Le Luxembourg au Festival de Cannes

Effervescences

Lors de la soirée luxembourgeoise à Cannes, le 17 mai
Photo: Thierry Besseling
d'Lëtzebuerger Land du 24.05.2019

Journée luxembourgeoise au pavillon cannois, vendredi dernier 17 mai. Après un discours du directeur du Film Fund, Guy Daleiden, qui s’est montré satisfait de la réussite du cinéma luxembourgeois avec non moins de quatre films sélectionnés dans les sélections cannoises, le Premier ministre et ministre des Médias, Xavier Bettel (DP), a confirmé lors de son allocution une augmentation de vingt pour cent du budget pour le secteur1. Cette hausse a été sollicitée par l’Ulpa (Union luxembourgeoise de la production audiovisuelle) depuis au moins un an, et va permettre au secteur audiovisuel d’entamer des nouvelles perspectives de co-productions. Alors que le nombre de sociétés de production, d’auteurs, de réalisateurs et de techniciens croît de manière exponentielle, le gâteau a la chance de pouvoir s’grandir en parallèle, ce qui permet à l’ensemble des personnes concernées de continuer à travailler dans de meilleures conditions. Nicolas Steil, le président de l’Ulpa, s’est réjoui que le Premier ministre « a(it) livré la pizza, comme on dit dans le secteur ».

En effet, un arrêt momentané de bon nombre de productions avait créé une confusion chez les techniciens, qui se sont retrouvés dans une trêve imposée. Cette trêve a touché à sa fin avec cette annonce, un soulagement qui s’est traduit par une bonne atmosphère générale entre les différents acteurs du secteur au pavillon cette année. « Le secteur était pendant longtemps composé de cousins éloignés, où chacun défendait son propre intérêt, sans qu’il n’y ait eu de vision commune, une volonté de travailler ensemble au sein de cette famille. Je salue que cette famille est désormais unie autour d’un même projet, qui est celui de défendre l’amour pour un cinéma de qualité », a souligné Xavier Bettel à la fin de son discours. Il serait judicieux d’élargir cette famille aux cousins du cinéma. Que le gouvernement dépense en un festival de Cannes l’équivalent du budget annuel consacré à sa littérature, que les petits théâtres continuent à avoir du mal à joindre les bouts en fin de mois, est aussi une manière de freiner l’épanouissement du cinéma, vu que les auteurs et les acteurs qui émergent de ces disciplines voisines se retrouveront peut-être à faire un jour du cinéma. Que le septième art reste le plus onéreux à produire ne changera pas pour les plus grandes productions, ce qui est justifié. Mais la modestie d’une salade au lieu de la graisse contenue dans une pizza, ne ferait peut-être pas de mal au secteur.

Ceci à un moment où le très jeune cinéma luxembourgeois entre dans une phase charnière de son histoire. Il s’agit d’une évolution nécessaire que chaque cinématographie nationale traverse. Les pères fondateurs ont permis à cette industrie de naître. Ils ont dû sacrifier, pour la plupart d’entre eux, leur désir de réalisation, pour garantir l’éclosion de sociétés de production fortes, sans lesquelles le cinéma n’existerait pas au Luxembourg. Grâce à leur travail infatigable en tant que producteurs, un parc de techniciens avec un savoir-faire internationalement reconnu a pu être mis en place. Le secteur emploie désormais un peu plus de mille personnes au Luxembourg, toutes professions confondues. La génération montante a pu effectuer des stages au sein de leurs entreprises et risquer des études de scénario et de réalisation, avec l’appui financier de leurs parents. Ce passage de relais intergénérationnel représente de nombreux défis, bien que l’amour pour le septième art les réunisse tous autour d’une même envie, qui est celle de faire du cinéma de très haut niveau. Pour que ce pari réussisse, l’écriture et la vision des seconds doit pouvoir s’allier au talent de production des premiers.

Satisfait des conclusions de l’audit2, qui a confirmé la composition et le fonctionnement du Film Fund, le Premier ministre a annoncé que le secteur va continuer à être mesuré statistiquement avec, entre autres, la qualité et la taille du secteur comme critères, sans que ces mesures empiètent trop sur la liberté d’action du Film Fund. Dans un souci de plus de transparence, les décisions du comité de sélection seront dans le futur annoncées pendant une conférence de presse, qui complétera les communiqués officiels. Par ailleurs, le principe du one to one (pour un euro reçu au Luxembourg, un euro y sera dépensé) est acquis et remplacera bientôt l’ancien système de la grille à points. Le réalisateur luxembourgeois Yann Tonnar a tenu son premier discours en tant que nouveau président de l’asbl Filmakadamie, où il succède au producteur Claude Waringo, qui a fondé la Filmakademie avec le Film Fund et les représentants des associations professionnelles du milieu en 2012.

