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Ecce Homo ou le poids de l’histoire

d'Lëtzebuerger Land du 02.09.2022

Le plasticien et photographe militant d’origine sud-africaine Bruce Clarke, né à Londres et installé à Paris, est de retour au Luxembourg. Il avait exposé à l’Abbaye de Neumünster des œuvres en hommage aux victimes du génocide au Rwanda. Le voilà au Musée national de la Résistance et des Droits humains à Esch-sur-Alzette avec Ecce Homo, projet placé sous le signe de l’année culturelle et qui tisse des liens avec Kaunas en Lituanie et avec la commune de Thil en France. Trois interventions dans trois lieux chargés d’histoire pour dénoncer encore et toujours les guerres et les crimes contre l’humanité, pour mettre en lumière la résistance de l’être humain et lui rendre sa dignité, revenir sur l’histoire pour mettre en perspective l’actualité et transmettre la mémoire pour ne pas oublier. À quelques jours du vernissage, en plein montage, Bruce Clarke a levé le voile. À côté de ses peintures-collages, il présente Survivants suspendus (sculptures), « évocation et force visuelle » pour accrocher la pensée de celui qui regarde.

Ecce Homo est le titre choisi par Bruce Clarke pour ce vaste projet qui s’étend sur trois pays afin de dire « le poids de l’histoire sur l’être humain », être bafoué, réprimé, exécuté, toujours au centre de son œuvre. Le projet est né il y a trois ans quand le Musée de la Résistance lui a proposé une carte blanche dans le cadre d’Esch2022. Il met alors sur papier un projet inédit qui approfondira ses thématiques (exil, déportation, résilience) et, comme toujours, reliera des sujets universels à son histoire personnelle, en misant sur l’installation et la sculpture (seulement pratiquée pendant ses études aux Beaux-Arts de Leeds).

Il y a la volonté d’associer les deux capitales culturelles car « il y a une corrélation entre les thématiques ». « Mes grands-parents viennent de là-bas », dit Bruce Clarke qui évoque leurs origines juives, leur déplacement en 1929 et leur exil en Afrique du Sud. Lui ne découvrira Kaunas que lors des préparatifs d’Ecce Homo avec le directeur du Musée de la Résistance, Frank Schroeder. Un projet spécifique s’y développe : Ecce Homo : Those who Stayed. Bruce Clarke explique être parti de l’étymologie grecque « tout est consumé par le feu » du mot holocauste, tout en évoquant « notre actualité à nous, la forêt qui brûle ». D’où la fresque monumentale When we were trees qui rend hommage à sa famille et à celles et ceux qui n’ont pu échapper aux massacres à Kaunas pendant la Seconde Guerre mondiale. Revenant sur sa visite en Lituanie, il parle d’une Résistance allant de 1940 à 1990, « signe du télescopage de deux occupations, l’une nazie, l’autre soviétique » et raconte ce lieu de mémoire dans la forêt, là où un massacre a eu lieu et où il a retrouvé des noms familiers. La fresque de Bruce Clarke est installée au Fort IX, hier station soviétique vers le goulag et lieu d’exécution nazi, aujourd’hui musée. Those who Stayed sera inauguré le 23 septembre, jour de la commémoration du génocide des Juifs lituaniens.

Le 23 juin dernier, à Thil, a eu lieu l’inauguration d’un autre volet du triptyque Ecce Homo en présence des habitants de la petite commune et d’élèves qui ont travaillé avec l’artiste. À l’entrée de la mine de Tiercelet, une impressionnante peinture murale créée in situ, Les Limbes de Thil, rappelle l’histoire du site pendant la Seconde Guerre mondiale, le travail forcé des femmes soviétiques et celui des prisonniers du camp de Thil. Frank Schroeder parle de la dimension européenne du projet et de la participation de Thil pleinement associée à Esch2022 à travers la Communauté de Communes Pays Haut Val d’Alzette.

Pour le Musée de la Résistance, Bruce Clarke a privilégié la sculpture, avec des œuvres en papier mâché et résine façonnées dans son atelier parisien : une douzaine de personnages en taille réelle « enfermés » dans des voiles accrochés au plafond de la grande salle. Autant de corps en souffrance, « survivants suspendus » créés à partir de ses peintures en hommage aux rescapés du génocide au Rwanda et qui évoquent aujourd’hui toutes les victimes d’un incommensurable trauma. Bruce Clarke parle « d’un avant et d’un après, de cette vie qui ne sera jamais comme la nôtre ». S’il voulait les personnages en couleur, s’ils en conservent des éclats, ils sont aujourd’hui couverts de blanc en référence à cette peinture dont Tebby Ramasike se couvre le corps, lui qui proposera des interventions dansées autour de l’installation du plasticien. À cet ensemble saisissant, Bruce Clarke a intégré des témoignages pour « remettre une part de réel dans le projet artistique » : des citations de Robert Antelme, de Marceline Loridan-Ivens, d’une rescapée de l’attentat au Bataclan, d’une survivante ukrainienne violée par des soldats russes à Bucha. Les mots sont forts, ils surgissent sur des collages cartographiés à partir de journaux découpés. Ailleurs défilent des citations de grandes figures de l’histoire, comme Martin Luther King ou A. Philip Randolph.

Au terme de la rencontre, Bruce Clarke montre un personnage colossal – faisant penser à ceux d’Ousmane Sow – qui sera placé dans le bassin à l’entrée du musée. Il dévoile aussi ses peintures (petit, grand ou monumental format) dont une œuvre panoramique où est notamment représenté le corps tourmenté de Tebby Ramasike, danseur sud-africain, spécialiste de l’Afro-Butô. Son dialogue avec Bruce Clarke donne une résonance toute particulière à ce spectaculaire projet qui fait naître l’émotion et engage la réflexion.

Vernissage de l’exposition Ecce Homo, ce vendredi à 18h au Musée de la résistance
à Esch-sur-Alzette. L’exposition dure jusqu’au 30/12.
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Karine Sitarz
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