Portrait : Jean-Lux Ciber et Stéphane Kies

L’envol

d'Lëtzebuerger Land du 21.10.2016

Au milieu de la pièce, le drone n’a pas encore regagné sa boite. Au 1535°, le creative hub de Differdange, les portes étaient encore ouvertes toute la semaine, pour ceux qui auraient manqué l’évènement collectif du dimanche 2 octobre. L’octocoptère fut l’attraction de Chromatik, la société de services audiovisuels installés ici depuis presque deux ans. Jean-Luc Ciber, l’un des deux co-fondateurs et directeur technique, explique : « Le FreeFly Cinéstar est le premier et le plus imposant drone dans lequel nous avons investi. C’était notre point de départ ». Depuis, deux autres, de taille plus modeste, sont venus s’installer à côté du monstre à huit pattes. Un marché serré mais ouvert leur a permis de trouver des clients commerciaux pérennes en France et au Luxembourg, comme la Chambre de commerce, qui vient d’éditer un film institutionnel pour son 175e anniversaire, ou même une collaboration en pente ascendante pour RTL, mais aussi de faire les yeux doux au cinéma, leur première visée.

Si Stéphane Kies, l’autre créateur de Chromatik, est davantage spécialisé dans le développement et la gestion de projet, l’audiovisuel est depuis toujours le terrain de jeu de Jean-Luc, titulaire d’une licence en arts du spectacle obtenue à l’Université de Metz il y a une quinzaine d’années. Une période estudiantine mise à profit pour investir dans des micro-moyens de production et fonder l’association Montevideo, alors très active dans la réalisation de courts-métrages, de clips, de concerts ou de spectacles au théâtre universitaire du Saulcy, qui deviendra par la suite l’espace Koltès. Un peu de publicité aussi, notamment pour l’Orchestre national de Lorraine. Le jeune touche-à-tout se lance ensuite en tant qu’indépendant, se frotte aussi à la projection itinérante puis rejoint la ligue de l’enseignement de la fédération des œuvres laïques, bien connue du tissu associatif culturel lorrain sous son diminutif, la Fol. Pendant plus de cinq ans, il va animer des ateliers autour du cinéma, proposer des initiations à la prise de vue, au montage. C’est sur le tournage d’un court-métrage produit dans le cadre de ces ateliers qu’il va rencontrer son futur associé.

Chromatik naît alors, entre passion et savoir-faire, mais aussi analyse des besoins. Le drone donc, d’abord. Le langage cinématographique post-moderne est en constante recherche de nouveaux outils de machinerie et la location d’un drone, moins chère qu’un hélicoptère ou même qu’une grue, se révèle être un outil précieux, ouvrant le champ des possibles au travail visuel d’un/e réalisateur/trice. « Mais soyons clair : si l’appareil permet une plus grande flexibilité que des outils plus lourds, il est également soumis à des impondérables ». Le vent, la pression de l’air. La dextérité de l’opérateur qui pilote la télécommande au sol, ou encore la mise en place de la caméra et des optiques. Et si Chromatik a obtenu une autorisation permanente de l’aviation civile, indispensable, la société doit également faire une demande au cas par cas et doit signaler toute intervention à l’autorité.

La réputation des prestataires étant lancée, il était donc temps de se diversifier et de s’ouvrir à de nouvelles compétences. Rejoints par des opérateurs de steady-cams ou encore des directeurs photo, Stéphane Kies et Jean-Luc Ciber proposent désormais toute une gamme de services : réalisation et prises de vues, data wrangling (prise en charge et traitement des rushes), post-production. Cette dernière étape, en particulier le montage et étalonnage des images, est la spécialité de Jean-Luc. C’est avec Mélusine, la société de production alors voisine de leur précédent studio à Contern, qu’il va commencer, puisqu’elle lui confie la gestion de la colorimétrie du long-métrage d’animation réalisé par Raul Garcia, Extraordinnary tales. « C’est dans le montage et l’étalonnage que se construit le discours d’un film. Manipuler les images existantes, c’est pouvoir changer le sens d’un film. Les possibilités sont sans limites et c’est même parfois frustrant car on a l’impression de toujours pouvoir faire mieux ! », affirme Jean-Luc. Depuis décembre 2014, Chromatik s’est installé dans un bureau au 1535°, où, outre l’aspect économique non négligeable, la proximité avec d’autres compagnies, telles les sociétés de production Les films fauves ou A-Bahn, permet une dynamique inégalable, déjà fructueuse en terme de collaboration. Avec leurs voisins de couloir ou d’autres, Chromatik a pu témoigner de sa vigueur lors du dernier Luxfilmfest en œuvrant à la post-production de quatre films luxembourgeois sélectionnés, trois courts-métrages et un documentaire.

Enfin, c’est au Mudam qu’il fallait se rendre pour apprécier le récent travail de Chromatik, partenaire du film de l’artiste Sylvie Blocher et du réalisateur Donato Rotunno (Tarantula) Dreams have a language. Si la machinerie de vol est l’œuvre d’Yves Barta et de Fantasmagorie, sa société ultra-spécialisée, toute la partie technique fut assurée par Jean-Luc Ciber et ses collaborateurs. Ainsi, du corporate à la fiction et du documentaire au transmedia, Chromatik trace son chemin de traverse dans le paysage audiovisuel luxembourgeois.

Marylène Andrin-Grotz
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