Aide publique au développement

Inchallah

d'Lëtzebuerger Land du 19.08.2010

Ils s’en remettent à Dieu. Après les sécheresses et les famines consécutives dans les pays du Sahel, les inondations dans certains pays de l’Asie du Sud-Est et les feux en Russie, nombreux sont les plus pauvres du monde qui n’y croient plus. Ils ne croient plus en un changement, et encore moins au développement. Leurs espoirs se sont évaporés, ont été emportés par les courants d’eau ou ont brûlé.

Le changement climatique qui se manifeste par l’endurcissement de ses conditions extrêmes frappe chaque année les populations les plus vulnérables du monde. C’est un défi nouveau qui vient s’ajouter à ceux déjà existants, pour les techniciens de la coopération au développement. Tel est le constat amer que font les deux rapports d’activités de la coopération luxembourgeoise au développement, et de l’agence luxembourgeoise pour la coopération au développement, Lux-Development pour 2009.

Et ce n’est pas comme si il n’y en aurait pas assez, des défis. Comme les deux rapports le mentionnent, la crise économique mondiale n’a pas épargné les pays en développement. Au contraire, c’est maintenant que l’on constate qu’ici et là, des pays revoient leurs engagements financiers à la baisse, que les investissements fléchissent et que les flux des transferts des migrants se tarissent.

Mais le Luxembourg tient le cap. L’aide publique au développement (APD) luxembourgeoise a progressé pour atteindre un montant de 297 817 177 euros. Le pays consolide ainsi sa position parmi les cinq bailleurs de fonds qui respectent l’engagement pris de consacrer au moins 0,7 pour cent de leurs RNB au développement. Avec 1,04 pour cent du RNB, le grand-duché occupe la troisième place.

Y contribuent divers acteurs. La mission peut être exécutée soit par le ministère lui-même, soit par l’agence Lux-Development, soit par une multitude d’autres intervenants comme les ONG. On retrouve également les institutions de l’Union européenne, les organismes des Nations unies et la Banque mondiale, entre autres. Dans le premier cas, on parle de coopération bilatérale, dans le deuxième cas, de coopération multilatérale.

Lux-Development y occupe une place de choix. 27,65 pour cent de l’APD et 43,66 pour cent de la coopération bilatérale passent par cette agence, dont la mission, au Luxembourg, est « de permettre à l’État luxembourgeois de mettre en œuvre sa politique volontariste et ambitieuse de coopération au développement… ». Sur le terrain, Lux-Development « cherche à maximiser l’appropriation du développement par les pays partenaires, c’est-à-dire leur capacité à exercer une réelle maîtrise sur leurs politique et stratégies de développement… » (rapport Lux-Development).

Cette différentiation de missions est révélatrice du problème technique fondamental de la coopération au développement, le schisme qui existe entre « le siège » et « le terrain ». Alors que la façon de travailler d’une agence occidentale qui se veut hautement professionnelle est bureaucratique, avec ses procédures, normes, codes et autres cadres, le quotidien dans les pays en développement se fait le plus souvent dans l’informel. Le système occidental qu’une agence ou un bureau de coopération amène dans ses bagages, et qu’ils essaient non rarement d’imposer, rencontre souvent de l’incompréhension et de la confusion.

En découlent les nombreuses difficultés dont les rapports ne parlent pas. Parmi celles-là, on compte les difficultés de communication au niveau linguistique et surtout au niveau culturel, jalousies et jeux de pouvoir, ralentissements et blocages éventuels d’activités. À lire les rapports, on a l’impression d’être loin des réalités du terrain. En effet, on se trouve dans la sphère de la satisfaction de la machine bureaucratique qu’est l’État. Comme si elle se nourrissait de paperasses et de belles images, dont les rapports ne manquent pas.

Cette année, on parle beaucoup des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), puisqu’on se trouve à deux tiers du parcours, le délai pour les atteindre ayant été fixé à 2015. Les deux rapports reprennent ce discours car les huit objectifs « représentent une vision, une voie à suivre » (rapport MAE). Ainsi, le rapport du MAE se base sur les OMD pour revoir la situation et le progrès de chaque pays d’intervention avant de décrire ses projets en cours et à venir. Mais vu le constat fait dans le rapport du MAE que « la crise fera dérailler les efforts de développement », l’on peut s’interroger si l’APD seule peut suffire à atteindre les ojectifs ? Si l’on constate les impacts que la crise, ainsi que le changement climatique, ont sur le développement, est-ce que l’on ne doit pas aller plus loin et poser la question des limites de l’APD ?

D’autant plus que le bilan à deux tiers est mitigé. Des progrès ont été réalisés, mais ils sont très inégaux au niveau géographique et selon les secteurs. Ce sont les domaines de la scolarisation, de l’égalité des sexes, de l’eau et de la santé, qui ont eu les meilleurs résultats. Nombreux sont ceux qui interrogent la durabilité de ce développement par secteurs, qui est tout sauf un développement intégral et équilibré.

