Je est un(e) autre

Multiples féminins

d'Lëtzebuerger Land du 09.10.2015

Elles sont Luxembourgeoises ou vivant au pays depuis longtemps, pourtant, c’est une artistes d’origine tchèque, vivant et travaillant à Düsseldorf (elle fut l’élève de Joseph Beuys), qui a l’honneur d’ouvrir l’exposition Je est un(e) autre curatée par Lucien Kayser, actuellement au Ratskeller du Cercle Cité. La phrase célèbre de Rimbaud, féministée, est illustrée – visible depuis la rue du Curé – par les variations multiples et subtiles d’une série d’autoportraits grand format de Katharina Sieverding. Ces solarisation, Transformer, datant de 1973-74, ont été réalisées en atelier à partir de photomatons. Mais plus que la technique, on s’intéressera ici à ce masque changeant, plaqué sur un visage à la recherche de soi : je est un(e) autre…

La déclinaison des possibles continue à l’intérieur, à commencer par les générations d’artistes représentées, leurs liens créatifs et parfois même familiaux. Sophie Jung, la plus jeune, est la petite fille de Germaine Hoffmann. Le poétique travail de « vacance » de la première, donc propice à l’abandon et à la recherche de soi, alliant photo et vidéo, rejoint le « monde flottant » pourtant réalisé à l’acrylique sur toile de son aînée.

L’accrochage mis en place par Lucien Kayser a aussi ceci de didactique, qu’il juxtapose (ou oppose) des modes d’expression. Ainsi, de la manière puissante de Patricia Lippert dans son Kaspar Hauser, qui côtoie la finesse du trait du crayon et la fluidité de l’aquarelle de Doris Drescher pour quatre œuvres sur papier. Par ailleurs, toutes les deux, qui ont représenté le Luxembourg à la Biennale de Venise, sont des conteuses. Un mode d’expression féminin à travers le récit, peut-on à cette occasion se demander ?

Les collages Cadavres Exquis par le collectif Autour du Bleu (Gudrun Bechet, Pina Devaux, Flora Mar et Doris Sander) et les photographies de Marie-France Dublé Inventaire (jet d’encre sur toile) sont comme un hommage contemporain à cette époque si importante pour l’histoire de l’art, le surréalisme. Quant à l’Atlasse en porcelaine blanche de Dora Mar, elle illustre de la manière la plus littérale le propos féminin et féministe – une femme Atlante porte le monde sur ses épaules – même si c’est une sphère légère comme une boule en voile de tulle.

À l’opposé, dans un coin, Trixi Weiss a installé un Childrens’ corner on ne peut plus ludique et provocateur, qui plus est de couleur rouge, où tous les jouets ne sont pas réservés qu’aux petits (Homo Ludens)… Enfin, on pourra méditer sur l’identité du corps – féminin/masculin ? – via une photographie de mains, aux ongles laqués rouges, de Vera Weisgerber. Et la série de photographies ayant toujours des mains pour sujet, par le tandem Stéphanie Rollin et David Brognon, de Jeanne d’Arc, Dina Vierny qui fut le modèle et la muse d’Aristide Maillol, d’Edith Piaf, de Louise Michel, jusqu’à celle, tendue et ouverte, de la Grande-Duchesse Charlotte Place Clairefontaine, représente certes des mains de femmes célèbres, mais statufiées. Tout le contraire de cette exposition vivante à souhait.

L’exposition Je est un(e) autre curatée par Lucien Kayser, est à voir jusqu‘au 8 novembre au Ratskeller du Cercle Cité, rue du Curé à Luxembourg-ville ; ouvert tous les jours de 11 à 18 heures ; www.cerclecite.lu.
Marianne Brausch
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