Films made in Luxembourg

Le choix de partir

d'Lëtzebuerger Land du 23.06.2023

Grande lauréate des Deutscher Filmpreis en 2018 avec son précédent film, Drei Tage in Quiberon, Emily Atef poursuit son analyse de la fin de vie au féminin dans Plus que jamais, un drame porté par une magnifique Vicky Krieps.

Hélène ne va pas bien. Dès les premières images on sent qu’elle n’y arrive plus, qu’elle est à bout. Elle se prépare, s’habille, puis se déshabille. Elle n’a pas envie, mais surtout, elle ne semble pas vraiment avoir la force pour. Physique, psychologique ? On ne tardera pas à la savoir. Mathieu, son mari, va gentiment la forcer et l’habiller. Le couple se rend chez des amis, pour une soirée. Les « c’est super que tu sois venue » et les « ça fait plaisir de te voir » dits sur un ton grave avec lesquels les amis l’accueillent conforte cette impression. Les mouvements lents d’Hélène et son air absente finissent par confirmer les premières sensations du spectateur.

Et voilà que la réalisatrice franco-germano-iranienne Emily Atef, à qui l’on doit également Molly’s Way et Das Fremde in mir, lâche le morceau. Un uppercut mis directement dans la bouche du personnage principal, alors que pendant la soirée, une de ses amies tente de lui cacher sa grossesse. « Pourquoi tu mens ? Tu crois que ça ne me fait pas plaisir de savoir que t’es enceinte ? » Elle poursuit : « Oui, je suis malade (…) et je vais peut-être mourir » avant de conclure : « Arrêtez de vous comporter comme ça avec moi ! C’est humiliant. »

Le décor est planté, on ne saura pas grand-chose du contexte, de cette bande d’amis, du couple que forment Hélène et Mathieu, de leur amour, de leur passé, de leur travail, de la raison pour laquelle ils n’ont pas d’enfants ; ce n’est pas le sujet. On saura en revanche plus tard qu’Hélène souffre d’une FPI, une fibrose pulmonaire idiopathique et que la jeune femme étouffe. Une maladie rare dont on ne guérit pas. Seule façon de s’en sortir vivant, une transplantation de poumons ; à condition, bien sûr, de trouver un donneur compatible et que le corps du receveur ne fasse pas un rejet.

Mais Hélène refuse. Au grand désespoir de Mathieu qui, égoïstement, voudrait qu’elle se batte. Elle ne veut pas attendre, elle ne veut pas souffrir, elle ne veut pas risquer des complications et elle ne veut pas passer le reste de sa vie à l’hôpital. Elle s’est fait une raison, sa fin est proche autant vivre le peu de temps qu’il lui reste comme elle l’entend et pas comme ses proches ou ses médecins le voudraient.

En tapant un jour sur un moteur de recherche « What to do when you are dying » elle tombe sur le blog de Mister. Contrairement à toutes les autres publications sur la fin de vie, ici pas de commentaires « stupides » de « vivants qui ne peuvent pas comprendre les mourants » note le bloggeur malade qui avoue sans détours détester les gens en bonne santé. Juste des photos et la réalité sur la maladie et la mort qui approche. Une complicité va naître entre les deux condamnés. Ils vont s’écrire, se parler par visioconférence et Hélène décidera, une nouvelle fois malgré l’avis contraire de son mari, de se rendre chez Mister, au centre de la Norvège. Tant pis si le voyage en train et en bateau dure plusieurs jours. « J’ai besoin de partir, d’aller loin, de trouver du temps pour moi, du silence pour réfléchir, retrouver de la légèreté » dira-t-elle.

Dans cet univers de lumière – c’est l’été, le soleil ne se couche pas –, de nature à perte de vue et d’eau limpide, élément important pour Hélène, (on sent que Vicky Krieps a grandement influencé la réalisatrice), elle va connaître une sorte de renaissance. Tant pis si le temps semble plus que jamais compté.

Plus que jamais est un drame sur la fin de vie qui ne se cache pas sous des faux airs de comédie dramatique ou autre. On est dans un drame et c’est pleinement assumé. La metteuse en scène parvient néanmoins à le faire avec une certaine légèreté. Après tout, « la mort, les morts, font partie de la vie », rappelle Mister. Finalement ce sont les vivants, les non-malades qui alourdissent la situation, qui refusent de voir leurs proches partir.

Tout en montrant la souffrance – parfois on a l’impression d’étouffer en même temps qu’Hélène tellement l’interprétation de Vicky Krieps est juste et poignante –, Emily Atef montre aussi la résilience, l’acceptation de la mort de ces gens trop vieux ou trop malades et qui sont prêtes à partir. C’est la souffrance qu’il faut bannir, pas le décès !

Le film à la fois intimiste, par son casting réduit à trois personnages et une Vicky Krieps omniprésente, et grandiose par ses décors incroyables dans la nature norvégienne, est poignant. Poignant par son sujet mais également par ses choix artistiques – avec cette caméra qui scrute le corps d’Hélène sans voyeurisme mais avec sensualité, par une musique discrète mais présente… Il est poignant enfin, malgré lui, par le fait d’être le dernier du regretté Gaspard Ulliel décédé l’an dernier à suite d’un accident de ski à seulement 37 ans. C’est lui Mathieu ; et il donne à ce rôle de mari aimant refusant d’accepter la mort de sa compagne tout en la laissant faire ses derniers choix, une incroyable force tranquille. Un parfait contre point à Hélène, femme forte et fragilité à la fois.

Bien écrit, bien mis en scène, merveilleusement interprété... ce Plus que jamais est un drame magnifique. Pas un film tire larme pour autant, mais un film qui fait réfléchir sur la mort et tout ce qui l’accompagne.

Pablo Chimienti
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