Elodie Lesourd, The Oracular Illusion

L’art comme partition de musique

d'Lëtzebuerger Land du 06.11.2015

L’exposition Altars of Madness en 2013 avait déjà révélé le goût du directeur artistique du Casino Luxembourg, Kevin Muhlen, pour la musique ainsi que pour les corrélations du rock, du black et du death metal avec l’art contemporain. Elodie Lesourd, jeune artiste française qui faisait partie de l’exposition susmentionnée, occupe actuellement le premier étage du Forum d’art contemporain pour une exposition monographique et emmène les spectateurs à nouveau dans un univers musical obscur.

Elodie Lesourd s’inspire autant de l’histoire de l’art que de la culture du rock et, plus précisément, du black metal, de sa philosophie et de ses codes (comme le pentagramme ou la croix inversée) qu’elle détourne ou efface. Dans son œuvre Ornement et crime, elle découpe ainsi dans des t-shirts les endroits où se trouvent les logos des groupes rock et accroche les vêtements perforés aux murs. D’autre part, elle transpose lesdits codes au domaine de l’art et les intègre dans l’orchestration de ses expositions. Au Casino, le spectateur est invité à découvrir des œuvres dissimulées, à l’instar des « ghost tracks » à la fin de certains disques musicaux.

En gros, la création de Lesourd se laisse départager en deux grands groupes d’œuvres. Une première catégorie comprend des œuvres néo-conceptuelles, dans lesquelles la musique rock et l’histoire de l’art sont mises en relation de façon ludique et moins rigoureuse. Le deuxième groupe suit un concept plus strict. L’artiste s’y sert de photographies reproduisant des installations que d’autres artistes ont créées en hommage à la musique rock. Elle qualifie ces travaux d’« hyperrockalistes », terme décliné de celui de l’hyperréalisme, courant artistique qui vise à peindre la réalité de façon aussi précise qu’une photographie. Si une partie des artistes hyperréalistes ont procédé ou procèdent à ces peintures trompe-l’œil moyennant un projecteur, Elodie Lesourd réalise ses propres peintures à la main, sans aucun dispositif artificiel. Ce procédé est intéressant dans la mesure où il permet à Lesourd de mettre en question le statut d’une œuvre d’art : en se servant d’une photographie, c’est-à-dire d’une reproduction bidimensionnelle et fragmentaire de l’installation originale, l’artiste joue avec les notions de dédoublement et d’illusion. Les tableaux sont à leur tour une reproduction de la photographie (c’est-à-dire de la reproduction initiale), informant sur la pièce originale par le biais d’une double transformation. Le titre de l’œuvre renvoie souvent par indice à l’auteur de l’installation originale. Il joue d’ailleurs un rôle important dans les travaux de Lesourd, parce qu’il renseigne sur la source d’inspiration spécifique, que ce soit un artiste, un groupe ou un disque musical (comme Heathen de David Bowie ou Nevermind the bollocks des Sex Pistols).

Pour l’œuvre Lamellar Armour, Elodie Lesourd a assemblé des plectres colorés de façon à former le drapeau norvégien. Le pays est entre autres connu pour ses fameux groupes de black metal ; l’inversement de la croix du drapeau par Lesourd accentue cette référence. L’œuvre dévoile également la prédilection de Lesourd pour l’abstraction géométrique. Les lignes droites constituent un élément récurrent dans son œuvre, et on est presque tenté de penser à Paul Klee, à sa passion pour la musique et à son utilisation polyvalente de la ligne dans ses dessins et peintures. Si Elodie Lesourd rentrera elle-même dans l’histoire de l’art reste à voir. Dans deux des salles du Casino, les murs sont décorés avec des lignes noires, Mi La Ré Sol Lewitt et Stella Ré Sol Si Mi, hommages aux conceptions géométriques de Frank Stella et aux peintures murales exécutées selon une description très précise de Sol LeWitt. Sur les murs peints de la sorte, l’artiste française a accroché ses propres peintures. En citant les grands maîtres, elle ne copie pas seulement leur approche minimaliste, mais tisse aussi une toile entre leurs œuvres et la sienne.

En avançant dans l’exposition, le spectateur découvrira des salles peintes avec des gradués de couleurs (du vert au noir et du jaune au violet) et une salle où sont fixées des lanières de cuir barrant le chemin droit (Signs). Si on ne peut pas vraiment parler d’une œuvre d’art totale, il faut remarquer que l’exposition dans son ensemble est composée aussi minutieusement qu’une pièce musicale, suggérant différentes tonalités et cadences. En évoquant des références multiples et en les agençant dans de nouvelles constellations, Elodie Lesourd propose une lecture nouvelle de ce qu’on a pu voir ou entendre auparavant. Même si ces références sont indiquées dans les titres, leur déchiffrement s’apparente plus à un puzzle qu’à un jeu d’esprit pour ceux qui ne sont pas connaisseurs en la matière. Pour en saisir toutes les finesses, il faudra se référer au guide de l’exposition ou au texte rédigé par l’artiste elle-même, disponible sur le site Internet du Casino.

L’exposition d’Elodie Lesourd, The Oracular Illusion est à voir jusqu’au 3 janvier 2016 au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, ouvert les lundis, mercredis et vendredis de 11 à 19 heures, les jeudis de 11 à 20 heures et le weekend de 11 à 18 heures ; www.casino-luxembourg.lu.
Florence Thurmes
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