Les coulisses de la musique (4)

Pas un boulot comme un autre

d'Lëtzebuerger Land du 19.08.2022

Longtemps à la tête du Gudde Wëllen, ce bar planqué dans la rue du Saint-Esprit et devenu, en quelques années the place to be pour le tout-Luxembourg un peu branché, Luka Heindrichs partage aujourd’hui son temps entre sa société Twist and Tweak, sa vie de famille et le bar qui restera, quoiqu’il en soit, son bébé.

Ceux qui ne le connaissent pas pourraient voir en lui quelqu’un d’un peu distant et à l’humour pince-sans-rire. Il corrige : « Les gens ont parfois l’impression que je suis extraverti, voire un peu dominant. Mais, je suis tout l’inverse et suis même assez réservé. J’aime beaucoup la solitude, par exemple. Je suis un grand timide, j’ai le trac à mort. Même si j’ai un lien viscéral avec la musique, je me suis toujours senti plus à l’aise derrière la scène que devant. » Voilà les présentations faites et les choses remises à leur place. En fait, Luka est un vrai gentil ; le genre de personne qu’on aimerait avoir comme ami… ou comme voisin.

Force est de reconnaître que le garçon tient aujourd’hui une place importante et respectée dans le milieu de la culture au Luxembourg. On vous l’a dit, le Gudde Wëllen, ce bar qui a magistralement su conserver l’esprit alternatif qui a toujours collé à l’endroit, c’est lui. Le festival Food for your Senses, c’est lui également. Bon… tout ça est aussi une histoire de copains d’enfance qui, un jour, ont essayé de faire bouger les choses. Retour en arrière.

« Petit, je me voyais bien devenir marchand de bétail, parce que mon grand-père l’était, et que je l’accompagnais souvent quand il allait dans les différents marchés (une autre époque, avouera-t-il, inconcevable aujourd’hui !). Mais, ado, quand on a réellement commencé à organiser des choses – notamment dans un bâtiment désaffecté qu’on avait envahi au nord du Luxembourg, je me souviens très bien m’être dit que, oui, l’organisation d’événements pourrait bien devenir mon futur job. » Et comme souvent, un déclencheur fait tout basculer. « Le déclic fut clairement les débuts avec le FFYS (Food for your senses), et comme pas mal de gens de ma génération, à l’époque, on y vient un peu par hasard. Pour moi, ça a commencé parce que j’avais des potes qui faisaient de la musique – Inborn, pour ne pas les citer, et je suis devenu un peu la cinquième roue du carrosse. » Ainsi, après la victoire du jeune groupe au festival Emergenza, Luka est celui qui organise un bus pour aller les voir à la finale européenne du concours.

Après ça, il part faire ses études à l’étranger et met ce milieu de côté pendant quelques années. Des études de gestion, le mène vers la microfinance et l’économie sociale et solidaire, puis dans la coopération. « Toutes des choses que j’ai finalement abandonnées quand je suis revenu, pour retomber directement dans le FFYS – qui ne m’avait pas attendu pour continuer. » Depuis, il est à nouveau à fond dans le milieu. « C’est drôle quand on y pense, car j’ai un beau-père qui est musicien professionnel et un père industriel et plutôt dans le business. Finalement, j’ai hérité un peu des deux. »

Nature, solitude… et anecdotes

Entre le bar (avec des concerts, mais aussi du théâtre, du stand up, des lectures, des performances artistiques…), les festivals (si le FFYS a été enterré en 2019 après une quinzaine d’éditions, Luka gère aujourd’hui des concerts dans l’amphithéâtre au Kircherg et une partie de la programmation du festival Usina à Dudelange) et sa nouvelle société de gestion culturelle (qui va de la création d’événements jusqu’à la création de programmes à l’année), Luka Heindrichs se lève culture, bouffe culture et se couche culture. Un rythme pas toujours facile à tenir et qui soulève des questionnements « Il y a eu des moments où j’ai eu envie de tout plaquer, où je me disais que la vie serait plus facile si j’avais un métier où tu sais exactement ce que tu fais, où les critères de réussite sont clairs... La culture, c’est quelque chose de subjectif. » Il s’interroge : « Je me demande si comme programmateur, je n’étais pas assez pointu. Après tout, je ne suis pas un spécialiste de la musique et je ne l’ai jamais été. »

