Rockhal

Bis repetita

d'Lëtzebuerger Land du 21.11.2002

Un dimanche après-midi à la Cité de la Musique, Porte de Pantin, à Paris. Les gens font la queue, des mètres de queue, devant les caisses. Ils la font pour venir voir une des deux expositions qui sont montrées actuellement à la Cité, soit Electric Body, consacrée à l'implication du corps humain dans la musique, soit, et c'est la grande majorité, l'exposition dédiée au mythique Jimmy Hendrix. Costumes de scène, photos, coupures des presse, extraits d'émissions de télévision, enregistrements rares à écouter sur des casques, sons stridents de sa guitare endiablée réverbérant dans tout l'espace...: l'exposition est divertissante et très didactique, les salles sont sans cesse bondées.

«Personnellement, moi je suis très content qu'on aille enfin dans la bonne direction. Enfin, ce que moi je considère être la bonne direction,» dit, un mois plus tard, Roger Hamen en buvant son café. Le président de l'association de musiciens backline! et cheville ouvrière du projet Rockhal par son lobbying infatigable, est certainement pour beaucoup dans la réorientation du projet. Qui, désormais, ne s'appelle plus Rockhal, mais Centre de musique amplifiée et comportera, selon le projet de loi qui vient d'être adopté par le Conseil de gouvernement le 8 novembre, deux salles de concert ou de diffusion, huit salles de répétitions, un studio d'enregistrement, mais aussi et surtout un véritable «centre de ressources», une sorte de centre de documentation sur les musiques amplifiées comprenant des archives, un espace multimédia et des bureaux. 

«Le Centre de musique développera, au sein de son centre de ressources, des formules adaptées aux besoins d'information et d'orientation des groupes de musiques amplifiées et d'artistes multimédia, dit le texte du projet de loi. Il apportera aux musiciens les réponses leur permettant de résoudre les différents problèmes rencontrés au quotidien. En effet, les difficultés d'accès à l'information et aux moyens logistiques adaptés, comme le manque de formation artistique et technique, sont souvent des freins au développement de projets musicaux, et peuvent parfois empêcher toute perspective d'avenir». 

Car actuellement, au Luxembourg, un jeune qui crée son groupe doit non seulement maîtriser son instrument, mais en plus s'improviser manager pour trouver des possibilité de donner des concerts et faire de la publicité, producteur pour le premier CD, distributeur pour qu'il soit vendu dans les magasins, comptable pour faire les contrats avec les disquaires ou les salles de concert, juriste pour savoir ce qu'il en est des droits d'auteur, du dépôt légal, du statut de l'artiste... Et risque d'abandonner assez vite.

«L'idée serait que tout le volet amplifié soit regroupé à Esch,» se met à rêver Roger Hamen, qui cite en exemple l'Institute of Performing Arts, la Cité de la musique ou encore le site Internet Irma (Information et ressources pour les musiques actuelles), une véritable mine d'or pour tout ce qui est documentation dans le domaine. Actuellement, au Luxembourg, en tant que musicien non-classique, essayer de recevoir quelques euros d'aide à la création ou à la production d'un disque, que ce soit directement du ministère de la Culture, ou du Fonds culturel national, relève souvent de la course d'obstacles. Le Centre national de l'audiovisuel, qui, théoriquement, a la responsabilité de ce domaine, a d'autres priorités, le cinéma et la photographie. Le patrimoine créé en quelques décennies au Luxembourg n'est guère valorisé, seules quelques personnes privées passionnées comme Luke Haas, Chicken'Mo ou d'autres projets encore en cours s'y sont essayées. Tout cela pourrait être systématisé, professionnalisé et pérennisé par un tel Centre de musique. 

Car les musiciens, eux, se sont déjà professionnalisés. Dimanche dernier en prime time, à 20h15, arte passait If not, why not?, un court-métrage de danse de Daniel Wiroth sur une chorégraphie d'Akram Khan et une belle musique originale écrite sur mesure par Serge Tonnar. C'est inouï. Avec Jeannot Sanavia et Gast Waltzing, il fait désormais partie d'une nouvelle génération de compositeurs de musique pour films qui parlent un langage international. Avec des gens comme Thierry Kinsch, Sascha Ley et quelques rares autres, Serge Tonnar partage la liberté et la précarité de ne se consacrer qu'à la musique. 

