Entretien avec Carlo Vogele, réalisateur d’animations

Rêve californien

d'Lëtzebuerger Land du 03.08.2012

Carlo Vogele a réalisé et produit son nouveau court-métrage, tout seul, dans la kitchenette de son appartement à San Francisco, où il vit et travaille depuis 2009. Et son travail en solo a porté ses fruits, puisque Una Furtiva Lagrima a été récompensé par le prix Canal+ aide à la création au dernier festival international du film d’animation à Anneçy. Ce petit film, réalisé en stop-motion, est une illustration cruelle de la romance chantée par Caruso en 1904 à la Carnegie Hall à New York. Carlo Vogele l’a mise en images avec un poisson qui chante son malheur tout en passant du réfrigérateur à la poêle à frire. Ayant passé une partie de son enfance à Luxembourg, il a fait des études en cinéma et théâtre à Berlin, pour y ajouter un diplôme à l’école des Gobelins à Paris. Depuis, il a intégré l’équipe des animateurs des studios Pixar à San Francisco, où il a travaillé sur des longs-métrages comme Toy story 3, Brave et Cars 2. Nous avons recontré Carlo Vogele pour parler de sa carrière professionnelle auprès des studios Pixar et de ses projets personnels.
d’Land : Comment avez-vous débuté dans le monde de l’animation ?
Carlo Vogele : J’ai eu la chance, après mes études académiques à Berlin, d’être accepté, avec 25 autres candidats au concours de l’école des Gobelins. D’ailleurs, durant des stages à Paris j’ai pu rencontrer des élèves du BTS Dessin d’Animation du LTAM de Luxembourg. Mais c’est finalement à Gobelins que j’ai pu apprendre les bases traditionnelles du dessin d’animation à la Disney. Là-bas, tous les profs sont des gens du métier, qui viennent, pour deux à trois semaines enseigner une partie spécifique du métier d’animateur, toujours en 2-D et en dessin.

À partir de là vous avez commencé à travailler sur votre premier film For sock’s sake ?
Pour mon travail de fin d’études à l’école des Gobelins, ma situation était un peu spéciale, parce qu’en général, le film de fin d’études est conçu comme un travail de groupe pour quatre à sept étudiants. Cela permet, en six mois, d’obtenir des résultats conséquents et professionnels. Mais pour moi, mon expérience de travail en groupe s’est déjà mal passée en deuxième année, ce qui a fait que l’on m’a proposé un échange d’étudiants avec le California Institute of the Arts (Calarts) de Los Angeles, pour le dernier semestre de mon cursus. Je crois qu’à Paris, ils étaient bien contents de se débarrasser de moi. (rires)
Pour moi c’était le rêve californien, mais aussi et surtout la possibilité de faire mon propre projet en 3-D, alors que je ne me sentais pas très à l’aise en dessin à cette époque-là.

Comment s’est finalement réalisé ce rêve américain ?
Arrivé en janvier 2008, les Américains m’ont donné jusqu’à mi-mai pour réaliser mon premier film personnel. En même temps, là-bas tout était plus libre et moins scolaire qu’en France. Comme je ne voulais ni dessiner, ni faire de l’animation en CGI (Computer generated imagery), j’ai demandé au département cinéma du Calarts, si je pouvais avoir une place dans leur studio et du matériel pour pouvoir réaliser mon projet en stop-motion. Pendant quatre mois je n’ai pas fait grand- chose à part ça.
À la fin de l’année, mon film a été sélectionné pour une soirée spéciale de l’école dans une salle de cinéma à Hollywood, où étaient également invités des producteurs de studios comme Disney, Dreamworks et Pixar. Et comme la majorité des réalisateurs de Pixar, comme John Lasseter, avaient fait leurs études à Calarts, il y avait évidemment une relation particulière avec cette école. Eh bien, ce soir-là, mon film a été choisi comme meilleur travail de l’année et du coup j’ai pu avoir des contacts directs, notamment avec les gens de Pixar, qui, deux jours plus tard m’ont invité à les visiter pour une interview d’embauche à San Francisco.

Quel était votre quotidien chez Pixar ?
Leur principal souci était la question si j’étais allergique aux ordinateurs ou non (rires). C’était incroyable, le lendemain ils m’ont proposé un contrat. Un mois plus tard, le 14 juillet 2008, j’étais à San Francisco, où j’ai d’abord commencé à apprendre les logiciels de Pixar. À cette époque je paniquais quotidiennement parce que j’avais l’impression de les retarder, alors qu’au contraire ils voulaient me laisser le temps de m’adapter à leur technique de travail. J’ai eu trois mentors qui m’ont donné des cours et des exercices pendant une période de six mois en tout. C’était comme à l’école, sauf que j’étais payé. (rires)
Immédiatement après j’ai commencé à travailler sur des personnages secondaires de Toy story 3. Notamment la scène d’ouverture, où j’ai animé la séquence avec Mr. Potato Head et Slinky le chien. Quinze secondes de film, sur lesquelles j’ai passé six mois de travail. J’ai finalement passé 2009 à travailler sur Toy story 3.
Chez Pixar, les films sortent en été, ce qui veut dire que les animateurs terminent leur travail en février/mars, et après il y a quelques mois où il n’y que de petites animations, des pubs à faire. Tout le monde est engagé en CDI, Pixar en a les moyens, alors il y a, après une grosse production où il y a beaucoup moins de travail. En septembre 2009 jusqu’en février 2011, j’ai travaillé sur Cars 2, suivi par Brave, qu’on vient de terminer en début d’année et qui va sortir en juillet.
La suite sera Monsters University, le prequel de Monsters Inc., sur lequel un bonne partie des 150 animateurs des studios Pixar vient de commencer à travailler.

En même temps vous développez un travail personnel ?
Mes histoires à moi sont très différentes de ce qui se fait chez Pixar, qui appartient à Disney, donc il y a forcément un certain ton, plutôt sage et mainstream tout simplement parce que leur premier public sont les enfants.
Pour mon travail personnel, je vais à l’opposé de cela. J’illustre ce qui est considéré comme morbide ou alors sexuel, et il est vrai qu’en animation on ne pense pas forcément à un poisson mort. (rires)
Dans mes films je projette ce qui me fait rire, mais aussi ce qui me consterne. Parce que, honnêtement, mes films, je les fais pour moi. Pour Una Furtiva Lagrima je cherchais un poisson qui ait une bonne gueule pour que ce soit crédible qu’il se mette à chanter un air d’opéra avec la voix de Caruso. Disons que si moi ça me fait rire, j’ai envie de la faire.

Est-ce que vous imaginez travailler à Luxembourg ?
Pour l’instant je n’ai pas de projets à Luxembourg, mais à Annecy, j’ai rencontré des collègues qui travaillent ici, et j’ai été impressionné par l’activité au grand-duché, dans le domaine de l’animation. Mon prochain projet personnel, que je pourrai justement financer grâce à la bourse de Canal+ que j’ai gagnée à Anneçy. En fait, il s’agit d’une promesse d’achat de la part de Canal+. Je compte demander trois mois de congé à Pixar pour me consacrer à ce projet, qui aura des saucisses comme personnages principaux. (rires)
Les travaux personnels de Carlo Vogele sont visibles sur son blog : carlovogele.blogspot.com

Christian Mosar
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