Charmant village situé aux abords de Metz, Vantoux est devenu, le temps d’une soirée, l’épicentre de l’art contemporain dans le Grand Est. Jeudi 16 mai, il y avait en effet foule dans l’enceinte de l’école communale conçue en 1950 par Jean Prouvé, dans le contexte de reconstruction menée par l’État français en matière de logements et d’infrastructures. Avec sa structure éphémère, démontable et mobile, et ses parois criblées de hublots dignes d’un vaisseau des mers, le lieu étonne autant par sa modernité que par son élégance aux lignes épurées. Tout droit sortie des Ateliers Prouvé, alors installés à Maxéville, près de Nancy, l’école de Vantoux constitue un « modèle industrialisable d’école rurale à une classe, avec logement d’instituteur, dont les éléments doivent pouvoir être fabriqués en grande série, facilement montés et sur n’importe quel site », nous apprend le site de référence dédié à l’illustre architecte et constructeur français. L’école avait finalement été pérennisée, remplissant sa fonction pédagogique jusqu’en 2014. S’ensuit une longue période de restauration de l’édifice, jusqu’à son incroyable conversion aujourd’hui en galerie d’art privée, dix ans après sa mise à l’arrêt.
Ce n’est pas cependant pour la seule valeur patrimoniale de l’édifice que l’on se précipitait ce soir-là à Vantoux. Artistes, collectionneurs, professionnels de la culture et édiles, bien sûr, se sont donné rendez-vous au vernissage de l’exposition Prouvé-Raynaud. Alphabet pour adultes de Jean-Pierre Raynaud, première exposition de la toute nouvelle galerie Nathan Chiche, du nom du nouveau maître des lieux (et fils de la galeriste Patricia Chicheportiche, également co-fondatrice de la présente galerie). La presse spécialisée parisienne fut dépêchée sur place pour immortaliser l’événement. Même l’artiste Jean-Pierre Raynaud, âgé de 85 ans, a fait le déplacement. Pour cet événement, la communication de la galerie a évidemment joué sur le thème de la « Rentrée des classes ». Le catalogue remis au public revêtait l’aspect d’un carnet d’école, où quelques notes de Raynaud sont inscrites sur un papier à petits carreaux, comme si l’artiste retrouvait les bancs de l’école. On découvre également dans le fascicule la photo en noir et blanc d’une classe d’élèves assidus, en plein effort, sous le regard sévère de l’instituteur, incontestable autorité du village aux côtés du curé et du maire. Plus de 200 personnes se sont jointes aux festivités, parcourant le préau, la salle de classe, la librairie et les alentours où paissent quelques chèvres. Signe des temps, l’avènement d’une galerie d’art d’envergure à Vantoux conforte l’attrait des campagnes dans le milieu de l’art contemporain, à l’instar de la Synagogue de Delme, de l’Atelier Meisenthal ou encore de la récente implantation de la maison d’édition Macula dans un village de Meuse.
De son usage scolaire initial ont été conservés, outre la structure d’ensemble où l’on retrouve le style caractéristique de l’architecte, le tableau noir du malheur et les bancs appariés des écoliers. Tout l’enjeu de l’exposition consiste à établir un dialogue entre Prouvé et Raynaud, entre le patrimoine et l’art contemporain, entre un lieu et son actualisation en espace d’exposition. Ce rapprochement est du plus bel effet. L’école Prouvé s’avère un écrin parfait pour les œuvres sérielles et minimales de Raynaud, artiste que l’on sait particulièrement sensible à l’habitat. (À La Celle-Saint-Cloud, à l’ouest de Paris, il entama en 1969 la construction d’une maison sans fenêtre et entièrement recouverte de carrelage blanc). Ingénieusement, les bancs ont été utilisés comme supports d’exposition, présentant les œuvres à l’horizontale. Aux hublots de Prouvé répondent, symétriquement, les carreaux de faïence de Raynaud, tous frappés d’un crâne en guise de vanité. À la répétition sérielle d’un même motif sur céramique, l’artiste a ajouté une combinaison aléatoire de signes (trois lettres ou trois chiffres) différenciés par une couleur primaire (jaune d’or, bleu céleste, vert profond ou rouge vif, couleur fétiche de l’artiste depuis son obsession précoce pour les panneaux sens interdit), donnant ainsi à chacune des pièces un caractère unique. Raynaud rassemble ses forces autour de son œuvre propre, puisque les carreaux exposés ici proviennent du pavillon français qu’il a conçu pour la 45e Biennale de Venise. C’était en 1993, et le plasticien reçut cette année-là le prix d’honneur de la manifestation italienne.
Enfance et finitude : voici les deux extrémités de la vie réunies en une même image, en un même objet, une contraction temporelle héritée de l’iconographie chrétienne. Mais cette référence à la tradition occidentale des images est rendue figée, comme morte. Et même doublement morte : par le recours à un cliché iconographique (le crâne de la vanité, motif sécularisé que l’on voit désormais partout, jusque sur des T-shirts) et à un moyen de reproduction répétant ce motif à l’identique. La vie est dès lors du côté de l’enfance, qui se présente à nous dans toute sa simplicité, au moyen d’un joyeux enchevêtrement de lettres, de chiffres et de couleurs primaires. Alphabet pour adultes livre à la fois la méditation d’un homme proche de la mort et offre une célébration de la vie, de l’enfance, des hasards qui façonnent une existence. Un parti pris poétique qui semble bien correspondre à la vie même du plasticien, qui s’est toujours demandé ce qui définissait un artiste. Lui qui, débarrassé de tout modèle, a investi comme jamais les pots de fleurs (dont le plus célèbre, doré, a durablement trôné sur le parvis du Centre Pompidou) et des panneaux de sens interdit. Lui qui a fait des toiles-drapeaux et s’est retrouvé à fréquenter les principaux hérauts du Nouveau réalisme (Tinguely, Spoerri, Klein, Arman), encouragé notamment par Eva Aeppli. Lui qui a élevé enfin la destruction au rang d’œuvre d’art à part entière.
Ce soir-là, les couleurs choisies par Raynaud prédominaient sur le site et le paysage alentour. À l’intérieur de l’école, le rouge de la structure portante, le jaune paille des bancs d’écolier. Dehors, le bleu du ciel et le vert éclatant des prés.