquette, et cette honnêteté qui transpire à chaque instant est bienvenue.

L’entretien terminé, elle fonce vers le centre-ville où se prépare le Rock um Knuedler. Elle doit encore enchaîner une interview et un concert dans l’église protestante. Sur place, les jeux de lumière qui percutent les vitraux donnent au lieu un aspect new age. Karma enchaine ses morceaux tandis que l’église se remplit peu à peu. Son timbre de voix, un peu semblable à celui de Björk, s’adapte bien à l’acoustique des lieux. Sa voix rauque, en anglais, qui se casse sur le refrain de Nicole, est touchante. Dans quelques jours, elle s’envolera pour la Japon, un pays qui lui sied plutôt bien.

Kévin Kroczek
© 2024 d’Lëtzebuerger Land