Le développement d’un nouveau secteur peut prendre des décennies. Il faudra donc se doter d’une stratégie pour valoriser des investissements réalisés dans la recherche biomédicale

Pour un deuxième souffle

d'Lëtzebuerger Land du 24.10.2014

La biotechnologie et les sciences de la santé sont un élément-clé de la stratégie du gouvernement visant à diversifier l'économie du Luxembourg depuis dix ans maintenant. L’objectif consiste à faire du Luxembourg une destination attrayante pour des projets de recherche et d'innovation. Le projet est soutenu par un investissement public conséquent. Un accent important est mis sur la recherche pour favoriser le développement économique. En effet, le développement d’une certaine expertise au Luxembourg est indispensable pour faire son entrée dans un secteur high-tech.

Les initiatives sont nombreuses au sein des centres de recherche et il convient de mentionner en particulier les trois projets phares : la fondation de l’Integrated BioBank of Luxembourg (IBBL), la mise en place du Luxembourg Center for Systems Biomedicine, dit LCSB, à l’Université du Luxembourg, et le lancement d’un projet autour du cancer du poumon situé dans les locaux du CRP-Santé. Ainsi, le secteur a vu une évolution et une croissance non seulement dans le domaine de la recherche publique mais aussi dans le privé.

Depuis 2008, le Luxembourg BioHealth Cluster, géré par Luxinnovation, regroupe différents acteurs publics et privés et offre une plate-forme de rencontre et d’échanges. Depuis peu ce cluster a élargi sa portée pour mieux soutenir ses membres et voit son rôle étendu entre autres à la prospection et au développement économique. Ainsi les acteurs publics et privés du secteur des sciences et technologies de la santé sont soutenus par le biais de services personnalisés.

C’est effectivement le volet diversification économique qui nous intéresse plus particulièrement dans cet article.

Pour avoir une idée assez claire de la façon dont les autorités se positionnent l’on consultera utilement le site Letzbio.lu, développé en relation avec Luxembourg for business, Luxinnovation et le Fonds national de la recherche (FNR).

On y retrouve certains des arguments traditionnels valorisant une implantation à Luxembourg. L’environnement globalement favorable pour l’innovation et la position stratégique du Luxembourg, son climat propice aux affaires et sa stabilité politique. L’accès au gouvernement et à la politique est certainement un atout du Grand-Duché. Des arguments un peu plus audacieux sont également mis en avant, comme une fiscalité favorable avec un taux de TVA le plus bas en Europe ainsi que les services financiers efficaces.

Quant aux infrastructures, le Luxembourg peut effectivement vanter ses excellentes infrastructures ICT et logistiques notamment pour l’industrie pharmaceutique.

Ce tableau ne serait pas complet sans mentionner le paquet d’aides publiques qui sont disponibles pour des projets innovants. Quant aux montants les aides publiques font l’objet d’un encadrement communautaire et ce n’est pas sur ce point isolé que le Luxembourg peut se positionner par rapport à ses compétiteurs. Pour compléter la chaine de valeur concernant les financements, le gouvernement a déjà pris quelques mesures, notamment un investissement dans un fonds consacré aux sciences de la vie géré par un groupe basé à Londres.

Enfin, le Fond national pour la recherche à d’autres cordes à son arc et moyens pour attirer des chercheurs de premier plan et promouvoir la collaboration avec l’industrie pour la valorisation de la recherche.

Le Luxembourg peut se prévaloir d’avoir attiré sur son territoire des entreprises internationales de renom et les arguments pour attirer les sièges des sociétés sont également déployés dans le secteur Bio Tech.

Les véhicules juridiques et fiscaux tels les fonds, Sicar, SIF et autres Soparfi font partie de la panoplie des atouts mis en avant. Sans conteste, le Luxembourg dispose d’une série d’arguments pour convaincre investisseurs et chercheurs. Tout ce site Letzbio est particulièrement bien fait et bien présenté. Mais encore ?

D’autres feront le bilan de ces dernières années d’efforts dans le secteur. Il ne fait pas de doute non plus que le développement d’un nouveau secteur peut prendre des décennies. Le Luxembourg est petit et les moyens financiers dégagés pour importants qu’ils soient sont limités dans une appréciation d’ensemble. Il faudra donc cibler les pistes à suivre et se doter d’une stratégie notamment lorsqu’il s’agira de la valorisation économique des investissements réalisés.

Notre réflexion vise à dégager des pistes de réflexion respectivement des interrogations pour l’avenir permettant éventuellement de progresser dans différents domaines.

