Compétivitivé

Faiblesses de l'Europe, forces de l'Amérique

d'Lëtzebuerger Land du 25.11.1999

Le constat des médiocres performances de l'Europe par rapport aux autres grandes économies, singulièrement les États-Unis et le Japon, revient à un lieu commun ou presque. À la veille de la conférence de Seattle de l'Organisation mondiale du commerce, l'Unice, le porte-parole des entreprises en Europe, rappelle ce constat accablant, chiffres à l'appui.

Elle vient de publier pour  la deuxième fois consécutive son rapport sur l'étalonnage. On peut d'ailleurs lire l'intégralité du rapport sous forme de dossier dans les numéros X et XI de l'Echo de l'Industrie, l'organe de la Fedil. La Fedil est le membre luxembourgeois de l'Unice. L'étalonnage ou benchmarking en anglais, est une méthode d'analyse qui vise à comparer ses propres performances à celles du leader de sa classe. Très en vogue dans les écoles de management, le benchmarking peut s'appliquer aussi bien au niveau des entreprises qu'au niveau des pays.

Les objectifs de l'Unice ne sont pas totalement désinteressés. L'organisation faîtière du patronat européen entend mettre en cause l'environnement dans lequel doivent opérer les entreprises européennes. Le rapport de cette année porte d'ailleurs le titre « Promouvoir l'esprit d'entreprise en Europe ».

Le constat est accablant et les conclusions du rapport ne sont pas exactement un compliment pour les gouvernements européens :

« À l'aune de la plupart des mesures de l'activité entrepreneuriale, l'Europe est en retard sur les États-Unis, l'économie développée la plus dynamique de ce point de vue. Elle se situe également derrière d'autres pays à d'importants égards. L'une des principales raisons en est que l'environnement n'est pas suffisamment propice à l'esprit d'entreprise. » 

Suit un réquisitoire sévère, qui dénonce les principales défaillances : 

- ainsi, les dépenses publiques élevées, la lourde fiscalité, l'importance de la dette publique et le poids excessif de l'État dans l'économie ne laisseraient guère de place à l'activité du secteur privé et comprometteraient les incitations à investir, créer des richesses et augmenter l'emploi ;

- de même, le capital-risque pour soutenir les projets de technologie de pointe fait la plupart du temps défaut ;

- les obstacles à la pénétration des marchés demeureraient excessifs, malgré les efforts de l'UE en matière de marché intérieur, tout comme les coûts des nouveaux entrants trop élevés, malgré les efforts de libéralisation ;

- enfin, les marchés du travail fonctionneraient mal, ce qui entraînerait des coûts trop élevés, une productivité trop faible et des citoyens trop peu motivés à travailler et à  accroître leurs compétences.

La conclusion est sans appel : « Chacun des éléments ci-dessus réduit par lui-même le potentiel des entrepreneurs en Europe. Conjugués, ces facteurs traduisent un échec systématique de la politique menée par les gouvernements européens. »

L'écart se creuse

Pour étayer sa demonstration, l'Unice s'appuie sur les instruments d'analyse classiques que sont les niveaux de vie et l'emploi, étalons qui servent habituellement à mesurer la prospérité comparative des nations.

En termes de produit intérieur brut per capita, l'Europe fait preuve d'une progression nettement moins dynamique que les États-Unis ou le Japon (cf. graphique 1). Jusqu'en 1985, le PIB per capita augmentait plus rapidement en Europe que chez ses deux principaux rivaux. Depuis lors, les tendances des taux de croissance relative se sont inversées, ce qui fait  qu'aujourd'hui le niveau de vie général des Américains est de cinquante pour cent supérieur à celui  des Européens, qui sont dépassés également par les Japonais.

Les explications de ces phénomènes sont à chercher du côté de l'emploi, véritable talon d'Achille de l'Europe (cf. graphique 2). En matière de taux d'emploi, le Japon caracole en tête depuis les années 70. Les États-Unis  ont réussi à combler leur retard et à rejoindre le taux d'activité enviable du Japon de 74,5 pour cent. L'Europe par contre stagne et n'arrête pas  de perdre du terrain. Alors qu'aux États-Unis le pourcentage de la population active par rapport à la population en âge de travailler est passé de soixante (1970) à 74 pour cent (1998), ce même pourcentage est tombé en Europe de 65 (1970) à 60,5 pour cent (1998).

