Passé de 38 pour cent en 1999 à cinquante pour cent en 2009 et à soixante pour cent de la population en 2019,
le public des musées augmente régulièrement. Reste près de la moitié de la population

Quarante pour cent à conquérir

d'Lëtzebuerger Land du 19.08.2022

Conformément au Kulturentwécklungsplang 2018-2028, et plus précisément à la recommandation n°47 « Réaliser une enquête sur les pratiques culturelles du pays, avec une périodicité de dix ans », le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER) a réalisé, sur mandat du ministère de la Culture, une enquête sur le public des musées en 2021. Cette enquête a été menée en ligne, du 15 juin au 30 août 2021 auprès de la population âgée de plus de quinze ans et résidant au Luxembourg. Étant donné que le Covid s’est accompagné de nombreuses restrictions, les personnes interrogées devaient renseigner leurs pratiques sur la période de mars 2019 à mars 2020. L’échantillon final est composé de 1 995 individus.

De manière générale, les gens sont de plus en plus nombreux à visiter lieux patrimoniaux et musées, mais les évolutions divergent selon le type de sites. Ainsi, les parcs et jardins historiques enregistrent une croissance de plus de vingt points depuis 2009 et les musées et sites archéologiques affichent une hausse constante de dix points tous les dix ans. En revanche, les monuments historiques et les lieux industriels, qui avaient recensé les plus fortes hausses de fréquentation entre 1999 et 2009 (Bardes et Borsenberger 2011), voient cette croissance ralentir au cours de la décennie suivante. Les monuments historiques restent néanmoins les premiers sites patrimoniaux en termes de fréquentation avec 69 pour cent des personnes interrogées qui en ont visité entre mars 2019 et mars 2020. Suivent de près les parcs et jardins (63 pour cent) et les musées (60 pour cent). Les sites archéologiques (32 pour cent), qui étaient derrière les lieux industriels en 2009, les ont aujourd’hui dépassés, ces derniers ne représentant plus que 29 pour cent des visites.

Passé ce constat, la question reste en suspens : qui fréquente les musées et surtout qui ne les fréquente pas ? D’après les près de 2 000 personnes interrogées, six personnes sur dix déclarent avoir visité un musée au cours de la période étudiée, avec une légère différence entre les hommes (58 pour cent) et les femmes (62 pour cent). La classe d’âge qui fréquente le plus les musées est celle des 30-49 ans, avec 66 pour cent d’entre eux, contre seulement 54 pour cent des 65 ans et plus. La nationalité joue également un rôle : 74 pour cent des personnes de l’UE non-Luxembourgeoises déclarent avoir visité un musée, suivies par celles hors UE (70 pour cent). Parmi les Luxembourgeois, seuls 58 pour cent d’entre eux auraient visité un musée de mars 2019 à mars 2020. Cela peut cependant s’expliquer avec la différence d’âge mentionnée plus haut, les habitants étrangers étant significativement plus jeunes que les Luxembourgeois. Enfin, les Portugais sont les moins nombreux aux musées (43 pour cent). De plus, les résidents de Luxembourg-Ville sont 80 pour cent à avoir visité un musée sur la période donnée, loin devant les habitants du Sud (49 pour cent). Là encore, plusieurs critères socio-économiques se mêlent avec ces distinctions territoriales. Néanmoins, Esch2022 devrait produire des effets mesurables dans les prochaines années et contribuer à réduire l’écart de participation entre les deux régions, promet l’étude.

