Pour certains, le scoutisme est kitsch voire ringard. Il est pourtant perméable à l’ensemble de la société et les scouts ont une influence sur le monde politique et économique

Scouts (pour) toujours

d'Lëtzebuerger Land du 28.07.2023

On pourrait démarrer par une devinette : Quel est le point commun entre Djuna Bernard (déi Gréng), Carole Hartmann (DP), Sven Clement (Pirates) et Paul Galles (CSV) ? Tous ces hommes et femmes politiques sont passés par le scoutisme. Pas forcément en même temps, ni sous les mêmes couleurs, mais ils ont tous porté le foulard et en sont fiers. En fait, « plus de la moitié des députés sont liés au scoutisme », précise Djuna Bernard qui préside le Groupe interparlementaire du scoutisme, qui compte 33 membres (quinze du CSV, sept Déi Gréng, six DP, trois LSAP, un Pirate et une Déi Lénk). « Tous n’ont pas été scouts. Certains sont des parents de scouts, mais tous affichent une proximité avec le mouvement et ses valeurs. » Ce groupe informel se réunit deux fois par an, avec les cadres des deux fédérations de scoutisme. « Le but est de rester en contact avec le terrain, d’écouter les doléances des scouts et de voir comment on peut les aider », détaille la députée. Elle se souvient avoir rédigé des questions parlementaires sous l’impulsion de ces rencontres ou d’avoir nourri le débat sur la reconnaissance du bénévolat avec leurs remarques. Aucun autre mouvement, aucune autre association ne peut se prévaloir d’une telle présence auprès des législateurs. « Même le foot n’a pas une telle représentation. »

Le Luxembourg affiche sans doute l’un des plus hauts taux de députés passés par le scoutisme, mais il n’est pas le seul pays où les parlementaires revendiquent les valeurs de cet engagement. En témoigne la création en 1991 de l’Union parlementaire mondiale du scoutisme (ou World Scout Parliamentary Union, WSPU) qui regroupe des parlementaires du monde entier ayant une expérience personnelle scoute, et qui souhaitent travailler à renforcer et à soutenir le scoutisme mondial. Son Assemblée constituante à Séoul rassembla soixante parlementaires et des dirigeants du scoutisme de 22 pays. Actuellement, une centaine de pays sont représentés à travers les associations parlementaires scoutes nationales. Ce groupement ne cache pas ses objectifs en termes de lobbying. wspu.info note que de nombreux décideurs, dans les affaires, la politique, l’éducation ou d’autres domaines « reconnaissent au scoutisme le mérite de l’éducation qui les a aidés à devenir les dirigeants qu’ils sont ». L’organisation suppose qu’en retour « ces législateurs peuvent aider le mouvement scout, à atteindre ses objectifs en particulier à travers des lois qui concernent les jeunes, ainsi que d’autres qui intéressent les scouts, comme la législation sur l’environnement, la protection de l’enfance, la fiscalité des organisations à but non-lucratif... »

Une influence que Djuna Bernard ne minimise pas : « Il est bien évident que les scouts constituent un réseau important de contacts qui peuvent jouer un rôle de facilitateur. Je n’ai pas besoin d’un Rotary ou d’un Lions pour cela. » Un réseau dans lequel les scouts puisent par exemple des professionnels qui leur viennent en aide plus ou moins ponctuellement. Ainsi, les médecins, cuistots, responsable financier ou membres du CGDIS qui viennent prêter main forte à l’organisation du camp « Terraviva » de la LGS (Lëtzebuerger Guiden a Scouten, la plus grosse fédération du pays avec 5 000 membres), sont des anciens scouts. La bonne marche du camp, qui rassemble 410 enfants de onze à quatorze ans, 170 chefs et cheftaines qui les encadrent et 150 membres du staff, ne serait pas possible sans la mobilisation bénévole de ces dizaines de personnes. « À ceux qui ont été scouts, il n’est pas nécessaire d’expliquer nos valeurs et notre fonctionnement pour les convaincre de s’engager », explique Christopher Sirres, chef du camp. Il modère cependant l’importance des liens avec le personnel politique : « Le scoutisme fait partie des circuits courts typiques du Luxembourg, mais cela ne nous donne pas des autorisations plus facilement ou des passe-droits. »

L’importance du scoutisme ne passe pas inaperçue quand on sait que les deux fédérations luxembourgeoises de scouts – LGS et FNEL (Fédération nationale des éclaireurs et éclaireuses du Luxembourg, considérée comme plus libérale, 2 500 membres) rassemblent plus de 7 500 jeunes, à travers 85 groupes locaux. Autre marque de la place du scoutisme : le Grand-Duc héritier Guillaume, est depuis 2019 le Chef scout du pays, succédant à son grand-père, le Grand-Duc Jean qui a endossé ce rôle pendant plusieurs décennies. « Le Luxembourg compte une grande tradition de scoutisme », confirme François Benoy (déi Gréng), toujours actif comme président de l’Amicale des guides et scouts du Belair. Il considère que cet engagement constitue « une école pour la vie » qui l’a « fortement marquée ». Le député estime aussi que l’apprentissage auprès d’autres jeunes, par l’expérience et le modèle, forge des individus tournés vers l’action et le concret.