La plate-forme luxembourgeoise dans le Bio Tech peut-elle exister autrement que sur des niches ? Au-delà des projets qui ont été lancés il faudra probablement préciser les pistes dégagées, sinon trouver ces niches et y associer des projets de développement économique et commercial.

Le regard du juriste a tendance à se diriger en premier lieu sur la réglementation des différentes activités. Parlant de réglementation, nous ne visons pas visée la panoplie d’instruments juridiques évoqués plus haut, mais plutôt la réglementation du domaine de la santé au sens large. Sa compatibilité avec les développements dans le domaine Bio Tech et celles que l’on peut attribuer au secteur se résument à une transposition plus ou moins directe de directives européennes. La non prise en compte de la dimension réglementaire dans une dimension plus spécifique peut paraître étonnant de la part du Luxembourg qui a souvent construit son succès sur l’élaboration de niches réglementaires dans d’autres secteurs.

Des réglementations sont telles nécessaires ou souhaitables pour développer de nouvelles activités dans le domaine des biotechnologies ? N’est-il pas préférable de ne pas réglementer pour ne pas étouffer la créativité, l’esprit d’entreprise ? Le Luxembourg a bien créé une bio banque sans réglementation spécifique. D’aucuns penchent sans doute en faveur d’une telle approche. Notre perception de la situation va dans le sens contraire. Elle repose empiriquement sur des entretiens avec différents acteurs du secteur et l’attitude de certains investisseurs étrangers par rapport à la question du cadre réglementaire. Dans certains cas, il est souhaitable d’avoir un cadre réglementaire et qui correspond aux besoins de sécurité juridique des acteurs économiques. Le cadre réglementaire peut inspirer confiance à un investisseur. Nous savons aussi que dans certains cas de figure une réglementation adéquate peut constituer un avantage compétitif considérable. Voilà donc en ce qui concerne les observations de principe.

Le débat serait souhaitable pour dégager une dynamique ou insuffler ce deuxième souffle au projet. Que tous les points de vue sont permis, mais le consensus comme plus petit dénominateur commun ne sera pas forcément suffisant pour avancer.

Des réflexions et initiatives assez ponctuelles de ce type ont déjà eu lieu sans faire l’objet de débats publics. L’on peut néanmoins citer l’initiative de l’Ilnas sur une revue de certaines normes et réglementations applicables aux secteurs visés.

Qui dit réglementation, dit également débat. Fréquemment les normes et réglementations ne sont que techniques en apparence. Dans le secteur des biotechnologies nous rencontrons de véritables enjeux de société et des sujets qui fâchent. L’on peut citer à cet endroit la convention d’Oviedo mieux connue sous la désignation Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine et son processus de ratification au Luxembourg1. Convention conclue sous l’égide du Conseil de l’Europe, la recherche de compromis dans l’un ou l’autre domaine s’est révélée de plus en plus difficile. Dans certains domaines, tels que la transplantation d’organes, la génétique, l’assistance médicale à la procréation et la recherche médicale, la Convention se borne à énoncer les grands principes, qui pourront ultérieurement être développés dans des protocoles additionnels2. Le débat démocratique luxembourgeois pour la ratification de la convention peut être extrêmement long. Le dépôt du projet remonte à 2006 et il n’a pas abouti à ce jour. Et pourtant la convention ne constitue qu’un cadre juridique sur des grands principes. C’est peut-être aussi pour cela que les discussions au cours de la procédure législative avec une implication forte de la Commission d’éthique ont été très ouvertes et le processus très long. Sans aborder le fond des sujets discutés et dans le respect du travail effectué au cours de la procédure législative, il faut néanmoins s’interroger sur les capacités du Luxembourg de se doter d’une réglementation éventuellement de pointe pour soutenir le développement de certaines branches du secteur des biotechnologies. Le parti pris à la base de cette interrogation repose sur la perception de la nécessité d’un cadre normatif ou réglementaire pour le développement de certaines activités. Des investissements importants dans des secteurs de pointe nécessitent aussi une certaine sécurité au plan juridique.

Au plan de l’organisation gouvernementale, le secteur des biotechnologies dépend directement ou indirectement de trois ministères qui a chacun ses compétences propres. D’une certaine manière cet état des choses ne facilite pas l’élaboration d’une stratégie d’ensemble pour insuffler un deuxième souffle au développement de ce secteur et l’approche par rapport à la réglementation de certaines activités sera forcément différente. C’est donc probablement à ce niveau qu’il faut offrir un tel cadre de rencontre comme cela a déjà été fait par le passé. Quels sujets ? Les pistes ne manquent pas.

