Frozen

Pêché ou symptôme ?

d'Lëtzebuerger Land du 12.05.2011

« La libération de Michelle Martin scandalise les Belges » titrait Le Soir mercredi 11 mai. L’annonce de la libération conditionnelle de l’ex-épouse de Marc Dutroux, condamnée pour avoir été complice de l’enlèvement, de la séquestration et de la mort d’au moins six enfants, est insupportable pour ces parents et proches des victimes qui n’arrivent ni à oublier, ni surtout à pardonner. Nous voilà, par l’actualité politico-judiciaire, au cœur du sujet de Frozen, la nouvelle production du Théâtre du Centaure.

Écrite en 1998, alors que des révélations comme le scandale Dutroux en Belgique, venaient d’ébranler l’insouciance de l’enfance partout en Europe, la pièce de l’auteure britannique Bryony Lavery nous montre trois personnages en quête d’explications, de pardon, voire de rédemption, suite à l’enlèvement d’une enfant de dix ans : La mère Nancy, qui ne cesse de chercher sa fille, puis de vouloir la venger, et à la fin de retrouver elle-même la paix. Le coupable, le tueur en série pédophile – sept enlèvements d’enfants en 21 ans – Ralph Vantage, fier d’avoir « de l’ordre dans ses affaires ». Et la psychiatre Agnetha Guttmundsdottir, qui est en train de boucler une thèse sur Le meurtre en série, un acte pardonnable ?1 Admirablement bien écrite – la presse britannique ne cesse de saluer, à raison, le génie technique dans l’écriture de Bryony Lavery – la pièce nous montre l’évolution de ces trois figures sur deux décennies, entre les faits et l’emprisonnement du coupable. Le metteur en scène Lol Margue les laisse sur scène en permanence, dans la même pièce, qui est tour à tour la chambre de la petite fille, un avion, la cabane de Ralph ou sa prison. Ce choix est certes un défi pour les acteurs, devant jouer sans cesse, mais s’avère une des meilleures idées de la mise en scène, car elle répond ainsi à la structure libre de la pièce, comme des coups de projecteurs rapides sur les principaux moments du cheminement intérieur et des confrontations des trois personnages, qui sont chacun tour à tour victime et bourreau.

Le jeu des acteurs se devait donc d’être de la même précision, de la même technicité – et c’est réussi grâce à la distribution. Marja-Leena Junker, la mère, est bouleversante dans sa perte de repères, crève-cœur dans sa douleur et touchante lorsqu’elle a trouvé la paix. Sophie Langevin, comme toujours, concentrée, mais dont la carapace de la femme moderne qui réussit dans son métier, extrêmement pro dans ce qu’elle fait, se fissure par moments avec une telle violence qu’on la voit s’effondrer. Et Francesco Mormino incarne avec brio le maniaque de l’ordre et de la propreté, qui ne montre aucun regret jusqu’à la fin, ne sent aucune culpabilité et dont on sent véritablement le danger sur scène.

Même si le sujet nous pompe un peu, tellement on nous a servi les analyses des pédophiles multi-récidivistes au théâtre et au cinéma ces derniers temps, l’approche de Lol Margue de prendre le contre-pied du thriller psychologique oppressant et dont on sortirait subjugué par la culpabilité, en offrant une mise en scène brillante dans un décor haut en couleurs et joyeux (poupées Barbie et meubles Ikea), situant l’explication à tout ça dans l’enfance, sauve la pièce. Prenant une certaine distance et évitant de tomber dans le pathos, il nous offre ainsi une belle réflexion sur la reproduction de la violence et le pardon.

1 Au moment de la première de Frozen à Broadway, l’auteure a été accusée de plagiat par la psychiatre Dorothy Otnow Lewis, qui affirma avoir détecté des passages entiers de sa thèse à elle, sans citation de sources.
josée hansen
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