De plus en plus de jeunes partent faire des études d'ingénieur du son, de management culturel ou d'autres professions ayant trait au rock. Puis reviennent au Luxembourg et tombent dans une sorte de «trou noir» où tout ou presque reste à inventer, sans véritables structures dans ce domaine - à part deux salles de concerts, l'une privée (Den Atelier), l'autre publique (Kulturfabrik) - et où les organisateurs de concerts plus ou moins sérieux doivent souvent avoir recours au système D et, avec deux bouts de ficelle et un chewing-gum, transformer une salle polyvalente communale en salle de concert rock.

De tous ces problèmes, de la richesse et du foisonnement de la scène, backline! avait fait un premier défrichage et dressé un état des lieux - dénombrant alors quelque 200 formations actives au Luxembourg - pour convaincre le ministère de la Culture et celui des Travaux publics de l'importance du projet d'une salle de concerts, mais aussi et surtout d'élargir l'offre en un véritable centre. «Il faudra éviter que ce Centre de musique ferme durant quinze jours entre deux concerts, au contraire, l'idéal serait qu'il soit ouvert et animé en permanence,» estime Roger Hamen. Une brasserie, les salles de répétition, le centre de documentation - autant d'éléments qui pourraient encourager les rencontres et la recherche, bref, une véritable vitalité et une émulation au Centre de musique.

Le coeur du projet toutefois, ce seront ses deux salles de concert, l'une de 4000 places - donc entre les 8000 de la Coque et les quelque 900 de l'Atelier ou de la Kulturfabrik - et une deuxième de type club à 500 places. Car l'idée initiale du projet partait du constat d'un manque cruel de salles dans le domaine de la musique amplifiée. Voilà 25 ans que durent les discussions, le 2 juin 1999, juste avant les dernières élections législatives, les socialistes firent adopter par la majorité PCS/LSAP un projet de loi déposé par le ministre de la Jeunesse, Alex Bodry, autorisant la construction d'une «salle de musique pour jeunes». Le projet tentait de plaire aussi bien aux amateurs de musique et aux jeunes qu'aux défenseurs du patrimoine industriel et voulait installer une construction «box in the box» dans la salle des soufflantes sur la friche d'Esch-Belval pour un budget dérisoire de quelque 6,8 millions d'euros.

Dès le changement de majorité, le ministère de la Jeunesse autonome fut aboli, la responsabilité du projet revenant dès lors au ministère de la Culture et à celui des Travaux publics - qui, ô surprise, constata les lacunes de la loi adoptée par la précédente majorité, dues notamment à un certain nombre d'oublis dans le calcul des frais adjacents (aménagement d'un parking et de voies d'accès, restauration et réparation du toit et des structures de la salle des soufflantes etc.), et, après recalcul, arriva à un budget ayant presque triplé à 17,6 millions d'euros. 

À ce prix-là, autant construire quelque chose de complètement nouveau a dû se dire le gouvernement PCS/PDL, la reconversion du site de Belval-Ouest était désormais classée priorités des priorités dans l'agenda politique, le ministère de l'Aménagement du territoire y a fait développer un plan d'urbanisation à mettre en musique par la société de développement mixte Agora (moitié État, moitié Arbed, encore propriétaire des terrains). Le Fonds Belval, créé par la loi du 25 juillet 2002, doit réaliser les équipements de l'État sur ce site, comprenant notamment la Cité des sciences, le nouveau bâtiments des Archives nationales ou le Centre d'animation et de culture industrielle - le total des dépenses nécessaires fut chiffré à plus d'un milliard d'euros dans le projet de loi. 

Au moment des débats sur ce Fonds, le budget pour la Rockhal fut encore évalué à 32,9 millions d'euros, dans la version du projet de loi adopté par les ministres, après quelques modifications sur différents postes, il est repassé sous les trente millions, 29,623 millions d'euros très exactement pour un total de surfaces utiles de 13920 mètres carrés. 

Mais une fois le projet de loi déposé au Parlement, voire même discuté dans la commission de la Culture et avisé par les chambres professionnelles et le Conseil d'État, il faudra encore créer une structure de gestion de ce bâtiment. On pencherait, comme pour les projets culturels précédents, notamment la Salle de concerts Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte, pour la forme juridique de l'établissement public. Il est donc beaucoup trop tôt encore pour crier victoire.

 

 

 

 

josée hansen
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