Commentaire

Le prix de l’hybris

d'Lëtzebuerger Land du 05.10.2018

Il y eut un temps où la présentation du rapport annuel du Film Fund, établissement public de soutien au cinéma, était une des rares occasions pour le ministre des Médias et des Communications de s’afficher fièrement avec Guy Daleiden pour signifier son soutien politique au secteur audiovisuel luxembourgeois. Lundi, le Film Fund présenta (très tardivement) son rapport annuel 2017, l’attention médiatique était énorme – et le ministre Xavier Bettel (DP) aussi absent qu’à Cannes au printemps. La dissension entre le ministre et le secteur ne pouvait être plus évidente (enfin, elle l’est aussi pour la radio publique 100,7, voir p.10) : Bettel ne veut plus prendre de décision sur cette augmentation tant voulue par les producteurs de la dotation budgétaire avant la fin de la législature, dimanche prochain. Car les caisses sont vides, il n’y a plus d’argent à distribuer aux projets de films, le secteur risque de se retrouver à l’arrêt à la fin de cette année ou au début de l’année prochaine – avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir sur le millier d’emplois dans le cinéma, mais aussi le Filmland à Kehlen, dont le propriétaire privé risque la banqueroute, ou toutes les sociétés de production et leurs fournisseurs.

Que s’est-il passé pour en arriver à tant de désamour entre les producteurs de cinéma, le ministre et l’opinion publique, représentée par des médias qui n’épargnent plus ni le Film Fund, ni les sociétés de production ? « Das Finanzgebaren des ‘Film Fund’ » titrait le magazine en-ligne Reporter.lu vendredi 28 septembre, reprochant à cette « industrie étatique très particulière » une grande opacité dans l’attribution de fonds publics et une gestion hasardeuse des sociétés qui en profitent. Premièrement : il s’agit de beaucoup d’argent, 34 millions d’euros annuels ou l’équivalent d’un quart de tout le budget culturel, qui est attribué par une structure administrative extrêmement légère : trois membres au Conseil d’administration, cinq membres au comité de sélection (ce sont eux qui prennent les décisions quant aux films retenus) et une douzaine de fonctionnaires seulement pour gérer les dossiers. En comparaison, la Philharmonie et ses quelque vingt millions euros paye plus de 120 salaires, dont tout un orchestre. Deuxièmement, les critères de sélection des films demeurent extrêmement subjectifs, dépendant de l’appréciation des membres du comité de sélection. Il n’est pas rare dernièrement que la moitié des projets soumis lors d’une session à son jugement soient rejetés pour une raison ou une autre, souvent un simple manque d’argent. Cela crée des frustrations, comme celle d’Andy Bausch, le plus populaire des réalisateurs luxembourgeois, qui n’arrive plus à faire financer ses projets et craint de se retrouver au chômage après son film sur les années 1980. Et troisièmement, les retombées de ces investissements ne sont pas toujours visibles pour le public luxembourgeois : qui connaît la société Bidibul ou a_Bahn par exemple, qui produsisent à quelques exceptions près, des films français pour le public français et qui se sont installées au Luxembourg pour pouvoir profiter des aides financières pour leurs films ?

Tant que tout le secteur se développait assez discrètement, à l’ombre de l’attention publique, tout allait bien. Mais c’est probablement l’hybris des producteurs qui leur a coûté leur renommée. Demander une augmentation budgétaire pourrait être tout à fait légitime, si un secteur veut se développer. Mais demander sans sourciller une augmentation de cinquante pour cent – des cent millions pour trois ans actuels à 150 millions – est tout simplement suicidaire. Ou c’est mal connaître la chose publique : même face à la croissance démographique impressionnante, il n’y a pas cinquante pour cent de budget en plus pour construire des écoles. C’est politiquement indéfendable. D’ailleurs, tous les métiers du cinéma ne sont pas dans la même logique purement industrielle des producteurs. Les réalisateurs, les techniciens ou les acteurs ont d’autres priorités, peut-être plus culturelles. Alors Xavier Bettel fait diversion, écoute les critiques ponctuelles qui mettent en doute le fonctionnement du Film Fund de son ancien proche Guy Daleiden (qui était président adjoint du DP) et fait réaliser un audit – dont les résultats, entend-on de toutes parts, seraient positifs. Mais Bettel refuse de la rendre public avant « un rendez-vous avec le secteur à la fin du mois » explique son ministère. Malheureusement, ces querelles internes aussi basses menées sur la place publique font oublier que, derrière toutes les questions administratives et budgétaires, c’est d’art qu’il devrait s’agir en premier. Qu’il faut aussi regarder les films et se laisser emporter par leurs histoires, leur esthétique, leur vision du monde.

