Histoire(s) de jeunesse(s)

Fight the Power !

d'Lëtzebuerger Land du 19.04.2001

C'est triste à pleurer : une jeune femme, 17 ans en l'an 2000, raconte que son grand défi pour le futur, c'est de trouver un emploi qui lui permette de gagner beaucoup d'argent, au moins assez pour pouvoir garder le train de vie, le luxe auquel ses parents l'ont habituée. Avec les copines, elle se promène dans une Grand-Rue scintillante mais vide, chiens de race en laisse, puis elles vont boire un café au Interview. On aurait presque envie de les plaindre.

Et pourtant, une heure avant, tout avait si bien commencé. En voix-off, de jeunes rappeurs se donnent le ton, des instructions pour faire un beat a capella fusent dans un studio, on ne les voit pas encore, puis s'ajoute un piano et voilà la mélodie du film lancée (musique, très réussie : Serge Tonnar), une voix d'homme pose le cadre, essaye de définir le Je qui fera fonction de fil rouge sur un siècle de jeunesse(s) au Luxembourg. Un siècle, ou presque : le film Histoire(s) de Jeunesse(s) d'Anne Schroeder commence juste avant les années trente, en 1929 très exactement. Se basant sur les images d'archives, avant tout des images privées que le Centre national de l'audiovisuel a collectées suite à un appel public, la réalisatrice fut néanmoins dépendante des images disponibles. 

De ces images d'archives, elle en a parfois tiré de purs moments de poésie, comme ce prologue fait de visages de jeunes, quelque part dans un passé lointain, gros grain et images évanescentes, rythmé par la mélodie du film. L'ambiance est à la nostalgie, tous ceux dont la jeunesse est loin s'en souviennent avec beaucoup d'émotion. 

Mais qui suis-Je, ce ou cette jeune qui traverse ainsi le siècle de sa narration subjective. « Je » a entre treize et 25 ans durant la période évoquée, toutes catégories socio-politiques confondues. Et Je se pose des questions, sur le rôle de l'État, de l'église, des parents ou de l'école, et surtout cherche à se positionner par rapport aux structures de ce pouvoir toujours très dominant au Luxembourg, à s'émanciper peu à peu. « Ai-je seulement le choix ? » se demande notre voix off au début. Anne Schroeder a sans aucun doute plus de sympathies pour ceux qui se posent des questions, les rebelles de tous ordres, les individualistes et les idéalistes, au détriment des organisations de conditionnement de groupes - on ne trouvera guère d'images de camps scouts ou du service militaire.

La production d'Histoire(s) de jeunesse(s) a duré deux ans, la majorité du temps a été investi en recherches - souvent, il fallait même dater les événements et localiser les endroits où ils se situent. C'est le plus cher des documentaires qui seront présentés au festival, et cela se voit. Anne Schroeder a fait le grand jeu, de la qualité technique du son en passant par l'étalonnage des images jusqu'à une mise en scène, un cadre très baroque pour les interviews. Car pour chaque période dont elle trouvait des images, la réalisatrice a cherché des témoins, des gens qui soit sont sur les images, soit ont un rapport quelconque avec ces films. Donc, une nouvelle fois, il s'agissait de combiner des images aussi différentes - archives et séquences d'interviews - pour en faire un film homogène. La musique et le récit font l'essentiel, les grands sauts dans le temps sont corrigés par la structure en douze chapitres.

Ces jeunes-là, que le film nous fait rencontrer, ont embrassé leur petit copain dans un recoin du jardin familial, ont fait la guerre, dansé le be-bop durant les thés dansants, transgressé les petits interdits familiaux, fumé des joints, manifesté contre l'école en 1971, autogéré une maison de jeunes, créé leur groupe, leur festival de musique même, distribué des tracts, écrit des fanzines d'étudiants, déserté l'église, commencé à prendre la pilule contraceptive... Autant de petites choses évoquées nonchalamment au gré des interviews, comme ça, comme par hasard, mais en fait, tous ces détails sont le fruit de longues recherches, Anne Schroeder s'est aussi heurtée à l'absence d'une historiographie du quotidien, de la vie privée, au Luxembourg. L'histoire nationale est restée cloisonnée aux grands événements politiques et officiels. Mais que dit un avènement au trône sur ce que pensent et ce que sont les gens? 

Le grand mérite de ce film est d'avoir commencé ces recherches, sa réussite de les faire oublier. À la fin, il reste une impression de quelque chose d'assez ludique, malgré les quelques chapitres plus graves dans le film. La légèreté l'a emporté au rythmes des mesures de la musique. C'est peut-être cela, la vraie force de la jeunesse. 

 

Histoire(s) de jeunesse(s) d'Anne Schroeder, produit par samsa film en collaboration avec le CNA et CinequaSi, sera présenté lundi 23 avril à 21h15 à l'Utopia. Autres projections : mercredi 25 à à 18h30 (version française) et jeudi 26 à 16h30. Le film sort en même temps en cassette vidéo. Pour plus d'informations : www.samsa.lu/jeunesse

Voir aussi notre portrait d'Anne Schroeder sur www.land.lu

 

josée hansen
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