Quels changements est ce que la coopération au développement peut réellement espérer atteindre ? Lux-Development a choisi comme fil rouge pour son rapport 2009 le thème du « développement local ». Face à des problèmes globaux, il y aurait des solutions nationales. Le rapport avance : « Nous continuons de croire que les acteurs du développement local tiennent dans leurs mains certaines clés essentielles de l’éradication de la pauvreté ». Pourtant, nombreuses sont les voix qui doutent de cette croyance, non seulement au vu des impacts de la crise et du changement climatique sur les pays en développement, mais aussi et surtout de la nature fondamentalement structurelle des causes de la pauvreté dans le monde. Nombreux sont aussi les plus pauvres du monde qui ne croient plus en leur capacité de changer le cours des choses.

L’approche du développement local conçoit le développement comme « une démarche privilégiant les ressources endogènes et qui intègre les dimensions territoriales, politiques, sociales, culturelles, environnementales et organisationnelles ». Il s’agirait d’un développement intégral d’un territoire limité dans lequel toutes les composantes sont prises en compte pour un développement durable et équilibré.

Dans ce cas, on ne peut que s’étonner du nombre de projets attribués par Lux-Development à des entreprises luxembourgeoises. Est-ce que le principe des « ressources endogènes » aurait perdu bataille contre le besoin de prestige de l’administration luxembourgeoise ?

Quels sont alors concrètement les résultats atteints par la coopération luxembourgeoise ? Il manque des chiffres parlants dans les deux rapports. Les projets sont néanmoins systématiquement évalués. Chez Lux-Development, on avance qu’en 2009, 82 pour cent des projets ont été évalués à supérieur ou égal à trois (« bon en termes d’efficacité »). Au ministère, on dit que l’omission de certains chiffres est un choix ; le rapport ne couvre que les informations générales. Des soucis budgétaires empêcheraient d’aller plus loin. On ne veut pas trop investir dans la communication par peur que des voix puissent s’élever pour critiquer cette dépense.

Est-ce que l’on ne peut plus communiquer sans engager trop de lignes budgétaires ? La volonté d’informer et d’éduquer doit-elle nécessairement être accompagnée d’une table ronde lourde en dépenses? N’est-il pas possible d’envisager un débat ouvert, dans lequel la société est engagée et dont elle est l’acteur principal ?

Au Luxembourg, la communication est essentiellement l’apanage des ONG. Ils se rendent dans les écoles et lycées pour informer et sensibiliser le public. Mais, globalement, la coopération au développement reste incomprise. Dans les discours officiels, on entretient souvent la langue de bois. La réalité, on la saisit quand on cherche. Qui cherche, trouvera surprenant que l’APD ne part pas intégralement au sud mais inclut, par exemple, les traitements des fonctionnaires. On a parfois l’impression que la communication de l’État ne se limite qu’aux informations anodines et aux données qui enchantent le citoyen. Les gros chiffres (« dix pays partenaires, six bureaux régionaux ») au recto du couvert du rapport Lux-Development n’éclaircissent pas vraiment sur la réalité des problématiques de la coopération au développement. Souhaite-on peut être ne pas trop communiquer ?

Mais cela ne surprend personne. L’État n’est pas, de par sa nature, l’acteur le plus progressiste. Alors que, idéalement, on pourrait estimer qu’une société qui se veut penchée vers l’avenir, devrait disposer d’un appareil étatique innovateur, ouvert, critique. La lourdeur de l’appareil étatique se fait sentir jusque dans la coopération au déve-loppement. Le discours est un discours de technocrates. Les débats tournent souvent autour de détails, de formes. Toutes les quelques années, il y a une nouvelle approche, une nouvelle stratégie, débattue longuement par les experts. Aussi, l’approche du développement local fait partie d’une vague qui, depuis quelques années, valorise la bonne gouvernance et le renforcement des capacités.

Depuis quelques années aussi, l’harmonisation est devenue le mot d’ordre, ce que rappelle aussi le rapport de Lux-Development. Depuis la déclaration de Paris en 2005, tous les acteurs de la coopération au développement se sont engagés à réunir leurs efforts. Mais, la réalité sur le terrain est autre. Comme l’avance un coopérant au Mali, trop souvent, « chacun travaille de son côté et on ne regarde pas au-delà de son assiette ». Les politiques sectorielles des États dans lesquelles les coopérations sont censées s’inscrire, ne sont souvent pas respectées.

Les deux rapports de la coopération luxembourgeoise ont donné l’occasion de lancer un débat. Il ne s’agit pas ici de critiquer l’APD, mais d’ouvrir d’autres voies de réflexion. Sans doute, la coopération au développement travaille selon les normes établies et atteint des résultats dans ses projets. Mais, dans un monde qui est devenu un village et où les gens au sud sont affectés par les erreurs qui sont faites au nord, l’on devrait peut être « voir au-delà de son assiette ».

La lutte contre la pauvreté étant devenu le champ de bataille des technocrates, l’on peut aussi interroger la nécessité de cette nature bureaucrate qui l’éloigne des réalités du terrain. Comme l’écrivent Antje Schultheis et Klaus Schilder (Informationsbrief Welt­wirtschaft und Entwicklung, juin 2010), la lutte contre la pauvreté est primairement conçue comme un défi technique dans laquelle la catégorie de la justice sociale n’a pas d’importance.

L’auteure était assistante technique de Lux-Development au Niger.
Nathalie Oberweis
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