Luka est aussi un fou de nature qui aime les balades à cheval et l’escrime qu’il a pratiqué plus jeune. C’est enfin une foule d’anecdotes et un personnage qu’on apprend vraiment à découvrir en passant du temps à ses côtés. Il s’amuse de notre étonnement quand il annonce qu’il a dix frères et sœurs. « Et je suis presque l’aîné d’une énorme fratrie recomposée avec des enfants sur 39 ans. » Et une fois lancé dans les histoires un peu décalées ou drôles, il est intarissable. Il passe en revue la fois où une édition incroyablement boueuse du festival FFYS a obligé les organisateurs à transporter les musiciens de scène et scène dans une remorque, tirée par un tracteur : « On avait littéralement détruit le terrain, par inexpérience surtout. Il y avait d’énormes crevasses sur la route qu’empruntaient les tracteurs. Et à un moment, je vois un de nos tracteurs qui tombe dans une crevasse et le groupe, avec son matos, qui se fait éjecter de la remorque et tombe directement dans la boue » Des frayeurs dont on rit après coup, des situations qui auraient pu tourner au drame, mais qui finissent bien. La vie, la vraie, quoi !

Playslist

Premier disque acheté ou reçu ?

Un disque des Leningrad Cowboys dans un ferry qui allait du Danemark à la Finlande. Ma belle-mère est finlandaise donc, enfant, on a fait un road-trip pour aller jusque-là et, sur le bâteau, j’ai acheté ce CD… Je ne l’ai plus d’ailleurs.

La chanson qui te rappelle ton enfance ?

I can’t dance de Genesis. Ma grande sœur m’en a souvent parlé

La chanson qui te fait pleurer ?

Pleurer non, mais qui arrivent à m’émouvoir, il y en a plein. Des chansons des Beatles ou d’Andrew Bird – un chanteur que j’adore, mais aussi Brel ou Léo Ferré. J’ajoute encore Oh, Shadowless de Neko Case et Visions of Johanna de Dylan sur l’album Blonde on blonde ». Et puis des chansons, ou plutôt des instrumentaux, de mon beau-père qui est harmoniciste et certains morceaux me touchent car ils me rappellent mon enfance et les concerts que j’ai été voir avec lui.

La chanson qui te donne la pêche ?

Why you wanna treat me so bad ? de Prince. Mon fils l’aime beaucoup et on l’écoute souvent quand je le conduis à la crèche. Je suis aussi un grand fan de Stevie Wonder, il y a pas mal de titres de son répertoire que j’adore. J’ai aussi beaucoup écouté de Hip Hop et j’ajouterais alors quelqu’un comme Oxmo Puccino que j’aime beaucoup.

La chanson que tu ne peux plus entendre ?

Somebody that I used to know de Gotye qui est une bonne chanson mais qu’on a tellement entendu qu’à un moment, j’en pouvais plus ! Avec Ralitt – programmateur du Gudde Wëllen – on a aussi tellement abusé de Damso et notamment le morceau 911 qu’on passait au moins cinq fois par jour. Si je l’entends aujourd’hui, je le zappe…

La chanson que tu as honte d’écouter ?

Alors je me souviens que, gamins, lorsqu’on partait en vacances avec mes parents, ils nous mettaient du Gotainer. Quand je réécoute ses chansons aujourd’hui… c’est quand même un peu bizarre même si ça reste rigolo !

Romuald Collard
© 2024 d’Lëtzebuerger Land