L’impact économique du réchauffement climatique

Coup de chaleur

d'Lëtzebuerger Land du 17.08.2018

Les météorologues sont unanimes : la vague de chaleur qui s’est abattue cet été sur l’hémisphère nord n’aura rien d’exceptionnel dans les années à venir. Et comme ces épisodes de canicule sont appelés à se reproduire, l’intérêt se porte logiquement sur leur impact économique immédiat autant que sur leurs effets à long terme.

L’Europe, qui vient de subir une période inédite de fortes chaleurs, n’est pourtant pas la région du monde qui sera la plus affectée par la hausse du niveau moyen des températures. Selon le rapport publié le 2 août par le cabinet britannique Verisk Maplecroft, ce sont l’Afrique et l’Asie du Sud-Est qui devraient le plus en subir les contrecoups économiques au cours des trente prochaines années, car l’intensification du stress dû à la chaleur devrait entraver la productivité des travailleurs et affecter les recettes d’exportation.

Au total, 48 pays sont considérés comme « à risque extrême » dans l’indice de stress thermique construit par Verisk Maplecroft, les pays africains représentant près de la moitié de ce nombre. Bien que confrontée à des vagues de chaleur récurrentes, l’Europe reste la région la plus épargnée des impacts économiques négatifs. Les six pays les moins exposés (Royaume-Uni, Irlande, Finlande, Norvège, Suède et Danemark) y sont situés. Mais cela pourrait changer sans actions visant à réduire les émissions.

Dans les régions à risque élevé, les travailleurs auront de plus en plus de mal à faire face aux conséquences de la chaleur croissante, ce qui confirme des travaux déjà menés. L’agriculture, le pétrole, le gaz et les mines sont les secteurs les plus impactés, car ils occupent une main-d’œuvre nombreuse qui travaille souvent à l’extérieur. Or ils sont très représentés dans les pays pauvres. Le stress thermique réduit la productivité en provoquant déshydratation et fatigue, voire des troubles physiques plus graves, entraînant un ralentissement du rythme de travail.

Les exportations des pays émergents, qui constituent un fondement de leur modèle de développement, seront affectées de deux manières. Les pertes de capacité de la main-d’œuvre se traduiront par des baisses de la production et des hausses de coûts. Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement pourraient également inciter les acheteurs à s’approvisionner dans des zones au risque climatique plus modéré.

Compte tenu de l’importance des industries extractives et de l’agriculture en Afrique de l’ouest, l’impact de la hausse du stress thermique sur la capacité de travail devrait y avoir des conséquences particulièrement graves. La production pétrolière du Nigeria, la plus grande économie de la région, devrait en souffrir, tandis que les exportations de cacao de la Côte d’Ivoire et du Ghana sont particulièrement vulnérables. Le secteur manufacturier en Asie du Sud-Est est également menacé, surtout au Vietnam et en Thaïlande. Ces deux pays, gros exportateurs de matériels et de composants électriques, représentent près des deux tiers de la valeur totale des exportations manufacturières « risquées » de la région.

Finalement, près de onze pour cent de la valeur des exportations de l’Afrique de l’Ouest seront menacées par le stress thermique au milieu du siècle, contre huit pour cent en Afrique centrale, six pour cent au Moyen-Orient, 5,2 pour cent en Asie du Sud-Est et 4,5 pour cent en Asie du Sud. Sur la base de la valeur actuelle des exportations, qui ne prend pas en compte leur croissance ou leur diversification futures, cela se traduit par une manque-à-gagner estimé à 78 milliards de dollars par an pour l’Asie du Sud-Est et à près de dix milliards en Afrique de l’Ouest. En revanche, seulement un pour cent des exportations américaines et 0,1 pour cent de celles de l’Europe sont concernées.

Une étude publiée en avril 2016 par l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sur l’impact macro-économique des fortes chaleurs montrait que la baisse de la productivité qui en résulte pourrait coûter 2 000 milliards de dollars par an au niveau mondial d’ici à 2030. Dans les secteurs les plus exposés comme l’agriculture ou le bâtiment, la baisse de la productivité pourrait entraîner une réduction de vingt pour cent de la production durant la seconde moitié du XXIe siècle.

Sans surprise, les auteurs du rapport, intitulé Changement climatique et travail : impacts de la chaleur sur les lieux de travail, ont établi que les régions les plus touchées sont également les plus pauvres, avec des conséquences économiques et sanitaires potentiellement désastreuses.

Pour la région Asie et Pacifique, le Cambodge serait le pays le plus touché avec des pertes de productivité estimées à cinq pour cent par heure de travail dans le scénario le plus favorable (augmentation de 1,5 pour cent de la température moyenne sur 70 ans). Mais elles pourraient atteindre neuf voire 19 pour cent pour les scénarios les plus extrêmes (hausses de 2,4 ou de quatre degrés). En Afrique, le Burkina Faso serait le plus frappé avec des pertes potentielles de quatre, sept ou 17 pour cent selon les cas.

Les pays européens seraient plutôt épargnés, hormis quelques États du sud comme la Grèce ou l’Espagne. Ainsi, en France, la perte est évaluée à seulement 0,01 pour cent pour une hausse de 1,5°C et 0,02 pour cent pour une hausse de 2,4°C.

Selon Verisk Maplecroft une autre inquiétude vient des systèmes énergétiques : sont-ils prêts à supporter les conséquences de la chaleur ?

Les équipements souffrent directement, tandis qu’atténuer les risques de stress thermique pour les travailleurs implique une augmentation significative de l’utilisation de la climatisation, qui génère elle-même un accroissement de la demande énergétique, avec des risques élevés pour les pays dépourvus d’infrastructures solides dans ce domaine.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, la consommation mondiale d’« énergie pour le refroidissement » s’élevait à un peu plus de 2 000 térawattheures (TWh) en 2016. En 2050, ce chiffre devrait tripler, porté par trois facteurs : l’augmentation des températures, la croissance démographique et l’urbanisation rapide, qui seront particulièrement à l’œuvre en Afrique et en Asie du Sud et du Sud-Est. La proportion de la population mondiale vivant dans des zones classées comme à « risque extrême » passera de 3,6 pour cent en 2015 à 20,4 pour cent en 2045 soit six fois plus en pourcentage.

En Afrique, où seulement 76 pour cent de la population urbaine a accès à l’électricité, les entreprises font déjà face à une moyenne de huit pannes par mois. Or cette population devrait augmenter de 235 pour cent d’ici 2050 et l’ensemble du continent sera exposé à de graves risques de perturbation de l’approvisionnement électrique, car il est très peu probable que la capacité de production augmente au même rythme que la demande.

Les entreprises implantées en Inde, au Bangladesh et au Pakistan seront également très vulnérables aux futures pénuries et pannes d’électricité. Les coupures de courant se produisent déjà régulièrement pendant les vagues de chaleur estivales en Inde, dont la population urbaine devrait plus que doubler d’ici 2050. L’énorme accroissement de la demande mettra en difficulté des infrastructures vieillissantes déjà incapables de faire face à un pic de demande. D’où la nécessité d’identifier précocement ces risques et de mettre en œuvre des mesures visant à atténuer les impacts les plus graves pour la production des entreprises déjà installées ou s’intéressant à ces marchés. Les systèmes décentralisés de production électrique fondés sur les énergies renouvelables ont probablement un rôle important à jouer dans ce contexte.

Georges Canto
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