Ils sont des milliers, des dizaines de milliers peut-être, à le voir tous les jours. Graffé sur toute une façade des anciens abattoirs de Hollerich, l’immense portrait de Thomas Faber, alias Maz, surplombe la route nationale 56, de sorte que les très nombreux automobilistes venant de la A4 et du parking Bouillon peuvent difficilement le louper. La fresque plutôt réussie est signée Raphaël Gindt. À tout juste vingt ans, Maz est probablement, à l’heure actuelle, le rappeur le plus prometteur du pays. Vainqueur sans partage du premier Screaming Fields Song Contest en juillet 2017, celui qui n’avait alors à son actif que quelques titres chancelants sur Youtube, a vu sa carrière décoller d’une manière inédite. Avec deux EPs bien accueillies, Immortalisation et Sleepwalker, une direction artistique cohérente, une demi-douzaine de clips ambitieux et une cinquantaine de dates, dont une tournée à l’étranger il faut se rendre à l’évidence, sa jeune carrière frise le sans faute.
Rendez-vous est donné à l’Interview, et c’est de circonstance. Maz arrive à l’heure, en sweatshirt, humble et détendu, il revient de Bruxelles. Il se souvient de ses débuts comme de la veille, et pour cause. Avant ses quatorze ans, c’est la musique metal qui le faisait vibrer, suivront la drum and bass et le dub-step avant sa découverte plus poussée du rap anglais. L’apprentissage de la batterie et du solfège feront place au chant, en anglais, et c’est aussi ce qui a fait que sa musique a traversé les frontières du pays. Ça a commencé par des heures d’entrainement dans sa chambre, avec des reprises frénétiques de morceaux de ses artistes favoris. Poussé par ses amis à sortir de sa grotte fin 2016, il publie ses premiers freestyles sur le net. Membre quelques temps du collectif Stoned Control Records, c’est à ce moment-là qu’il monte pour la première fois sur scène.
Cela se passe aux Rotondes, il est invité à partager les planches le temps d’un morceau avec la première partie du soir, Ocean Wisdom, rappeur Londonien, idole du jeune Maz. Le trac est inévitable, les mouvements de bras et la prise en main du microphone, probablement incertains, mais le coup de foudre avec la scène est instantané. Plus tard, installé au premier rang, rappant à la perfection toutes les paroles de son idole et le fixant droit dans les yeux, ce dernier l’invite à le rejoindre, le temps d’un duo. Une anecdote presque trop belle pour être vraie et pourtant. L’an dernier, Maz a joué 37 concerts, a foulé des scènes françaises, belges, finlandaises et estoniennes. Et si sa musique, dark, introspective, au débit ultra rapide et encore un peu dispersée pourrait en laisser certains sur le carreau, ses performances live valent le coup. Il bouffe littéralement la scène, ne bafouille jamais et termine en sueur, tout comme son public.
Une semaine plus tôt, Maz proposait deux performances dans le tram à l’occasion de l’introduction de la gratuité des transports en commun. En quelques morceaux, il a su convaincre les sceptiques, malgré une organisation à la volée et les sons parasites venant quelque peu gâcher la fête. En guise de conclusion, il a repris et adapté Find no enemy (2011), un titre signé Akala, qui lui sied plutôt bien. « The only way we can ever change anything/Look in the mirror and find no enemy », c’est sur ces paroles que Maz conclut sets. Des paroles riches de sens. Déjà parce que Maz a développé ce thème du miroir dans le clip de sa chanson Wake up, pleine de vulnérabilité. Mais aussi parce qu’il est assailli par le doute, une composante essentielle de sa personnalité et sans doute de tout artiste qui se respecte. Un tantinet timide, il porte toutefois un regard assez juste sur la musique de ses camarades. Il encense ses coups de cœur, déconstruit la musique à laquelle il est insensible, mais jamais avec malice, car Maz ne cherche pas à se faire d’ennemis. Et surtout pas en croisant son reflet.
Indépendant, mais affilié à la structure Trust in Talent, gérée par David Galassi (du groupe De Läb), il s’est jusqu’à aujourd’hui bien entouré. Il a notamment collaboré avec Cehashi (alias Eric Bintz), le plus prolifiques et talentueux des compositeurs autochtones du genre. Et voici tout le paradoxe : Maz a arpenté toutes les scènes du pays, a été joué par les plus grosses radios, interviewé par la plupart des médias, a collaboré avec les grands noms du milieu et a même son visage graffé sur quinze mètres carrés en plein cœur de la capitale, au risque de tourner en rond ? Bachelier ayant pris deux années sabbatiques, celui qui est originaire du sud du pays devrait prochainement s’installer à Bruxelles, histoire de se frotter à une nouvelle scène et d’accéder à un nouveau marché, avant de déposer ses valises à Londres, un jour peut-être. Il vient d’enregistrer des morceaux avec guitares électriques et percussions. Sa musique devrait progressivement se muer en rap rock/rap metal, pour une sorte de retour de source.
Maz se produira demain, samedi 14 mars, à la Kulturfabrik avec Chaild, autre fer de lance de la jeune scène rap luxembourgeoise. Leur concert commun représente la réunion tardive mais évidente entre deux amis le temps d’une date, mais aussi ce qui se fait de mieux en termes de musique urbaine autochtone. (www.kulturfabrik.lu)