Avec ses camps, sa méthode éducative basée sur le jeu dans la nature, le bénévolat et l’autonomie, le scoutisme développerait une certaine appétence pour l’engagement dans la vie publique et des carrières politiques. « C’est un espace d’apprentissage et d’expérimentation du politique, à travers une forme d’auto-organisation qui valorise l’autonomie, la discussion et la prise de responsabilités dès le plus jeune âge », note Maxime Vanhoenacker, sociologue français à la tête d’une vaste étude sur le scoutisme et la politique. Il parle d’une « ENA buissonnière » (École nationale d’administration) en pointant que Jacques Chirac, Lionel Jospin, Simone Veil ou Michel Rocard ont été louveteaux, jeannettes, guides ou scouts. Formant à la responsabilisation, le scoutisme initie également à l’exercice démocratique. Chacun apprend à s’exprimer en public, à écouter l’autre et à respecter sa parole. « Il s’agit de faire travailler les gens ensemble, les embarquer dans une direction commune, d’apprendre à coopérer », indique l’Organisation mondiale du mouvement scout (OMMS). Elle insiste sur le fait que chaque jeune est appelé à formuler une promesse devant les autres. « Par cet acte, il choisit d’orienter sa vie selon des valeurs. Une expérience structurante pour ensuite s’engager dans le monde. » « L’idée de rendre service et d’être un bon citoyen fait partie intrinsèque du scoutisme, comme le renvoie la citation de Robert Baden-Powell, fondateur du scoutisme en 1907, ‘Essayez de quitter ce monde en le laissant un peu meilleur que vous ne l’avez trouvé », appuie le chef du camp Terraviva. On peut aussi citer les devises qui illustrent l’apprentissage progressif du service des autres : « De notre mieux » pour les louveteaux (de huit à douze ans), « Toujours prêt » pour les scouts (de douze à 17 ans) et « Rendre service » pour les routiers (de 18 à 22 ans).

Cependant, le scoutisme se veut apolitique, « il n’est pas question de donner des recommandations de vote », insiste Djuna Bernard. « Nous veillons à séparer la politique du foulard », confirme Georges Krombach. Le patron du cigarettier Heintz van Landewyck est aussi le Président national de la Fnel. Il explique que les discussions sur des sujets de société qui se tiennent entre scouts ne doivent pas signifier un engagement partisan, « comme à la buvette du club de foot ». À quarante ans passés, il est toujours animé par le même enthousiasme vis-à-vis du scoutisme et des relations qu’il y a tissées. « Ce sont les personnes avec lesquelles j’ai grandi. Quand on a écopé la pluie qui entrait dans la tente, construit des cuisines en bois ou marché des kilomètres ensemble, on reste proche. On partage les mêmes souvenirs, les mêmes émotions et les mêmes valeurs » confie-t-il. Georges Krombach suppose que ces relations facilitent parfois la marche des affaires – « ça humanise les discussions de business » – mais ne pense pas que l’influence économique soit essentielle – « je ne crois pas que Corinne Cahen a vendu plus de chaussures parce qu’elle était scoute ». L’ancien président de la Fédération des jeunes dirigeants d’entreprise voit cependant le scoutisme d’un bon œil quand il s’agit de recruter quelqu’un. « Les activités associatives sont déjà un signe d’engagement. Le scoutisme ajoute des compétences indispensables comme l’intelligence émotionnelle ou le leadership. On apprend à analyser des situations difficiles, à trouver des solutions et à mobiliser les équipes. »

La mention des activités scoutes feraient donc bon effet sur un cv, à condition que le recruteur connaisse et apprécie ce mouvement de jeunesse. « Au Luxembourg, l’image des scouts est plutôt bonne et s’est améliorée pendant le covid où les jeunes ont fait des courses pour des personnes âgées ou distribué des masques », note Georges Krombach. Il pointe une importante différence avec la France où certains mouvements qui s’autoproclament scouts flirtent avec l’extrême droite et l’intégrisme catholique, ce qui a écorné l’image du scoutisme. Il ajoute que les scouts affichent une volonté d’inclusion et reflètent l’aspect international du Grand-Duché. Ainsi, la LGS compte un groupe lusophone (Saint-Alphonse) depuis 1982, tandis qu’à la Fnel, Telstar accueille les anglophones et Robert Schuman les francophones. « Ce sont les deux groupes les plus importants et où il y a une liste d’attente » précise le président.

En 2011, François Benoy s’intéressait à l’image des scouts dans son travail Gilwell, Die öffentliche Wahrnehmung der LGS und ihre Folgen. Il s’agit d’une sorte de mémoire réalisé à l’occasion de la formation la plus haute pour devenir chef d’une branche. « Il reste quelques clichés par rapport au lien à l’église, mais la LGS est de plus en plus séparée de la religion. » Matthieu Schmit, chargé de direction de la Fondation LGS confirme : « Aujourd’hui, le catholicisme ne joue plus un grand rôle. L’accent est davantage mis sur le développement personnel des jeunes, ce qui inclut la spiritualité personnelle de l’individu. » Il ajoute qu’un groupe de scouts musulman, Arche de Noé, est inclus dans la LGS depuis 2015. Une équipe d’animation spirituelle est d’ailleurs présente sur l’actuel camp Terraviva où une messe a été célébrée dimanche dernier. Le président de la Fnel s’amuse d’une « saine rivalité » en pointant : « il y a toujours une croix dans le logo de la LGS ! » Les deux fédérations de scouts ne sont finalement pas très éloignées l’une de l’autre. Elles bénéficient toute deux de conventions avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse qui leur permet d’employer des administrateurs permanents. Elles participent à l’éducation informelle et offrent sensiblement les mêmes expériences aux jeunes. « La plupart des gens choisissent un groupe en fonction de la proximité de leur domicile », croit savoir Georges Krombach.

France Clarinval
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