Le patrimoine des ménages européens

Beaucoup d’immobilier, peu d’actifs risqués

d'Lëtzebuerger Land du 25.11.2016

« Une brique dans le ventre » n’est pas seulement le titre d’une émission à succès diffusée sur la RTBF. C’est aussi de cette manière que nos voisins belges désignent depuis toujours leur propension à investir dans la pierre. En réalité cette expression imagée pourrait s’appliquer un peu partout en Europe, comme l’a montré l’enquête « Eurosystem Household Finance and Consumption » menée en 2013 sous l’égide de la Banque centrale européenne (BCE) auprès de 62 000 ménages dans quinze pays de la zone euro*.

Après déduction des dettes (lire encadré) ils détiennent un patrimoine de 230 800 euros. Cette moyenne est très différente d’un pays à l’autre. Elle ne dépasse pas 80 000 euros en Slovaquie mais grimpe à 710 000 euros au Luxembourg, soit un écart de un à neuf. La Belgique est plutôt dans le haut de la fourchette (339 000 euros), tandis que la France, proche de la moyenne (233 400) est derrière devant l’Espagne (291 400) et l’Italie (275 200). Les vraies surprises viennent de l’Allemagne et des Pays-Bas, en queue de peloton avec un patrimoine net moyen de respectivement 195 200 et 170 200 euros.

En raison des importantes inégalités dans la répartition des patrimoines au sein de chaque pays, la médiane est beaucoup plus faible : un ménage sur deux possède au maximum 109 200 euros. À nouveau l’Allemagne surprend avec un patrimoine médian d’à peine 68 000 euros. Les actifs réels constituent 83,2 pour cent du patrimoine des ménages (lire encadré) mais frôlent ou dépassent les 90 pour cent dans la moitié des pays, dont le Luxembourg.

L’immobilier compte pour près de 70 pour cent avec la résidence principale pesant à elle seule pour plus de la moitié du total (51 pour cent). Dans les pays de l’ouest la fourchette va de 41 pour cent en Allemagne à 61 pour cent en Italie et aux Pays-Bas, en passant par le Luxembourg (52 pour cent). Il existe une raison arithmétique à ce constat : il y a beaucoup de propriétaires et la valeur unitaire des biens est élevée. En effet, dans les pays étudiés, soixante pour cent des ménages sont propriétaires. Le taux est partout supérieur à cinquante pour cent à l’exception notable de l’Autriche (47,7 pour cent) et de l’Allemagne (44,2 pour cent) avec un pic de 90 pour cent en Slovaquie, soit un écart du simple au double. Le Luxembourg se situe au-dessus de la moyenne avec 67,1 pour cent. La valeur médiane des biens est de 180 300 euros, mais si l’on met de côté les deux extrêmes que sont le Luxembourg (500 000 euros) et la Slovaquie (56 000), on compte cinq pays dans la tranche 200 000-250 000 euros et trois en dessous de 130 000 euros. L’Allemagne est le grand pays où la valeur est la plus faible : 168 000 euros.

Les actifs réels autres que la résidence principale représentent presque le tiers de la valeur des patrimoines, deux fois plus que les actifs financiers ! On y trouve en premier lieu des actifs immobiliers autres que la résidence principale, à savoir des résidences secondaires, des terrains et des logements donnés en location, pour du 19 pour cent du patrimoine total.

Les taux de propriété sont naturellement plus faibles que dans le cas des résidences principales (23,1 pour cent en moyenne dans la zone euro) avec des différences entre l’Europe du sud (36 pour cent en Espagne et 38 pour cent en Grèce) et les pays situés plus au nord (six pour cent aux Pays-Bas et 16,4 pour cent en Belgique), le Luxembourg et la France occupant une place intermédiaire (28 pour cent dans chaque cas). Dans le sud du continent il s’agit fréquemment de biens hérités, par exemple la maison des parents décédés dans le village d’origine, qui est conservée moins pour sa valeur intrinsèque que pour pouvoir garder des relations avec le cercle familial et amical. En valeur des biens, c’est le grand écart entre le Luxembourg (médiane de 300 000 euros) et la Slovaquie (16 400) la France, l’Italie et l’Allemagne se trouvant proches de la médiane européenne qui est de 103 400 euros.

Les biens professionnels figurent dans le patrimoine des agriculteurs, artisans, commerçants et professions libérales. De ce fait, le taux de détention est assez limité (11,1 pour cent). Curieusement les pourcentages les plus faibles sont atteints au Benelux : 4,8 pour cent aux Pays-Bas, 5,2 au Luxembourg et 6,6 en Belgique. L’Allemagne et la France sont un peu en dessous de dix pour cent alors que l’Espagne (14,2 pour cent) et surtout l’Italie (18 pour cent) sont nettement au-dessus de la moyenne.

La valeur de ces biens est plus faible que celle des actifs immobiliers, avec une médiane de 30 000 euros, nettement plus élevée en Autriche (181 000) et au Luxembourg (98 000) qu’en Belgique, aux Pays-Bas, en France ou en Espagne (autour de 50 000 dans ces quatre pays). À nouveau la surprise vient de l’Allemagne avec une médiane de 19 400 euros à peine. Ils pèsent finalement dix pour cent du patrimoine total. Le reliquat des « autres actifs réels » est constitué de véhicules, meubles et les objets précieux.