Les réflexions à mener ne pourront se limiter à la valorisation et au développement des activités économiques, mais doivent inclure les bases sur lesquelles cette valorisation pourra se construire. Un regard particulier sera à porter sur l’état de notre législation et les bonnes pratiques législatives à l’étranger.

La réflexion à mener pourra aborder de multiples thèmes en relation avec le domaine de la recherche biomédicale. Les études cliniques et l’industrie pharmaceutique constituent une première piste. Dans le cadre du droit européen régissant certains aspects, le Luxembourg pourrait-il se positionner afin de dégager un avantage compétitif et attirer certaines activités de l’industrie pharmaceutique au Luxembourg ?

Le biobanking est un des trois piliers phares de la démarche gouvernementale. Notre système légal encadre-t-il de façon optimale cette activité ? Donne-t-il suffisamment de garanties au patient-donneur, tout en permettant assez de flexibilité à la recherche/développement et au transfert de technologies ? Le développement d’une médecine moderne peut profiter des études cliniques, du biobanking et des registres et cohortes. Notre cadre législatif est-il adapté à cela, notamment sur le volet éthique et la protection des droits des patients ?

Beaucoup d’activités de recherche sont dépendantes d’un accès à des échantillons biologiques. Le transport d’échantillons biologiques pose un problème particulier (risques biologiques, réglementations européennes et internationales). Est-ce que notre cadre légal y est favorable tout en garantissant un niveau de sécurité adéquat ?

Le Luxembourg n’a pas de réglementation sur les registres de maladies, à l’exception du registre national du cancer pour lequel un règlement grand-ducal est en préparation. Ceci laisse un vide juridique pour les autres registres, pourtant essentiels à une politique de santé informée.

Nous n’avons pas de réglementation sur les études de cohortes. Un référentiel est-il utile dans ce domaine ?

Le cadre légal est insuffisant pour les aspects génétiques en relation avec la médecine personnalisée et notamment la médecine préventive, sujets pourtant centraux pour un développement à Luxembourg. De même, un cadre transparent réglant le domaine du « Health IT & bioinformatics » pourrait stimuler la croissance au Luxembourg par le billet de nouvelles entreprises.

L’élaboration, la validation en vue d’une commercialisation et l’implémentation en clinique des tests diagnostiques sont réglementées sur le plan national et européen. Est-ce que cette réglementation est encore adaptée aux biomarqueurs actuellement développés dans le cadre d’une médecine dite personnalisée ? C’est une autre niche dans laquelle le Luxembourg pourrait se positionner pour attirer des entreprises étrangères.

Les progrès récents en pharmacogénétique ont une influence considérable sur le développement de médicaments et la prise en charge des patients, notamment en permettant d’offrir des thérapies plus ciblées avec une meilleure gestion des effets secondaires. Il est donc nécessaire d'adapter les processus de réglementation pour tenir compte des nouvelles méthodologies et techniques innovantes tout en veillant à ce que les biomarqueurs, tests et/ou les diagnostics et les essais cliniques soient appropriés et adaptés à leurs objectifs. Ceci représente aussi une chance pour le Luxembourg pour se positionner comme innovation leader (test bed), et ainsi créer une opportunité pour attirer des investisseurs.

Au-delà d’un état des lieux et d’un alignement d’instruments et d’outils utiles, il faut, partant de la réalité du secteur, dégager des orientations stratégiques pour une vitalisation des activités existantes ou nouvelles. Le mot stratégie est préférable à celui de vision dans ce scénario et elle devrait découler d’une vue d’ensemble du secteur impliquant les regards croisés des différents intervenants. Les pistes de réflexion devront inclure des considérations d’image de marque, mais aussi les enjeux techniques, juridiques et institutionnels. Des arbitrages sont à faire si l’on veut dégager des avantages compétitifs pour le Luxembourg dans certains domaines et dégager des niches et pratiques par lesquelles le Luxembourg peut se présenter comme cadre d’excellence. Les freins au plan réglementaire seront à identifier clairement des adaptations législatives et réglementaires pour autant que de besoin sot à réaliser dans des délais raisonnables. Le mode de fonctionnement entre instances, qui a été thématisé par l’actuel gouvernement, est un véritable sujet pour améliorer la performance de l’action publique.

Marc Glodt est avocat à la Cour et commissaire de gouvernement honoraire. Pendant près de vingt ans il a été responsable de l’administration maritime luxembourgeoise et, à ce titre, fortement impliqué dans la gestion du dossier maritime qui relève aujourd’hui du ministère de l‘Économie.
Marc Glodt
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