Trois jeunes comédiens – Astrid Roos, Sophie Mousel et Nilton Martins – ainsi qu’un tandem de réalisateurs – Karolina Markiewicz et Pascal Piron – ont reçu une bourse du Film Fund pour permettre à leur talent de continuer à fleurir lors de cette 72e édition du festival de Cannes. Après avoir été sélectionné en 2015 en tant que Talent Adami, qui lui a permis de jouer dans un court-métrage projeté lors du festival, c’est pour la quatrième année consécutive qu’Astrid Roos revient à Cannes. De fil en aiguille, Roos a rencontré des producteurs luxembourgeois, et a joué depuis dans deux longs métrages à côté d’acteurs de renom, dont la fougue créatrice l’inspire. Que ce soit le brin de folie de Denis Lavant, qui peut faire de la musique à base d’une coquille d’escargot, où Sylvie Testud qui se réchauffe avec Roos autour d’un feu dans le froid en attendant la prochaine prise, la jeune comédienne apprécie l’humilité de ces acteurs qui donnent le meilleur d’eux-mêmes et se mettent à tout moment au service du projet, des conditions qui permettent à l’impossible de voir le jour. Sur les planches parisiennes, Astrid Roos jouera non seulement dans la comédie vaudevillesque J’ai envie de toi de Sébastien Castro, mais se glissera également en juin dans la peau de Desdémone dans une adaptation d’Othello de Shakespeare. Alors que les Iago de ce monde sont heureusement en train de tomber l’un après l’autre dans le monde politique, il revient maintenant aux Othello contemporains d’écouter l’amour mutuel qui les lie à leur Desdémone, plutôt que d’écouter les Iago de demain. Ceci, afin que le scénario de L’effondrement, la nouvelle série pour Canal + dans laquelle Astrid Roos adoptera le rôle d’une maîtresse victime d’un homme d’affaires égoïste qui a souscrit à une assurance-vie sous la forme d’un vol d’avion pour se sauver au moment de l’apocalypse, ne se réalise pas.

Avec Chambre 212, une des quatre co-productions luxembourgeoises (Bidibul Productions), retenue dans la sélection Un certain regard, Christophe Honoré, le réalisateur de Plaire, aimer et courir vite, propose une comédie qui permet aux Othello de se réconcilier avec leurs blessures amoureuses passées. Maria s’installe dans la chambre 212 de l’hôtel situé en face de son domicile conjugal. Au cours du récit, elle va apprendre, à travers la rencontre avec la version jeune de son mari, à abdiquer de ses désirs extra-conjugaux qui la dévient de sa capacité d’aimer pleinement. Dans Les hirondelles de Kaboul, une deuxième co-production luxembourgeoise (Melusine Productions), réalisée par Zabou Breitman et Eléa Gobbe-Mevellec, ce désir n’a pas été canalisé et résulte dans une domination masculine sur la femme et un contrôle des masses au nom d’une religion. À la fin des années 90, Kaboul est sous le joug des Talibans, qui plongent la société locale dans l’obscurantisme. Lors des lapidations hebdomadaires, les pierres que les hommes jettent sur des femmes en burqa, sont le synonyme de leur dureté de cœur. Une brutalité sauvage que les deux réalisatrices arrivent à dépeindre frontalement et sans psychologie par un recours à un dessin au graphisme doux, tout en focalisant leur récit sur des personnages qui arrivent à entretenir de l’espoir dans un climat façonné par la peur. The Orphanage de Shahrbanoo Sadat et produit par Jani Thiltges (Samsa Film) a fêté sa première dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs en présence de toute l’équipe de la société de production, tout comme Viendra le feu d’Olivier Laxe, produit par Elise André et Donato Rotunno (Tarantula Productions), et présenté dans la sélection Un certain regard. Christian Neuman, qui vient de boucler son premier long-métrage Skin Walker, a par ailleurs été sélectionné au marché canadien du film fantastique « Frontières », ce qui lui a permis de montrer une version du film à des sélectionneurs de festivals et des acheteurs potentiels.

1 De 33,9 millions d’euros en 2018, la dotation de l’État pour le Film Fund est passé à 37 millions cette année, pour ensuite atteindre quarante millions en 2020, selon le budget d’État.

2 Réalisé par la société Value Associates et soumis aux professionnels en novembre 2018, cet audit n’a jamais été rendu public ni par le ministre, ni par le Film Fund.

L’auteur est réalisateur de films.

Le Festival de Cannes dure encore jusqu’à dimanche 25 mai ; www.festival-cannes.com

Thierry Besseling
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