Les actifs financiers ne pèsent que 16,8 pour cent de la valeur du patrimoine des ménages. Curieusement, c’est en Belgique, pays de la « brique dans le ventre », que leur valeur relative est la plus élevée, avec 29,1 pour cent devant les Pays-Bas (26,6) alors qu’au Luxembourg les actifs financiers pèsent très peu (11,2 pour cent) précédant l’Espagne et l’Italie avec dix pour cent. Leur détention est répandue, mais les portefeuilles sont de valeur modeste (un sur deux ne dépasse pas 11 400 euros) et ne contiennent que peu d’actifs risqués.

Pratiquement tous les ménages (96,4 pour cent) de la zone euro détiennent de l’épargne bancaire. La valeur de ces dépôts est faible : la médiane européenne ne s’élève qu’à 6 100 euros avec un maximum de 14 300 au Luxembourg et un tiers des pays où elle est inférieure à 4 000 euros. À part les dépôts, la plus forte détention concerne un autre actif « sûr », les fonds de pension et l’assurance-vie (33 pour cent) dont la valeur médiane ressort à 11 900 euros.

Un ménage sur cinq seulement détient des actifs financiers « risqués » comme les valeurs mobilières (actions cotées, obligations et OPC), avec une possession généralement plus forte en Europe du nord-ouest : entre 22 et 26 pour cent en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et au Luxembourg avec un pic de 31 pour cent en Belgique. On observe que la proportion de détenteurs de chaque catégorie est faible : dans les quinze pays, elle n’est en moyenne que de 5,3 pour cent pour les obligations, 10,1 pour cent pour les actions et 11,4 pour cent pour les fonds. La valeur médiane des portefeuilles d’actifs risqués est de 12 200 euros.

Pour cette raison, les dépôts représentent finalement 7,2 pour cent de la valeur totale du patrimoine total des ménages (onze pour cent en Belgique et en Autriche, mais aux alentours de cinq pour cent au Luxembourg, en Espagne et en Italie). L’épargne-retraite et l’assurance-vie pèsent beaucoup moins : 4,4 pour cent dans les quinze pays, avec des chiffres supérieurs en France (7,5 pour cent) et surtout aux Pays-Bas (treize pour cent). Les actifs financiers non-risqués constituent donc 11,6 pour cent de la valeur totale, loin devant les valeurs mobilières (quatre pour cent). Ces dernières pèsent tout de même plus de onze pour cent en Belgique, loin devant la France et l’Allemagne six et 4,8 pour cent Avec des chiffres compris entre 3,5 et 3,8 pour cent, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Autriche sont au-dessous de la moyenne tout en faisant mieux que l’Espagne (moins de 2 pour cent).

Comment s’expliquent les différences entre les pays ? Le montant et la structure du patrimoine des ménages sont partout liés à des facteurs socio-économiques bien connus, comme le niveau des revenus, l’âge, la taille de la famille, le niveau d’éducation, l’information disponible ou l’importance de l’héritage. Comme sur chacun de ces critères il existe des écarts importants selon les pays d’Europe, les différences se retrouvent logiquement au niveau des patrimoines.

On pourrait aussi invoquer l’histoire. La richesse résultant avant tout d’un processus d’accumulation dans le temps, les pays les plus anciennement développés sont également ceux où les patrimoines sont les plus élevés, ce qui explique notamment la prédominance des pays de l’ouest et du nord sur ceux du sud et de l’est. Précisément, en Europe orientale les mesures prises après la chute du communisme expliquent l’engouement pour la propriété immobilière (90 pour cent de propriétaires en Slovaquie et 82 pour cent en Slovénie) bien que la valeur soit modeste. L’étude met surtout en avant les caractéristiques institutionnelles du pays.

Les prix de l’immobilier exprimés en nombre d’années de travail nécessaires à l’acquisition d’un logement sont très variables. Il existe parfois des formules juridiques spécifiques comme au Royaume-Uni (baux emphytéotiques). Les caractéristiques du marché du crédit hypothécaire sont également très disparates, avec souvent la possibilité de mettre en garantie un logement pour financer des dépenses autres qu’immobilières.

Le paysage bancaire comme celui des marchés financiers diffèrent notablement d’un pays à l’autre et impactent l’importance et la structure des actifs financiers des ménages. Un facteur social joue en principe un rôle-clé : il s’agit des systèmes de retraite. Plus le taux de remplacement entre le revenu d’activité et la pension est faible, plus les épargnants devraient être incités à acquérir des actifs risqués afin de maintenir leur niveau de vie. Mais bien que leur détention soit encouragée de longue date dans les pays européens elle reste presque partout trop faible pour pouvoir atteindre cet objectif.

*L’étude a fait l’objet de plusieurs analyses et comptes-rendus. Citons ici : Un document de 51 pages intitulé « How do households allocate their assets ? Stylised facts from the Eurosystem Household Finance and Consumption Survey » publié, entre autres, par la Banque de France (document de travail n° 504) en août 2014 ainsi qu’un article de treize pages intitulé « HFCS : Main Results on Assets, Debt, and Saving » paru en juin 2016 dans l’International Journal of Central Banking. Le texte ci-dessus s’appuie sur les annexes statistiques publiées par la BCE en avril 2013.
Georges Canto
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