Une autre façon d'établir les ratées de l'Europe est fournie par le taux de chômage (cf. graphique 3). L'on ne sera guère surpris de constater que le taux de chômage en Europe est en progression continue et représente aujourd'hui plus du double de celui des États-Unis et du Japon.

Ces  constats macro-économiques  sont confirmés par les indicateurs relatifs au degré d'activité entrepreneuriale. En ce qui concerne les activités de haute technologie, les États-Unis et le Japon mènent la danse et l'Europe est à la traîne. Ainsi, seuls dix pour cent de la valeur ajoutée de l'UE dans l'industrie manufacturière relèvent des secteurs de technologie de pointe, contre plus de seize pour cent aux États-Unis et près de quinze pour cent au Japon. Un constat similaire prévaut en matière de création d'entreprises nouvelles, même si par rapport à cet indicateur (entreprises nouvelles en pourcentage des entreprises existantes) l'UE fait mieux que le Japon avec 9,9 pour cent contre 4,6 pour cent. Mais elle se voit coiffée une fois de plus par les États-Unis où ce taux atteint 11,4 pour cent. Cet indicateur est important dans la mesure où la création d'emplois est surtout le fait des entreprises nouvelles.

Le goût du risque est un autre indicateur qui ne trompe pas sur les performances respectives. En Europe le nombre d'introductions en Bourse d'entreprises soutenues par des investisseurs de capital-risque  représente moins d'un tiers du nombre d'introductions aux États-Unis. Le  tableau n'est guère plus rassurant si l'on prend en considération les investissements des entreprises dans des actifs corporels. Exprimés sur une base per capita, ces investissements sont aux États-Unis de 25 pour cent supérieurs à ceux dans l'UE. Le Japon fait preuve du plus grand dynamisme dans ce domaine avec des investissements qui représentent près du double de ceux consentis en Europe.

Un autre indicateur a trait aux dépenses de recherche et développement. Les entreprises de l'UE dépensent pour la R[&]D l'équivalent de seulement un pour cent du PIB, contre 1,5 pour cent aux États-Unis et deux pour cent au Japon.

Tout cela pour dire que l'activité entrepreneuriale laisse beaucoup à désirer en Europe par rapport à ses principaux concurrents. À qui la faute ? Pour l'Unice, la réponse est claire: « Il est essentiel que les gouvernements européens rendent les conditions cadres plus favorables à leurs entrepreneurs. »

L'environnement entrepreneurial laisse beaucoup à désirer

Mais il ne suffit pas de souscrire à cette conclusion. Il faut aussi se rendre compte qu'une telle amélioration du cadre se heurte à de nombreux obstacles. Parmi ceux-ci, il y a tout d'abord la taille excessive de l'État et du secteur public qui, en Europe, pèse lourdement sur le secteur privé. 

Ainsi, dans l'UE les dépenses publiques absorbent près de la moitié du PIB, contre seulement 37 pour cent au Japon et 31 pour cent aux États-Unis. Cela va de pair avec une dette publique cumulée à hauteur de 75 pour cent du PIB dans l'UE, contre  seulement 57 pour cent aux États-Unis, ainsi qu'une charge fiscale étouffante. En moyenne, les recettes fiscales, y compris les cotisations sociales, sont égales à 42,8 pour cent dans l'UE, contre moins de trente pour cent aux États-Unis et au Japon.

Pour l'Unice il est clair que l'Europe doit améliorer d'urgence l'efficacité du secteur public, tout en  réduisant l'échelle globale des dépenses et de la dette publique. Il y a lieu de privatiser les entreprises publiques, de réduire les aides d'État, de diminuer l'échelle des transferts sociaux, de limiter les futurs engagements financiers liés aux pensions et autres prestations de sécurité sociale en propageant le recours à des régimes de retraite par capitalisation et une offre privée de services d'utilité publique.

La fiscalité représente un casse-tête considérable. La rentabilité des fonds propres ne représente, avec huit pour cent, que la moité du rendement obtenu aux États-Unis, ce qui amène l'Unice à exiger des régimes fiscaux qui encouragent l'esprit d'entreprise en réduisant 

la charge fiscale totale pesant sur 

les entreprises par  une diminution

des coûts non salariaux de la 

main d'oeuvre ainsi que des taux d'imposition des bénéfices et dividendes.

L'Unice estime qu'il est devenu urgent que l'Europe corrige les causes de ses échecs économique à répétition. Le redressement passera nécessairement par une amélioration du climat des affaires en Europe.

Mario Hirsch
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