Envie de sortir ?

Groupons de Panurge

d'Lëtzebuerger Land du 06.09.2013

Il suffit d’avoir des enfants pour avoir perdu toute spontanéité dans les sorties. Impossible de se dire « tiens, ce soir, si on sortait » et de quitter son foyer cinq minutes après, sauf à avoir une armada de baby-sitters à disposition, toujours prêtes à intervenir. Ceci dit, cela impose le minimum de réflexion qui permet par, exemple, d’éviter de se retrouver devant un restaurant complet, un film de quatre heures en VO non sous-titré à la Cinémathèque ou une cinquantième fois, faute de préparation, à boire une bière sur le trottoir devant l’Urban.

Depuis quelques temps, toutefois, il semblerait que cette petite organisation préalable, qui ne coupe pas forcément toute possibilité d’improvisation (soyons fou, on va aller à l’Utopia plutôt qu’à l’Utopolis) ne soit rien en comparaison des trésors de préparation permis par les nouvelles technologies. Vous avez déjà oublié les sorties au petit bonheur la chance, il ne reste plus beaucoup de chemin pour faire une croix également sur vos véritables envies de sortie.

La première fois que vous réservez une table au restaurant et qu’on vous demande si c’est pour un « bon filon », vous vous demandez ce qui passe par la tête de votre interlocuteur, et vous répondez que, non, c’est plutôt pour un « bon dîner », et vous vous attendez à être assis à côté de François Fillon ou à découvrir une mine d’or du Klondike entre le tartare de saumon et le fondant au chocolat.

Ensuite, lundi matin, quand un collègue vous raconte qu’il est parti la veille faire du ski indoor toute la journée à Bottrop, pour seulement 19 euros (et six heures de route), « avec Groupon », vous vous doutez que ce n’est pas le nom de sa nouvelle copine.

Le principe est à peu près le même que celui des Wonderbox ou Bongo, l’emballage en moins. Et, également, à la différence qu’ici il n’est pas question de pallier votre manque d’imagination lorsqu’il s’agit de faire un cadeau de départ à la retraite à un collègue, mais de décider pour vous-même ce que vous pourriez acheter. Pas acheter parce que vous en avez envie, ou parce que vous en avez besoin. Non, ce serait idiot. Ce que vous pourriez acheter parce que ce n’est pas cher.

Par exemple, une pizza (le site Groupon a commencé, selon la légende, en proposant à moitié prix celles vendues dans le restaurant en dessous de l’appartement dans lequel vivait son fondateur), un stage de conduite de Lamborghini (ça a été le produit d’appel du site luxembourgeois des « bons filons »), une épilation, un week-end à la côte belge, des poêles en granit (sic), des lunettes de lecture à fermeture magnétique (re-sic), une coloration avec mèches. L’inventaire semble sans fin. Et pourquoi ce n’est pas cher ? Parce que personne ne veut de poêles en granit ? Presque. Mais surtout parce que les sites regroupent les acheteurs et promettent ainsi aux annonceurs de multiplier leur chiffre d’affaire rapidement, leur seule contrainte étant de baisser leurs prix (et de payer une commission au site, logique, puisqu’ils vont gagner moins d’argent grâce à lui).

Passons sur la validité du raisonnement du « plus j’en vends moins c’est cher », qui semble plus évidente quand il est question de vendre de l’acier inoxydable à la tonne que lorsqu’il est question de faire travailler une esthéticienne avec des heures supplémentaires pour honorer la trois-centième french manucure de la journée. Sur le principe selon lequel les promotions exceptionnelles restent la meilleure des publicités pour attirer les clients, rien de bien nouveau non plus, on n’a pas attendu Internet pour offrir un quatrième croissant à ceux qui en achetaient trois, ou pour faire des soldes ou destinées à faire connaître une enseigne. Même si on a du mal à croire qu’un client sera prêt à revenir dans un restaurant pour manger un menu à 50 euros s’il a déjà pu en profiter quelques mois auparavant à moitié prix. Ce que ces pratiques semblent surtout révéler, c’est, une fois encore, ce qu’on est prêts à perdre pour quelques dollars de plus (ou, en l’occurrence, quelques euros de moins).

Pourquoi ne pas organiser de tels groupements pour réduire le coût des mariages ? Un mariage à dix, avec mille invités, coûterait certainement moins cher que dix mariages à cent convives (le révérend Moon, dans les années 90, unissait déjà des dizaines de milliers de couples dans des stades). On pourrait aussi imaginer grouper les implants dentaires, les opérations de chirurgie cardio-vasculaire, voire les enterrements. C’est bien une des rares dépenses à laquelle on est certains de devoir faire face un jour ou l’autre. Pourquoi attendre alors qu’on pourrait profiter d’un coupon de réduction dès la semaine prochaine ?

Cyril B.
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