 

Droit de réponse

Nos films luxembourgeois

Stéphane (Hueber-Blies, ndlr.), Nicolas (Blies, ndlr.) et moi avons fondé a_Bahn il y a plus de sept ans maintenant, nous vivons tous les trois au Luxembourg (depuis neuf ans me concernant) et nous y scolarisons nos enfants. Un pays dans lequel nous sommes fiers de vivre et pour lequel nous nous investissons socialement, artistiquement et culturellement. Avec a_Bahn, nous sommes également fiers de travailler depuis le début à développer un nouveau segment de l’industrie cinématographique luxembourgeoise, celui des nouveaux médias et des nouvelles écritures. Une nouvelle compétence qui permet à notre industrie de bénéficier d’une image novatrice à l’international.
C’est pourquoi nous affirmons que non, contrairement à ce que vous dites, nous ne produisons pas « des films français pour le public français ». 70 pour cent de nos films soutenus par le Film Fund Luxembourg sont des films d’auteur-e-s luxembourgeois-e-s. 70 pour cent de ces productions sont faites par des femmes, ce qui nous tient à cœur dans ce milieu encore trop masculin.

Nos films sont donc majorirairement des films de luxembourgeois que nous essayons de porter sur le marché intérieur et sur le marché international. Les trois projets que nous avons déjà sortis ont rencontré une forte audience nationale et internationale. Génération Quoi Europe (Julie Schroell), sur la jeunesse luxembourgeoise et européenne, a permis de mobiliser activement plus de 3 500 jeunes luxembourgeois-e-s et d’avoir des centaines de milliers de spectateur-rice-s dans quinze pays européens. Également, Soundhunters (Béryl Koltz) a touché une audience internationale avec plus de 600 000 personnes dont le Luxembourg (diffusion du film dans vingt pays). Enfin, Zero Impunity, qui condamne les violences sexuelles en temps de guerre dans le monde, a touché une audience d’un million de personnes et a été proposé au public luxembourgeois par nos partenaires Le Jeudi et Tageblatt. Le long-métrage documentaire sortira, quant à lui, en salle au second trimestre 2019.

À côté de cela, de nombreux autres projets sont en préparation. Notre philosophie est d’accompagner nos auteur-e-s luxembourgeois-e-s sur le marché international afin de leur permettre de consolider ou de lancer leurs carrières au-delà des frontières. Ainsi sortiront en 2019, des créations portées par Charlotte Bruneau, Jean-Louis Schuller ou encore Karolina Markiewicz et Pascal Piron. Enfin, les quelques films étrangers que nous avons produits au Luxembourg ont permis à de nombreux techniciens luxembourgeois de se former à la réalité virtuelle. Une première au Luxembourg.

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons accepter votre formule réductrice et fausse. Cela ne recouvre aucune réalité et il nous semble grave de l’affirmer en tant que journaliste. Marion Guth, productrice & co-fondatrice de a_Bahn

 

Droit de réponse

Porter haut les couleurs du Grand-Duché

Dans votre édition du 5 octobre, dans l’article intitulé « Le prix de l’hybris », un passage en particulier nous – Bidibul Productions – fait réagir. Pour vous citer « Et troisièmement, les retombées de ces investissements ne sont pas toujours visibles pour le public luxembourgeois : qui connaît la société Bidibul ou a_Bahn par exemple, qui produisent à quelques exceptions près, des films français pour le public français et qui se sont installées au Luxembourg pour pouvoir profiter des aides financières pour leurs films ? »
Nous tenons à préciser que Bidibul Productions est une société de production indépendante luxembourgeoise dont les actionnaires sont actifs depuis plus de vingt ans au Grand-Duché, et résident à Luxembourg. Son CEO est actif depuis 1997 dans le domaine de la production audiovisuelle, série, long-métrage, animation et fiction, au Luxembourg.

Pour rappel, la production cinématographique est basée essentiellement sur la coproduction entre différents pays, principalement européens, avec leurs aides étatiques spécifiques en plus des financements venant du marché. Bidibul Productions développe et produit des films luxembourgeois avec des réalisateurs étrangers ou luxembourgeois. Dans tous les cas, les films produits par Bidibul Productions engendrent des retombées économiques au Grand-Duché de Luxembourg, de part son activité avec des techniciens, auteurs, réalisateurs, acteurs, studio de tournage, studio de post-production et studio d’animation luxembourgeois.

La notoriété de Bidibul Productions au Grand-Duché et hors du pays a permis, également et entre autres, de financer à hauteur de 70 pour cent, avec de l’argent venant de l’étranger, Croc Blanc (Wollefszant), un long métrage d’un réalisateur luxembourgeois, et dont la musique du film est interprétée par l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg. Ce qui a permis aussi, pour ce réalisateur luxembourgeois, d’avoir une belle visibilité à l’international, avec des sélections officielles dans de nombreux festivals de renommée et, avec la société de production Bidibul Productions, de porter haut les couleurs du Grand-Duché avec une exploitation de son film dans plus de 160 pays.

Nous essayons de faire le maximum pour que nos films luxembourgeois ne soient pas destinés à un marché unique, mais à être vus par le plus large public, luxembourgeois, européen et/ou international, par l’exploitation en salle de cinéma, à la télévision, sur support DVD et plateforme Vidéo On Demand, ainsi que dans les festivals » Lilian Eche, Administrateur délégué, Bidibul Productions

josée hansen
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