Retour en grâce de la politique budgétaire

Quelles marges de manœuvre ?

d'Lëtzebuerger Land du 04.11.2016

Finalement la BCE a décidé... de ne rien décider. Le 20 octobre, à l’issue de la réunion de son conseil des gouverneurs, elle s’est bornée à confirmer le statu quo en matière de taux (inchangés à zéro pour cent pour le taux de refinancement et à -0,4 pour cent pour celui sur les dépôts) et du côté des achats d’obligations, qui resteront de 80 milliards d’euros par mois jusqu’en mars 2017. Pour en savoir plus sur la stratégie à venir de la BCE rendez-vous a été pris le 8 décembre, quand seront présentées les prévisions de croissance et d’inflation jusqu’en 2019.

Une attente difficile à supporter par les banquiers, les investisseurs mais aussi les gouvernements qui s’interrogent ouvertement sur la pertinence de la politique monétaire menée depuis 2008. Mise d’abord à contribution pour éviter une crise du système bancaire, elle a pris une importance particulière depuis l’arrivée de Mario Draghi à la tête de la BCE il y a exactement cinq ans, dans le but de faire repartir la croissance. Mais, de l’avis général, elle a trouvé ses limites (lire encadré), et un consensus semble aujourd’hui se dégager en faveur de l’utilisation de la politique budgétaire pour tenter de relancer l’activité.

Les déclarations se sont multipliées ces derniers mois, en faveur de mesures qui prendraient pourtant le contrepied des recommandations d’austérité budgétaire qui dominent en Europe depuis 2010. De nombreux économistes plaident, comme Nouriel Roubini, pour un retour rapide à la politique budgétaire qui, dans le contexte actuel, « resterait le seul outil macro-économique disponible et le seul recours contre la récession, qu’il faut employer dès à présent ». Le très influent magazine britannique The Economist écrivait en septembre que désormais « il ne faut plus compter sur les banques centrales » et que « la première priorité est d’user de la politique budgétaire, capable de stimuler l’économie ».

Même son de cloche du côté des banquiers centraux. Lors de leur dernière réunion dans le Wyoming fin août, ils ont reconnu que la politique macroéconomique ne peut pas se résumer à la politique monétaire. M. Draghi lui-même a déclaré fin septembre devant le Parlement européen que « des actions des gouvernements nationaux sont nécessaires pour libérer la croissance et réduire le chômage ».

Une opinion relayée par les grandes banques. Mi-octobre le président d’UBS Axel Weber a exprimé une opinion courante parmi ses confrères en déclarant que « le système bancaire n’a pas été conçu pour les taux négatifs ; les effets secondaires peuvent être gérés à court terme, mais le problème, c’est le moyen à long terme ». Cette mesure crée une distorsion des prix des actifs, complique l’évaluation des risques et menace finalement les modèles économiques des banques, les poussant à entreprendre des programmes massifs de réduction des coûts. Par conséquent pour M. Weber, « les décideurs doivent trouver une alternative aux politiques monétaires actuelles, afin de relancer la croissance ».

Cette position est désormais celle du FMI où un changement d’attitude de plus en plus favorable à la politique budgétaire avait été observé lors de ses récentes assemblées annuelles. Tout en préconisant la poursuite de réformes structurelles « plus que jamais nécessaires » notamment pour éliminer les rigidités sur les marchés des biens et services et du travail, le Fonds considère que les politiques monétaires ultra-accommodantes ne suffisent plus et qu’il convient désormais d’engager « des réformes qui facilitent l’accroissement des investissements d’infrastructures » car ils aideront « à gonfler les capacités productives, doperont directement la demande à court terme et catalyseront les investissements privés ».