La situation sociale reste donc, et ce depuis l’enquête de 1999, un facteur déterminant. Ainsi, alors que 80 pour cent des personnes avec un revenu total net après impôts du ménage de plus de 12 500 euros ont visité un musée sur la période donnée, ce nombre tombe à 44 pour celles ayant un revenu compris entre 1 250 et 2 000 euros. Les professions intellectuelles et scientifiques sont en tête avec 81 pour cent tandis que les ouvriers occupent la dernière place (38 pour cent). Enfin, le niveau d’éducation des parents et la formation scolaire de l’individu interrogé influencent aussi grandement la fréquentation des musées. Tandis que seules 35 pour cent des personnes d’un niveau de formation primaire sont allées au musée, elles étaient 82 pour cent parmi les diplômées après deux années d’études supérieures. Étonnamment, ce nombre tombe à 62 pour cent concernant le supérieur long (après trois ans et plus d’études supérieures). Fortement liées au niveau de formation, les habitudes prises durant l’enfance jouent également un rôle majeur dans la fréquentation actuelle des musées. À l’âge de douze ans, près de trois personnes sur quatre visitaient des musées dans le cadre scolaire au moins une fois par an parmi le public actuel, pour seulement une personne sur deux environ parmi le non-public. Et l’écart se creuse encore si l’on considère les visites dans le cadre familial, allant du simple au double entre ces deux populations. Il existe une corrélation avec l’âge de l’individu, étant donné qu’un effet générationnel certain a été constaté : seuls 22 pour cent des 65 ans et plus visitaient des musées avec leurs parents à douze ans pour au moins cinquante pour cent des moins de cinquante ans. Quant aux visites scolaires, on passe de 34 pour cent pour les 65 ans et plus contre au moins 75 pour cent des moins de cinquante ans.

La part de la population interrogée qui n’a pas visité de musées entre mars 2019 et mars 2020, cite le manque d’habitude comme première raison de cet éloignement, pour près de trois quarts d’entre eux. Pour près de la moitié, c’est le manque d’information sur l’offre existante qui explique le fait qu’ils ne vont pas aux musées. Viennent ensuite le manque de temps (46 pour cent), la fatigue après le travail ou les études (46), les contraintes familiales (26), le fait qu’il n’y ait personne pour les accompagner (26), le prix des entrées (21), l’impression de perdre son temps (15), les horaires d’ouverture (15), l’offre régionale trop limitée (14), les problèmes de santé (12) et le manque d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite (11). En quatrième position, la justification « Ce n’est pas mon univers » a été citée par pas moins de 43 pour cent du non-public. Si certaines de ces justifications trouvent difficilement une réponse, on voit que des améliorations en termes de communication, d’horaires d’ouverture ou encore d’accessibilité pourraient être mises en place pour encourager les gens à visiter les musées.

Si les visites virtuelles ont pour but de démocratiser l’accès à l’art et à la culture, ceux qui les suivent sont majoritairement des personnes qui vont déjà au musée in situ (à 78 pour cent). Les visiteurs virtuels sont aussi majoritairement âgés avec près de soixante pour cent des 65 ans et plus contre seulement 25 pour cent parmi les moins de trente ans. Enfin, dans l’ensemble, le public des musées se rend autant dans les musées étrangers que les musées luxembourgeois, dont les visiteurs semblent globalement satisfaits avec 22 pour cent d’entre eux qui jugent leur qualité « très bonne » et 62 « bonne ». Elle serait « moyenne » pour seulement quinze pour cent des visiteurs et à peine un pour cent la jugerait « mauvaise » ou « très mauvaise ».

Bien qu’elle souligne une augmentation constante du public des musées depuis 1999, cette enquête montre aussi que des efforts tels que les tarifs réduits ou la digitalisation ne suffisent pas à combler l’écart lié au rôle majeur des habitudes prises durant l’enfance, celles-ci étant fortement liées à la catégorie sociale et au capital culturel. Sam Tanson, ministre de la Culture a renouvelé son intention de renforcer les actions avec les publics scolaires. Lors de la présentation de l’étude, elle a aussi pointé la visibilité de l’offre, notamment des musées régionaux, « un axe qui avait été lancé pendant la pandémie et sera poursuivi », a-t-elle assuré. Les programmes de médiation destinés à des publics variés aident à une démocratisation de l’accès aux musées et à une réduction des écarts. « Il y a un beau potentiel d’acquisition de nouveaux visiteurs pour nos musées », espère la ministre.

Yolène Le Bras
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