Assan Smati

Les flamants roses

d'Lëtzebuerger Land du 27.05.2010

Après l’exposition de Damien Deroubaix à la galerie d’Alex Reding en 2009, un autre fleuron de l’« École de Saint-Etienne » est représenté cette fois-ci chez le galeriste Bernard Ceysson, auteur de cette vague artistique stéphanoise au Luxembourg, en la personne d’Assan Smati né en 1972 à Saint-Chamond. Les deux artistes avaient d’ailleurs fondé ensemble la galerie Le (9) bis en 1998 dans la ville française. L’exposition personnelle baptisée Die Wolke semble répondre à celle de Deroubaix Die Nacht, et pourtant, en regardant le contenu de plus près, l’intention et l’art de ces deux artistes, il n’en est rien.

Die Wolke est le titre d’un des portraits, les têtes d’africains, abondamment retrouvées dans l’art d’Assan Smati comme générique pictural, lui servant à réaliser de nombreuses études, partant de dessins, à l’huile sur toile. Ces fameuses têtes dégagent de l’étrange, généralement de grandes dimensions, comme tout dans son art, que ce soit les peintures, les sérigraphies, les gravures et les sculptures, réalisées avec un savoir-faire d’artisan, car l’artiste, amoureux de l’art, est complet et use de nombreux médias. Non qu’elles soient, par leurs couleurs, rattachées à une origine ethnique produisant de la différence par l’éloignement géographique et dans la relation distante de l’Africain et de l’Européen, mais s’éloignant davantage d’une perception commune de la tradition, de l’Esthétique et du Réel.

Certains visages font peur, d’autres sont quelque peu déformés. Celui intitulé Die Wolke, un buste regardant vers le ciel, les étoiles, le firmament, les planètes, rêveur, dans les nuages, rappelle Saint Lupien et sa tête coupée, Orphée et les études de Géricault sur les têtes de cadavres des morgues. Un autre, Muhammed Ali, a l’attitude frontale du prisonnier. Beaucoup de choses se jouent dans le regard et la forme des yeux, il y a de la méchanceté, une expression de colère, criant l’injustice, cruelle et sanguinaire, de tension et de rapport de force, d’étrangeté perceptive. D’autres, dont une tête de plâtre sculptée, laissent à la place de la bouche un trou difforme comme une castration buccale contre le droit de parole. Cette collection de visages contient dans sa production antérieure, un autoportrait le visage peinturluré Assan le Fou, référence à Godard.

La pièce maîtresse de l’exposition est une immense peinture de six mètres par trois, comme une fresque représentant les Pink Flamingoses, bourreaux des massacres et du génocide au Rwanda, revêtus de robes roses et portant des machettes aux lames affûtées et armes du crime finalement absentes car évidées de la peinture. Un portrait de groupe au format traditionnel de peinture d’Histoire, comme Delacroix savait les peindre ou chez les Flamands du XVIIe siècle avec la Ronde de nuit ou le Syndic des Drapiers de Rembrandt. Quelques personnalités sont reconnaissables dont James Brown et Michael Jackson, ajoutant un décalage et un niveau de lecture plus critique. Dans l’arrière-plan de ce chef-d’œuvre, des fleurs de lys, symbole héraldique, emblème de la royauté française décapitée en 1789 à la Révolution.

Dans l’Étranger de Camus, le protagoniste tue l’Arabe sur la plage par une sorte d’aveuglement mystique provoqué par le soleil et la lumière. Cet aveuglement, Assan Smati nous le fait percevoir à travers les regards, en évitant par-dessus tout la confrontation et en privilégiant l’accord, la perspective commune, le dialogue entre les êtres. « Je pense que la discussion se fait sur un banc et non autour d’une table. Le face à face mène à la confrontation et au conflit ». Les motifs de son art imagé et bourré de significations sont très divers et proviennent de nombreuses cultures différentes. Chevaux bleus sans cavalier, symboles de liberté, étoiles rouges, centaure rose bonbon appartenant au monde de Machiavel et son œuvre Le Prince, objets fonctionnels, bennes et palettes, pylônes électriques en métal dont l’artiste avait réalisé des versions en bois brut, poncé et ciré, magistralement totémiques de sept mètres de haut et de cinq mètres d’envergure à La Verrière à Bruxelles en 2008. Un boxeur en plomb est KO à terre, planté de poignards gravés d’étoiles rouges, symboles du communisme, dans tous les membres.

« L’art c’est cette étoile qu’il faut suivre, l’articulation de la religion, l’amitié et la politique ». Travail éminemment social et politique, Assan Smati a banni la réussite et l’échec même si des œuvres parlent du combat Frappes, tu frappes pas assez fort. Son art diversifié est une lutte plastique quotidienne d’artiste, il met en scène des éléments picturaux animaliers, animaux robustes tels éléphants ou plus faibles comme le pigeon ou le papillon, son animal favori, au crayon sur papier. Un corps masculin porte une tête d’hyène, comme une allusion aux divinités égyptiennes, créature hybride, homme s’avançant masqué.

Assan Smati, Die Wolke, jusqu’au 18 juin, Galerie Bernard Ceysson, 2 rue Wiltheim, L-2733 Luxembourg. Plus d’informations par téléphone : 26 262 208, ou Internet : www.bernardceysson.com.
Didier Damiani
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