De fait, fin juillet, après avoir diffusé un rapport très sombre pour l’économie mondiale (baisse de la croissance, incertitudes politiques et économiques liées au Brexit, menace terroriste), le FMI a appelé certains pays du G20 à muscler leurs dépenses publiques dans les infrastructures, le logement et la transition énergétique pour soutenir la croissance. L’Australie, le Canada, les États-Unis et l’Allemagne étaient nommément désignés car, selon le FMI, ils disposent des marges de manœuvre budgétaires pour y parvenir. Le Canada a d’ailleurs annoncé un plan de soutien aux investissements publics. Et les États-Unis sont également favorables à un coup de pouce budgétaire. Lors de la réunion des ministres des finances du G20 en juillet dernier à Chengdu en Chine, le secrétaire au Trésor américain Jacob Lew a estimé qu’« on en arrive à un point où il est essentiel pour nous tous d’utiliser tous les outils à notre disposition pour muscler notre croissance commune », indiquant que les outils budgétaires « sont des recettes familières, mais qu’il vaut le coup de réitérer ». Du reste les programmes des deux principaux candidats à la Maison Blanche faisaient place à une hausse des dépenses de défense et d’infrastructures.

Or, il faut bien constater que si dans ces deux pays les dépenses des administrations publiques sont effectivement moins lourdes que dans la plupart des autres pays avancés (moins de quarante pour cent du PIB), leurs dettes sont considérables : selon l’OCDE elles s’élevaient à près de 108 pour cent du PIB en 2014 pour le Canada et à plus de 124 pour cent pour les États-Unis ! La situation est plus compliquée encore dans la grande majorité des pays développés où les niveaux des dépenses publiques et d’endettement sont déjà très élevés, tout comme les déficits. Selon les chiffres publiés par l’OCDE pour l’année 2014, huit pays, soit un quart des membres, consacrent aux dépenses publiques un pourcentage supérieur à cinquante pour cent de leur PIB (et même plus de 58 pour cent en Finlande, première du classement). Sept pays seulement ont une proportion inférieure à quarante pour cent. Le niveau de ces dépenses est étroitement corrélé avec celui du déficit public annuel (souvent supérieur à 3,5 pour cent du PIB dans de grands pays tels que la France, l’Espagne, les États-Unis, le Japon ou le Royaume-Uni) et à celui de la dette totale des administrations publiques qui dépasse les cent pour cent du PIB dans une douzaine de pays développés avec un record de 246,6 pour cent au Japon.

Difficile de voir là des marges de manœuvre sinon à considérer que, comme le soutient Nouriel Roubini, que « grâce aux taux d’intérêt bas les États peuvent financer un déficit à bon marché ». C’est sans doute ce qui explique que le gouvernement japonais, malgré la situation désastreuse des finances publiques a annulé une hausse prévue de la TVA et annoncé des mesures budgétaires destinées à soutenir la consommation des ménages, et qu’au Royaume-Uni, Theresa May, en dépit d’un déficit public de 4,4 pour cent et d’une dette proche de 90 pour cent du PIB selon Eurostat, a conçu dès juillet 2016 une politique budgétaire expansionniste s’affranchissant des contraintes européennes.

Au sein de l’UE, « le pacte de stabilité vire au pacte de flexibilité » selon le magazine français Challenges, tant la Commission « n’en finit pas de trouver des circonstances atténuantes aux pays qui ne respectent pas le sacro-saint trois pour cent de déficit public ». Une situation qui arrange bien la France, vice-championne du monde de la dépense publique avec 57,3 pour cent de son PIB, où quasiment tous les partis politiques en appellent à une plus grande souplesse en termes de plafonds à ne pas dépasser. Le paradoxe est que, si des pays pourtant mal en point financièrement sont favorables à un stimulus budgétaire, l’Allemagne, seule économie importante à avoir de vraies marges de manœuvres (dépenses publiques de 44 pour cent du PIB, dette de 82 pour cent et excédent budgétaire selon les chiffres 2014 de l’OCDE) est très réticence à se conformer aux souhaits du FMI. Après avoir dénoncé les relances budgétaires comme « inefficaces » lors d’un précédent G20-Finances elle a fait savoir qu’elle entendait se limiter à des réformes structurelles.

Georges Canto
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